Khorassan et khorassan

En 2021, Le Monde avait publié un article sur le groupe terroriste État islamique au Khorassan (ou EI-K) à propos d’un attentat commis à Kaboul. On y lisait notamment ceci sur le nom de Khorassan :
Ce nom fait référence à une ancienne région qui englobait des parties de l’Afghanistan, du Pakistan, de l’Iran et d e l’Asie centrale actuels.
Toujours utile de le savoir puisque ce groupe (qui semble trouver les talibans mous du genou) fait reparler de lui près de Moscou, Daech (autre nom de l’EI) ayant revendiqué l’attentat du 22 mars dans une salle de concerts.

   Wiki’, de son côté, nous donne ce bref cours d’histoire :
Le Khorassan est considéré par les Afghans comme le nom médiéval de l’Afghanistan puisqu’il s’étendait du nord-est de la Perse (Iran actuel) sur tout le territoire de l’Afghanistan actuel et englobait le sud du Turkménistan, de l’Ouzbékistan et du Tadjikistan jusqu’au fleuve Amou-Daria.

Moyen Âge, la référence suprême de l’EI-K…

Une page de l’ouvrage « Du Khorassan au pays des Backhtiaris – Trois mois de voyage en Perse », de Henry-René d’Allemagne, 1911 – Source : Gallica

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DANS un tout autre domaine, Khorassan nous a fait penser à un pain du même nom (ou khorasan, ou khorazan) à la mie serrée, délicieux, confectionné avec un blé ancien.

Sir Ernest Alfred Thompson Wallis Budge

    Peut-être le trouverez-vous également sous le nom « kamut », qui est la marque d’une entreprise états-unienne. La farine vient-elle uniquement des States ? si c’est le cas, bonjour l’empreinte carbone ! Sur le site de l’entreprise Kamut, on lit que ce mot signifie « blé » en ancien égyptien, et que kamut « a été trouvé dans le dictionnaire Egyptian Hieroglyphic Dictionary d’E. A. Wallis Budge, publié pour la première fois à Londres par John Murray en 1920. S’agissant d’une langue morte et KAMUT n’étant pas un mot utilisé couramment dans d’autres langues, il a été possible de l’enregistrer comme marque déposée ».


Consultant (en ligne) le dictionnaire de Sir Ernest, et entrant comme terme de recherche wheat (blé), nous n’avons pas trouvé de kamut, mais notre connaissance de l’égyptien ancien et du classement de son vocabulaire est si menue qu’il n’y a rien là d’étonnant. Si quelque LSPiste féru de cette langue pouvait nous éclairer, merci d’avance !

Sur le Larousse en ligne, kamut est traduit… kamut mais aussi Polish wheat. Ce blé polonais est-il différent de notre khorassan égyptien, perse ou afghan ?…

 

Devinette pour un samedi

Chers et Chères LSPistes, quel est le nom de ce siège ?

* Réponse : Comme l’a suggéré « fromage » et comme l’a dit leveto, il s’agit bien d’une radassière, ou radassier, siège provençal. Nous avons pris cette photo dans le très beau château de Lourmarin, Vaucluse.

la maïeutique peut-elle casser des briques ?

Lu ce passage dans la critique élogieuse, par Le Monde, d’ « Une famille » (la famille comme lieu d’oppression), le documentaire de Christine Angot, qui sort aujourd’hui en salles, que nous n’avons pas encore vu : 
« Sans doute, la maïeutique de Christine Angot est-elle propre à casser des briques. »
La maïeutique étant l’ « art de faire accoucher » — y compris les esprits (n’est-ce pas, Socrate ?).
Cette phrase fait référence au titre d’un film de kung-fu (un navet) aux dialogues entièrement détournés par René Viénet (en 1973), dans un esprit situationniste, et à mourir de rire, Leveto ne nous dira pas le contraire. Ce film est visible sur Youtube, même si de mauvaise qualité. Le lecteur attentif, non moins que la lectrice, remarquera qu’il prône le développement de la lutte des classes et le renforcement du matérialisme dialectique.
Il existerait aussi un Maciste contre le capital, dont nous ne savons rien.

 

Macron en général Boum

Le général Boum, le matamore de « La Grande Duchesse de Gerolstein », d’Offenbach.

