En donnant son blanc seing à la libération de 1 027 Palestiniens, le cabinet israélien outrepasse en effet les échanges de l’époque de la guerre au Liban, tant celui de 1983 qui avait abouti à la libération de 4 500 prisonniers arabes en échange de 6 Israéliens, que celui de 1985, le fameux "Jibril deal", du nom de son parrain, Ahmed Jibril, le chef du FPLP – commandement général, un groupuscule paramilitaire opposé à l’OLP, qui avait conduit à la libération de 1150 fedayins (combattants) contre 3 soldats de Tsahal.
ARGUMENT DE PROPAGANDE
Nul doute que le Hamas s’emparera de ce nouveau record pour alimenter sa propagande. Le mouvement islamiste promet d’être le grand vainqueur de la redistribution des cartes auquel l’accord sur la libération de Shalit va donner lieu. En retrait de la scène médiatique depuis le déclenchement du soulèvement syrien, qui l’oblige à un grand écart impossible entre le président Bachar Al-Assad, son protecteur numéro un et les Frères Musulmans, qui sont à la fois la maison mère du Hamas et le principal mouvement d’opposition au régime de Damas, Khaled Meshaal, le chef en exil des islamistes palestiniens a réapparu mardi soir sur les écrans des télévisions arabes.
Le regard combatif, il s’est posé en rassembleur du peuple palestinien, insistant sur le fait que l’accord négocié avec Israël permettrait la libération de détenus originaires tant de Gaza et de la Cisjordanie, que d’Israël, du Golan et même de la diaspora. " J’ai voulu créer la joie dans le cœur des mères palestiniennes ", a déclaré Meshaal le magnanime avant de s’engager à tout faire pour libérer les 6 000 et quelque détenus palestiniens qui ne sont pas concernés par l’accord. Isolé dans son fief de Gaza, dont il n’a jamais pu briser l’encerclement et où sa férule est largement impopulaire, marginalisé par l’offensive de l’Autorité palestinienne devant l’ONU qui l’avait réduit au rang de spectateur, le Hamas devrait se servir du dénouement de l’affaire Shalit pour
se replacer au centre du jeu politique.
REBOND DU HAMAS
L’explosion de joie et le tintamarre nationaliste auxquels le retour dans leurs foyers de centaines de prisonniers va donner lieu, promet d’éclipser pour un temps le coup d’éclat de Mahmoud Abbas au podium de l’Assemblée générale des Nations unies. Le 23 septembre, sous un tonnerre d’acclamations, le patriarche palestinien avait défié les Etats-Unis et Israël en demandant à l’organisation internationale d’octroyer à la Palestine le statut d’Etat membre.
Le regain de popularité que le Fatah, son parti, avait immédiatement enregistré, risque sinon de tourner court, du moins d’être endigué par le rebond du Hamas. En Cisjordanie, où ils s’étaient habitués à gouverner sans la moindre opposition, le premier ministre Salam Fayyad et le Fatah, le parti du président palestinien, vont devoir apprendre à recomposer avec leur meilleur ennemi. Des dizaines de leaders du Hamas, incarcérés à répétition depuis 2006, s’apprêtent à faire leur réapparition à Ramallah, Naplouse et Hébron.
EMPÊCHER LA "RÉCIDIVE"
L’aura dont ils seront nimbés devrait dissuader l’Autorité palestinienne, pour un temps au mois, de les mettre sous contrôle. Le retour en Cisjordanie de centaines d’activistes islamistes, qui furent les petites mains de l’Intifada, augurent aussi de possibles tensions avec les services de sécurité palestiniens, qui auront pour charge d’empêcher leur "récidive". A moyen terme cependant, passées les fanfaronnades des uns et des autres, la conclusion de l’interminable feuilleton Shalit peut aussi à remettre la vie politique palestinienne dans le sens de la marche.
Le Parlement qui était dans le coma depuis qu’Israël avait emprisonné la plupart des députés islamistes dans la foulée de la capture de Gilad Shalit, pourrait se réunir dans les prochaines semaines. Une première depuis l’été 2006. Il n’est pas interdit de penser non plus que la dynamique suscité par l’échange de prisonniers incite le Hamas et le Fatah à accélérer la mise en application de l’accord de réconciliation signé le 4 mai au Caire et resté lettre morte depuis. En conséquence, la tenue d’élections pour renouveler le mandat du président, expiré en janvier 2009 et celui du Parlement, arrivé à échéance un an plus tard, ne parait plus aussi chimérique.
L’organisation de tels scrutins, annoncés à intervalles réguliers par le Fatah, et repoussés à autant de reprises du fait de l’opposition du Hamas, aurait conduit à entériner dans les urnes la partition entre Gaza et la Cisjordanie.