Belgique  :

Pour un label “cheval de loisir” ?
par Alain Willemart
 
En France, sur 500.000 cavaliers, seulement 40.000 pratiquent la compétition, les autres s’adonnent à une équitation dite "de loisir". Pourtant, la très grande majorité des éleveurs pratiquent une sélection basée intégralement sur l’aptitude à la compétition. Les produits d’élevage ne répondant pas à ce critère sont orientés vers le loisir, sans aucune forme de sélection. Or, les cavaliers "de loisir" recherchent des qualités spécifiques chez les chevaux qu’ils montent, mais ils sont forcés d’opérer la sélection eux-mêmes, pas toujours en connaissance de cause.
 
Une initiative visant à promouvoir le cheval dit "de loisir" a vu le jour en 1993 (l’idée est née en 1988), sous l’impulsion du Service des Haras Nationaux qui ne pouvait plus ignorer l’immense majorité silencieuse des cavaliers de loisirs. Le but de la "filière loisir" est de donner certaines garanties à l’acquéreur d’un tel cheval dans la mesure où sa qualification a été obtenue par le passage d’épreuves comportementales où il a démontré sa stabilité psychique, son côté pratique, agréable et sécurisant. Il s’agit donc également de promouvoir son élevage de manière spécifique, avec des étalons agréés selon des critères raciaux et comportementaux.
 
Mais qu’est-ce, en fait, qu’un cheval de loisir ? C’est un cheval qui n’est ni un cheval de compétition, ni un cheval de travail. C’est donc un cheval de promenade, de randonnée, de concours "amateur", d’amazones, d’équitation western, ou encore servant à l’instruction des cavaliers débutants.
 
L’objectif de la filière du cheval de loisir est de procurer des montures "adaptées aux activités de la plupart des cavaliers". En apparence, la formule peut sembler contradictoire : un cheval ne peut être adapté à tous les types d’équitation, fussent-ils pratiqués en amateur. En réalité, le "label" cherche surtout à certifier que le cheval a un comportement sain et qu’il constitue une bonne base pour se perfectionner dans une direction choisie.
 
Cette "certitude" est obtenue par le passage de tests en 4 parties :
• 10 à 12 tests comportementaux (embarquement, donner les pieds, montoir, franchissement d’un fossé, contrebas, contre-haut, surprise visuelle et surprise auditive...) ;
• un contrôle de vitesse (passage progressif du galop à l’arrêt) ;
• une présentation montée aux trois allures ;
• une présentation en main pour jugement du modèle.
 
Le résultat obtenu classera le cheval selon trois catégories :
• Elite loisir
• Sélection loisir
• Qualifié loisir
ou... pas qualifié du tout !
 
Les initiateurs de la filière voient les choses à long terme : tout d’abord, il s’agit de sensibiliser les propriétaires de chevaux de sorte qu’un maximum d’entre eux passent les épreuves de qualification. Ensuite, une sélection s’opérera au niveau de l’élevage proprement dit, en ne retenant que les étalons de race française reconnues ou de race étrangères telles que le Barbe, le Quarter-Horse, le Lusitanien, le Shagya, le Lippizan, le Trakhener, l’Appaloosa, le Pinto et le Paint-Horse, ou encore des chevaux inscrits au registre "Cheval de Selle" (demi-sang). Les étalons dont l’origine est agréée doivent ensuite satisfaire aux épreuves de qualification, au point d’être eux-mêmes qualifiés "Elite loisir", rien moins ! Voilà qui pourrait être à l’origine d’un assainissement considérable du cheptel équin "de loisir".
 
Selon M. Domerg, responsable du Haras de Rosières-aux-Salines et promoteur du mouvement, "Les 5 années d’âge du projet ne permettent pas encore de déterminer le succès de l’idée, mais la filière rencontre néanmoins l’approbation générale des cavaliers. Le problème se situe principalement au niveau des éleveurs. Avant de s’engager, ceux-ci attendent la preuve de l’existence d’un marché potentiel. En d’autres termes, ils veulent être certains que le public est prêt à débourser une somme plus élevée pour un cheval "qualifié loisir" que pour un rebut d’élevage de compétition... Donc, jusqu’ici, les éleveurs faisant défaut, on voit surtout sur les épreuves de qualification des cavaliers qui cherchent à valoriser leur cheval, sans aucune intention de le vendre."
 
Reste la question de la valeur objective du label, le cheval étant monté par un cavalier non-indépendant lors des qualifications. Qu’il soit propriétaire ou qu’il présente des chevaux pour le compte d’un éleveur, le cavalier peut, s’il est fin et adroit, masquer devant le jury certains défauts qui resurgiront entre les mains d’un néophyte, au grand dam de ce dernier qui avait pourtant payé rubis sur ongle un cheval "labellisé". Bref, sans cavaliers testeurs indépendants, c’est la porte ouverte à la tricherie. D’un autre côté, on imagine difficilement un cavalier-propriétaire n’ayant nullement l’intention de vendre son cheval, accepter de confier ce dernier à quelqu’un, alors qu’il venu aux épreuves de qualification pour passer une journée équestre amusante, l’obtention du label n’étant pour lui qu’une gratification morale, semblable à un flot ou une plaque d’écurie...
 
Un autre facteur est le temps. Un cheval évolue au cours de sa vie, en bien ou en mal. Cela dépend de son maître. Un cheval qualifié "Elite loisir" peut devenir médiocre et perdre son bon caractère tout comme un autre, non qualifié, peut bonifier en de bonnes mains et mériter son label. Ne faudrait-il pas prévoir un label renouvelable plutôt qu’un label à vie ? M. Domberg répond que "La qualification ne doit pas être considérée comme une garantie à vie. C’est une information complémentaire qui permet de se faire une idée sur le cheval."
 