Ainsi, Emmanuel Macron serait passé de « colombe » à « faucon ». Et lorgnerait plutôt l’ « escalade » que la « désescalade ». Tous ces termes qui n’ont rien de guerrier ont pris leur nouveau sens belliqueux pendant la guerre du Vietnam (± 1965-1975), du côté étatsunien, sans oublier le fragging, dont nous avons déjà parlé ici, mais que les militaires préfèrent passer sous silence. Il semble que l’on doive ces nouveaux emplois plutôt à la presse qu’à l’état major US. Mais, depuis la première guerre du Golfe, en 1990-1991, les militaires remportent de plus en plus de succès dans la reprise de leur vocabulaire par les médias. On se souvient des « frappes », qui sonnent bien mieux que les bombardements, surtout si elles sont « chirurgicales », les « dommages collatéraux » (victimes civiles), les « tirs amis » (les soldats du même camp se canardent), les journalistes embedded, qui n’ont le droit de voir que ce que l’armée consent à leur montrer. Maintenant, nous avons les « conflits de haute intensité », pour ne pas dire guerre ou massacre, et un petit dernier, les « personnels ». En effet, l’état major ne parle pas de « troupes au sol » mais plutôt de « personnels », avec ce curieux singulier, un « personnel » pour « soldat ». Sans oublier l’attrition de l’armée adverse, pour faire savant. Tous les braves militaires qui peuplent les plateaux télé actuellement reprennent à l’envi ce vocabulaire aseptisé néanmoins mortifère. La tentative de militarisation des esprits à l’œuvre actuellement passe aussi par ce biais-là.
« La guerre, déclara Paul Valéry en novembre 1918, [c’est] un massacre de gens qui ne se connaissent pas, au profit de gens qui se connaissent mais ne se massacrent pas. » Qu’en termes indécents ces choses-là sont dites. 

Les mots rubriqués (passés au rouge) ont déjà fait l’objet de notes sur LSP.

homophonie traîtresse : de l’opprobre à… l’eau propre

Entendu à plusieurs reprises au Parlement cette phrase prononcée par une ministre à l’adresse d’une adversaire politique  : « ne jetez pas l’eau propre » (sur la politique du gouvernement). Cet énigmatique jet d’eau propre a été relevé par les médias, qui se sont beaucoup gaussés de cette maladresse ministérielle n’en doutons pas due à l’homophonie. Par un cheminement obscur, l’opprobre que voulait probablement employer ladite ministre est devenue eau propre, peut-être en confusion avec une autre expression : jeter le bébé avec l’eau du bain. Dans les deux cas, l’on jette, certes… Mais, en l’occurrence, l’eau du bébé est sale… Que peut bien signifier « jeter l’eau propre » ?
L’opprobre est un mot masculin ancien importé du latin, plutôt littéraire et très fort, signifiant déshonneur, honte, ignominie et même abjection. Cette sortie (nous allions dire sottise) ministérielle nous est au moins l’occasion de le préciser.
Voir aussi : homophonie, de mal en pie.

« parce qu’à prononcer vos noms sont difficiles »

Enfant, je ne comprenais pas cette phrase de L’Affiche rouge, sublime poème d’Aragon reprenant des passages de la lettre de Michel Manouchian à sa compagne Mélinée écrite quelques heures avant son exécution et mis en musique et chanté par Léo Ferré. « Parce que vos noms sont difficiles à prononcer »… c’était cela qu’il fallait comprendre. L’Affiche rouge passait souvent sur l’électrophone familial. Je comprenais que c’était patriotique, mais pas seulement :  le souffle vivifiant de la révolte et de l’insurrection y passait, le défi aux oppresseurs. Il a compté dans mon éducation autant que le film Spartacus de Stanley Kubrick — comment ne pas être du côté des esclaves quand ils cherchent à s’émanciper et vont jusqu’au bout pour cela ? Le poème est magnifique à lire, surtout à haute voix, les larmes montent vite. La voix puissante de Léo en a fait un hymne indépassable, la chanson la plus galvanisante qui soit selon moi. Et pourtant, c’est patriotard, écrit par un grand poète qui fut aussi l’inlassable chantre d’un dictateur sanguinaire qu’il n’est pas ici nécessaire de nommer (cf. Le Déshonneur des poètes, par Benjamin Péret). Plus tard, je me suis demandé comment Manouchian et ses camarades, militants communistes luttant pour la libération sociale, ont pu passer du drapeau rouge au tricolore.
Les vingt-trois fusillés de l’affiche rouge ont été trahis. Manouchian le dit clairement dans sa lettre. Une autre façon de le trahir, c’est de ne pas la reproduire fidèlement. Elle comporte de nombreuses « fautes » d’orthographe, il suffit d’en lire le fac-similé pour le constater. Pourquoi la publier purgée de ces fautes ? Les fautes font partie du message, qui se moque bien de l’orthodoxie graphique.

