Bernard Landry : Enfant de la patrie
Cinéma

Bernard Landry : Enfant de la patrie

Bernard Landry prend part à Questions nationales, un film de Roger Boire et Jean-Pierre Roy qui met en relation les démarches indépendantistes québécoise, écossaise et catalane. Un regard autre sur une question non soluble dans le temps.

Si seulement c’était un jeu d’enfant, semble se dire Bernard Landry. Si seulement il suffisait d’aligner les cubes, comme sur notre couverture de la semaine, pour former une nation nouvelle. Ce ténor de la cause nationaliste, premier ministre de 2001 à 2003, est bien placé pour savoir qu’il n’en est rien. Pourtant, comme en témoigne sa participation à Questions nationales, ce documentaire dit "indépendant et non partisan", il a toujours la foi et croit plus que jamais qu’on entendra bientôt la voix du Québec dans le grand concert des nations. "L’Ukraine est devenue indépendante après quelque chose comme sept siècles", nous dira-t-il en entrevue. "On ne va quand même pas désespérer après 40 ans!"

S’il y a un écueil à éviter cependant, et il profite de la présente tribune pour le rappeler aux plus impatients de son camp, c’est bien de chercher à accorder coûte que coûte le projet au goût du jour. "Il est sûr que la proposition doit être adaptée à notre temps, mais le fond des choses est toujours le même. Les motivations fondamentales de l’indépendance des États-Unis d’Amérique, en 1776, étaient les mêmes que celles du projet d’indépendance du Québec aujourd’hui ou de l’indépendance du Kosovo il y a deux ans. Elles se résument à une idée toute simple: les nations doivent être libres. C’est une question de dignité, mais aussi d’intérêts et de rapports harmonieux avec le reste du monde. Une province n’a pas accès à la table des nations, ce n’est pas à sa portée. C’était vrai il y a cent ans, ça l’est encore aujourd’hui."

VISION PÉRIPHÉRIQUE

Roger Boire et Jean-Pierre Roy, qui signent Questions nationales, donnent la parole à Bernard Landry ainsi qu’à d’autres politiciens et penseurs d’ici – Gilles Duceppe, Jonathan Valois, Louis Bernard, Stéphane Dion, Louis Balthazar, Jocelyn Létourneau -, mais l’intérêt de leur film est d’abord dans la mise en parallèle de trois démarches. Le genre d’exercice qui plaît à Bernard Landry. "Ce sont trois démarches présentant des convergences et des différences, évidemment. En Catalogne, par exemple, je crois qu’il n’y a plus que 50 % de la population qui soit d’origine catalane. Ça nous donne une circonstance bien différente. En Écosse, la différence est moindre sur ce plan. Il faut dire que ce pays est moins ouvert que bien d’autres en matière d’immigration. Or la convergence est majeure: ces trois groupes humains constituent, indiscutablement, des nations", soutient l’ancien premier ministre.

Nations qui ne figurent cependant pas, tel que le rappelle le film de Boire et Roy, parmi les 111 pays qui ont, depuis 50 ans, proclamé leur indépendance. "Ces trois-là sont pour moi, renchérit Landry, une drôle d’illustration du fait que toutes les nations qui peuvent être libres le sont déjà… sauf trois ou quatre. Quand je dis "qui peuvent être libres", j’exclus par exemple des nations amérindiennes au Québec, reconnues par l’Assemblée nationale, qui comptent 6000 membres. Évidemment, il n’est pas question pour elles d’être aux Nations Unies et d’avoir un véritable statut national."

Une autre idée exprimée par plusieurs, dans Questions nationales, est celle de la complémentarité des mouvements. Idée chère à Landry. "Je m’étonne toujours de cet argument: "Les autres s’unissent; vous, vous voulez vous séparer." Voyons donc… Est-ce que tous les pays membres de l’Union européenne sont membres des Nations Unies? Réponse: oui. Est-ce qu’ils contrôlent leurs impôts et leurs taxes? Réponse: oui. Allez dire à Nicolas Sarkozy que la France pourrait n’être qu’une province de l’Europe, il vous répondrait sans doute: "Casse-toi, pauvre con!""

FACTEURS D’EMPÊCHEMENT

"Un des grands mystères de ma vie, dit Bernard Landry dans une scène de Questions nationales, c’est que ce ne soit pas encore fait." Phrase qui ouvre une liste de facteurs d’empêchement, chaque intervenant essayant tant bien que mal de mettre le doigt sur le bobo. Quant au temps qu’il a fallu pour que l’idée s’enracine, Landry y va, par exemple, d’une explication assez prosaïque: "Pour mes grands-parents, les Canayens, avec un y comme on le prononçait dans le temps, c’était eux-mêmes! L’idée de sortir du Canada n’avait aucun sens. On chantait d’ailleurs à l’époque On est Canayens ou ben on l’est pas, une chanson que Trudeau a osé reprendre à un certain moment dans son argumentaire fédéraliste. La génération de mon grand-père avait le coeur au Canada, elle a cru au rêve messianique, cru que le Canada, c’était eux, qu’ils en auraient le contrôle et que le français serait partout. Ils ont été cruellement trompés et déçus. À l’extérieur du Québec, d’ailleurs, le français recule sans cesse."