On le voit, le label "cheval de loisir" est intéressant, mais son application ne va pas sans quelques difficultés. Le label a aussi ses détracteurs qui le disent inutile : "si on n’est pas capable de juger un cheval soi-même à l’achat, c’est qu’on n’a pas encore assez d’expérience pour en faire l’acquisition". Ou encore : "Sans contrôle strict, le label est une recette trop facile pour gonfler la valeur du cheval". Galvaudé, le label risque de se retourner contre ses utilisateurs. On imagine déjà la réaction des associations de défense des animaux : "Si une telle structure se met en place au point de devenir un label de référence, que vont devenir - physiquement - tous les "rebuts" des élevages de compétition non-qualifiés loisir ?". En fait, c’est tout le système actuel qui est remis en question...
 
 Si vous souhaitez, vous aussi, vous exprimer sur ce sujet, nous vous invitons à répondre au questionnaire ci-dessous et à le renvoyer au secrétariat de la FFE, 98 rue Nanon - 5000 Namur. Il servira à étayer le mémoire d’une étudiante en agriculture et nous éclairera quant à l’éventuelle instauration d’un tel label chez nous.
 
Halte au racisme !

Réaction à l’article écrit par Alain Willemart intitulé Pour un label “cheval de loisir ? “ (HippoNews octobre 98), au projet de M. Domerg de promouvoir un tel mouvement (Haras de Rosières-aux-Salines) et au questionnaire attenant à l’article submentionné de Carine Gandrille (étudiante en agriculture)

La beauté de la relation du cheval avec l’homme réside dans cette magie inhérente que tout cavalier recherche et dont il présume la matérialisation dans un comportement typique.  Qu’une analyse de cette réaction apaise les souffrances de l’un et de l’autre est évidente. Vouloir en faire payer l’addition au cheval dénote d’un problème de structuration de l’identité du cavalier.

-”...dans la mesure où sa qualification (nda : lire du cheval de la “filière loisir” ) a été obtenue par le passage d’épreuves comportementales ou il a été démontré sa stabilité psychique...”
-”il s’agit donc également de promouvoir son élevage...”
Quantifier et qualifier le génome est une opération hasardeuse.  Et d’autre part un cheval n’a rien à démontrer.  Un cavalier peut supposer un comportement et le qualifier mais ce comportement n’en reste pas moins signifiant et induit : le cavalier ne met pas son cheval, ni le cheval ne met son cavalier : c’est le couple cheval-cavalier qui se forme avec un dialecte propre.

-”Le résultat obtenu classera le cheval selon trois catégories:
-Elite loisir
-Sélection loisir
-qualifié loisir
ou...pas qualifié du tout ! “

Lapsus révélateur s’il en est et qui ne serait pas sans dommage pour la relation cheval-cavalier du couple, qui s’y retrouverait.  A force de classer c’est le déclassement qui apparaît avec son cortège de désillusions erronées, de sentiment d’échec, de souffrances.  Ce sont les attitudes qui déterminent les aptitudes.  Et une attitude ne se compte pas en certifications ou en billets mais est le résultat d’un investissement en relations et en heures.

On le voit, le label “cheval de loisir” n’est pas du tout intéressant si ce n’est pour les maquignons. L’acquisition d’une monture reste avant tout une histoire de coeur.

Vincent Musschoot
 

Monsieur,

Je ne peux m’empêcher de réagir au titre de votre lettre : “halte au racisme”.

La “filière loisir”, qui n’existe pour l’instant qu’en France, est ouverte aux races françaises et aux races étrangères : Barbe, Quarter-Horse, Trakhener, Lippizan, Appaloosa, Pinto, Paint-Horse ainsi qu’à tous les chevaux inscrits au stud book “Cheval de selle” (demi-sang).  Devant l’ouverture de la filière à cette palette multicolore (d’autant plus  que toutes ces “races” constituent elle-même des mélanges), je ne comprends pas le sens de votre réflexion anti-raciste, à moins ce soit la définition même de toutes ces races qui vous dérange.  Dans ce cas, je m’étonne que vous n’ayez pas réagi plus tôt à la lecture de nos articles présentant régulièrement une race.

Vous parlez de la magie de la relation homme-cheval, mais celle-ci n’entre nullement en ligne de compte dans la sélection.  Le cheval seul est jugé : est-il capable de monter dans un van ?  Peut-on l’arrêter facilement une fois lancé au galop ?  A-t-il une bonne conformation ?  Bref, autant d’aspects touchant à la sécurité et la santé du couple cavalier-cheval.  Et ces aspects-là n’ont, il me semble, rien à voir avec la magie.

Quant au problème de l’influence du cavalier sur le caractère et le comportement du cheval, il est lui aussi abordé dans l’article en tant que limite subjective du dit label.

Classement et déclassement sont le lot de toutes les épreuves et de toutes les compétitions, auxquelles, soit dit en passant, vous n’êtes nullement obligé de participer.  Par ailleurs, un cheval non classé ne le reste pas à vie : rien ne l’empêche de repasser les épreuves plus tard.  Cela s’appelle “progresser”.  Là encore, je m’étonne que vous n’ayez pas réagi plus tôt en voyant chaque mois dans nos colonnes les classements d’endurance, de TREC et de Dressage-obstacle...
                                                            Alain Willemart
 
extrait de la revue HippoNews n° 267

 
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