O.H.

8 Mars… y a encore du boulot !

8 mars, 8 Mars, 8-Mars, la typo’ peut différer pour donner un synonyme à la Journée internationale des droits des femmes. La typo’, mais aussi les explications sur l’origine de cette journée particulière. Longtemps, très longtemps, on parla de la grève des couturières à New York le 8 mars 1857 ; or, selon une historienne française, Françoise Picq, il semblerait que cet événement n’ait pas eu lieu, « les journaux américains de 1857, par exemple, n’en ont jamais fait mention », et « il n’est même pas évoqué par celles qui ont pris l’initiative de la Journée internationale des femmes : les dirigeantes du mouvement féminin socialiste international », lit-on sur le site du CNRS dans un article intitulé « Journée internationale des femmes : la véritable histoire du 8 mars« .

Bon, alors quel autre 8 Mars prendre en compte ? « Le 8 mars 1917, lit-on dans l’article, ont lieu, à Petrograd (aujourd’hui Saint-Pétersbourg), des manifestations d’ouvrières que les bolcheviques désignent comme le premier jour de la révolution russe. Une nouvelle tradition est instaurée : le 8 Mars sera dès lors l’occasion pour les partis communistes de mobiliser les femmes. Après 1945, la Journée des femmes est officiellement célébrée dans tous les pays socialistes (où elle s’apparente à la fête des mères !). »

Finalement, qu’importe l’origine du 8 Mars, couturières de New York, ouvrières de Petrograd, Penn Sardin de Douarnenez, femmes scalpées par les machines dans les filatures…, c’est toujours la même histoire, de salaire au lance-pierres, de jeunesse écrasée… Et qu’y a-t-il derrière les vagues sourires songeurs de ces pinceauteuses dans l’atelier d’impression de la fabrique Wetter dont parle Michelle Perrot dans « Femmes à l’usine » — un article paru en 1996 dans la revue L’Histoire —, peintes en 1764 par Joseph Gabriel Maria Rossetti ?*

 Certes, en France, et c’est une très bonne nouvelle, le lundi 4 mars 2024, le Parlement, réuni en Congrès à Versailles, a voté pour l’introduction dans la Constitution de la liberté garantie à la femme d’avoir recours à l’IVG,

  

mais ailleurs ? En Gambie, par exemple, comme le titrait Le Monde voilà deux jours, “le Parlement examine un texte légalisant à nouveau l’excision”. Quant au chapô, tout aussi accablant :
« Bien que le pays ait ratifié le protocole de Maputo sur les droits des femmes et des filles dès 2005, des parlementaires et des religieux arguent du respect des coutumes pour lever l’interdiction. »

Savent-ils au moins, tous ces sages de pacotille, avant de faire sortir couteaux et rasoirs, comment est fait un clitoris, doux chemin du plaisir féminin ?

N’oublions pas Shaïna et toutes les femmes giflées, voilées, humiliées, “fumées”, assassinées…

* Julie, récit d’un féminicide, c’est le titre d’un documentaire
qui passera sur France 2 le mardi 12 mars à 23 h 15,
un film réalisé par Giulia Montineri,
.
Julie, c’était Julie Douib, abattue chez elle, à L’Île-Rousse,
par arme à feu tenue par son ex-conjoint, c’était en mars 2019.

 

Comme on a pu le lire sur un mur parisien,

ÉDUQUEZ VOS FILS

* Cette peinture et d’autres de ce peintre se trouvent au Musée d’art et d’histoire d’Orange (Vaucluse). Et l’on ne confondra pas ce Rossetti-là avec Dante Gabriel Rossetti.