Sans désespérer, l’homme politique prône la lucidité. "La résilience acadienne est la plus convaincante, elle est impeccable, mais même eux ont des problèmes… On dit qu’ils sont assimilés à 10 % par génération. Dans l’Ouest, c’est 25 %, et jusqu’à 50 % dans certains cas. Ça va vite, vous savez."

Bernard Landry, dont on connaît la passion pour l’histoire et ses repères, enchaîne avec la nécessité de cultiver la mémoire. "C’est l’histoire qui donne à ce projet-là ses perspectives fondamentales. Extraire la discussion d’un cadre historique, c’est se couper de ce qui lui donne sa légitimité. J’ajoute que je connais très peu d’historiens qui ne soient pas indépendantistes."

CLIMAT FAVORABLE

À ceux, nombreux, qui disent ne plus s’intéresser à la question, jugeant qu’elle appartient au passé bien plus qu’à l’avenir, Bernard Landry répond: "Il y a une dimension contemporaine au projet, qui n’existait pas du temps de René Lévesque. La mondialisation, qui a progressé de manière inéluctable et irréversible, rend l’indépendance plus nécessaire qu’avant. Pour une raison bien simple: le concert des nations fait que de plus en plus, les décisions sont prises à l’échelle internationale. Ce qui veut dire que si on ne fait pas l’indépendance, le Québec va reculer. Si on ne prend plus certaines décisions ni à Québec ni à Ottawa, mais dans des forums internationaux où Ottawa va nous représenter, il est clair que nous ne serons pas entendus."

Parmi les champs dans lesquels peut se renouveler la proposition de souveraineté, l’écologie. "La question de l’environnement est éclairante de ce point de vue-là. Le Canada, pays des sables bitumineux, du charbon, du gaz, va parler pour nous à Kyoto, alors que nous, les premiers de la classe, nous ne serons pas présents", s’inquiète-t-il, avant de vanter l’étendue des réponses québécoises à la crise climatique, l’éolien entre autres.

Or, il a beau dire que nous sommes extrêmement bien placés, sur tous les plans, Landry comme ses amis catalans ou écossais doivent composer avec des chiffres pas toujours réjouissants. "Oh, les chiffres bougent plus qu’on ne le croit, assure-t-il. Le dernier sondage que moi j’ai reçu comme chef du PQ, donc en 2007, donnait à la souveraineté un appui de 54 %. Oui il y a des dents de scie, oui il y a des conjonctures – ce 54 % était en plein durant le scandale des commandites -, mais souvenons-nous également qu’à dix mois du référendum de 1995, nous étions à 40 %… Si on a entre 45 et 50 aujourd’hui, avec tout le brassage d’idées d’une campagne référendaire, on finit à 60!"

On l’aura compris, les difficultés rencontrées n’ont pas entamé son légendaire enthousiasme. Après tout, non uno die Roma ædificata est

Le 31 août et le 2 septembre
Au Festival des films du monde
www.ffm-montreal.org

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QUESTIONS NATIONALES

Jean-Pierre Roy et Roger Boire nous proposent de faire ce que nous faisons rarement: lier la lutte indépendantiste d’ici à ce que l’on peut observer ailleurs dans le monde. Présenté en première au Festival des films du monde, le 31 août, leur film Questions nationales approfondit les désaccords politiques indissociables de la vie politique d’ici, mais également ce qui divise l’opinion en Écosse, où le SNP (Parti national écossais), élu en 2007, entend tenir un référendum sur l’indépendance nationale en 2010, et en Catalogne, où existe un fort mouvement de défense de la culture et de la langue catalanes.

Sous les latitudes écossaises, on expliquera la délicate problématique du pétrole écossais, qui depuis les années 70 enrichit Londres, et de l’organisation d’un mouvement nationaliste qui compte parmi ses figures de proue un certain Sean Connery.

Sur le front de la lutte catalane, que résume à l’écran le coloré Jordi Pujol, président de la Catalogne de 1980 à 2003, on montrera le chemin parcouru depuis l’ère franquiste, alors qu’il était strictement interdit de parler catalan en public, jusqu’à la situation actuelle, cette riche province jouissant d’une relative autonomie mais ayant de grandes difficultés à obtenir davantage dans une Espagne sourde aux visées nationalistes en son sein.

À l’heure où le mouvement souverainiste québécois peine à reprendre son élan, certains trouveront à tout le moins dans ce Questions nationales la réconfortante impression de ne pas prêcher seuls dans le désert.