 

Dégustation de crêpe stellaire

Merci à la Délégation générale à la langue française et aux langues de France pour cette cette gourmande illustration !

  

 

 

La date de la Chandeleur est dépassée, mais qu’importe, voulez-vous la recette de la « crêpe stellaire » ? Rien de plus facile : la Commission d’enrichissement de la langue française vous en propose une des plus poétique…

Mais d’abord, un petit rappel sur ce qu’est cette Commission (sous l’autorité du premier ministre, s’il vous plaît) créée depuis… plus de cinquante ans, et dont les travaux méritent largement l’attention :

Si vous souhaitez en savoir plus, voyagez sur ce lien :
  https://www.culture.fr/franceterme/Le-dispositif-d-enrichissement-de-la-langue-francaise

Revenons donc à notre crêpe, dont voici la définition donnée sur France Terme :

Étoile qui prend une forme aplatie
sous l’effet de l’intense champ de marée gravitationnel
régnant au voisinage d’un trou noir

(le lien vers la page de France Terme :
https://www.culture.fr/franceterme/terme/SPAT1817
Désolés, mais nous ne pouvons toujours pas appliquer un lien sur un mot,
le beugue persiste…)

 crêpe stellaire  étant la traduction de l’anglais stellar pancake ; il est parfois plus simple de coller à la locution étrangère, souvent anglophone, et déjà répandue, pour que l’équivalent français « prenne », telle la mayonnaise.

Au fait, la recette ? Quels en sont les ingrédients ?

– trou noir
– réserve de ciel étoilé
– minilunes…

     et pour la recette complète, la tête dans les étoiles, c’est par-ici !
https://www.culture.fr/franceterme/Clin-d-oeil/CREPE-STELLAIRE


PS : Sur le site du CEA, on trouve la version flambée de notre crêpe :

https://www.cea.fr/multimedia/Pages/videos/culture-scientifique/terre-univers/crepe-stellaire-flambee.aspx?g_c5c27ff0_033e_4f02_a9ce_f3389c2a6c5a=3

 

urbicide, urbanicide

Nous lisons dans Le Monde du 2 mars cette phrase : « La destruction de Gaza s’insère dans un processus d’urbicides au Moyen-Orient. » (Interview de Peter Harling).
La ville de Gaza, avec environ 800 000 habitants, était la plus grande de Palestine. De 70 à 80 % du bâti serait soit endommagé soit détruit. Des destructions comparables à celles de l’aviation alliée à la fin de la deuxième guerre mondiale, comme Caen, Saint-Lô, Dresde, Tokyo. Ces destructions ne sont pas nouvelles dans l’histoire, et Peter Harling remonte même à celles de Rome par les Wisigots et de Constantinople par les croisés. A cette occasion, il emploie donc le mot urbicide, rare et relativement récent — première occurrence en 1963 selon Wikipedia —, qui ne figure pas dans les dictionnaires classiques, pas plus qu’urbanicide, qui existe aussi.
Urbicide fait froncer les sourcils à notre traitement de texte, mais ce mot est facilement compréhensible : « urbi » pour ville, et « cide » pour destruction, suffixe meurtrier que l’on retrouve dans de nombreux mots, comme suicide, génocide, féminicide, uxoricide, liberticide, etc., pourrait-on dire.

inclinaison ou inclination, c’est affaire de penchant

Il semble, si l’on en juge par de nombreux exemples récents dans la presse, que le mot inclinaison soit de plus en plus employé en lieu et place d’inclination. Certes, les deux voisinent dans les dictionnaires et il s’agit dans les deux cas d’une affaire de penchant (suivre sa pente), l’un et l’autre découlant du verbe latin inclinare : pencher vers. Le premier relève plutôt de la physique, de l’oblicité par rapport à un plan horizontal ; le second, d’un mouvement affectif. Dans les deux cas, il y a risque de choir ; cependant, seule l’inclinaison peut être mesurée par un inclinomètre.

Voir aussi : inclination, j’écris ton nom (nous ne mettons pas le lien pour cause de bug persistant), à propos de celle d’Eluard pour le nommé Staline.
Sans oublier : Delanoë, fluctuat et mergitur