«Au début de votre livre, l'héroïne n'arrive pas à trouver un éditeur parce que, face à sa beauté, aucun n'imagine qu'elle puisse avoir le moindre talent. Autrement dit, pour être aussi jolie, elle est forcément idiote. Vous-même avez-vous subi ce délit de belle gueule?» Question posée, au cours d'une émission télévisée, à Lou, jeune romancière en vogue, et principal personnage féminin des Yeux cernés, roman qui a lui-même pour auteur une des plus jolies comédiennes françaises, Anaïs Jeanneret. Et ce roman est si réussi qu'on frémit à l'idée que le même «délit» aurait pu empêcher sa publication.

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Entre Jules, le narrateur, et Lou il y a depuis le lycée une amitié aussi intense qu'un amour. Lou a beaucoup de lecteurs, mais elle refuse de se croire «écrivain». Quelque chose lui manque, et elle en sait la cause, pour accéder à ce statut. Comme seul Jules ne lui ment jamais, c'est à lui qu'elle confie le tragique secret de son enfance. Qui la «bloque». Si l'énigme incarnée par Lou occupe le c?ur du récit, d'autres personnages l'animent aussi: un psychiatre, un producteur, un réalisateur, un éditeur, une photographe de presse et un écrivain espagnol. Anaïs Jeanneret dépeint avec justesse la manière dont le brio et la «facilité» de son héroïne peuvent suffire au plus grand nombre, alors qu'elle ne saurait s'en contenter. Aussi douée, aussi lancée, aussi fêtée qu'elle soit, Lou se sent à part. Aussi étrangère à la confection de best-sellers qu'à la vraie création. Son exil nous émeut. Comme nous émeut l'amitié amoureuse qui l'unit au narrateur et qui résiste douloureusement à l'attirance sensuelle, réciproque. Lou croit vraiment à la littérature. Anaïs Jeanneret aussi. Croyance et clairvoyance se conjuguent pour donner à ces Yeux cernés leur éclat, leur profondeur, leur noblesse.

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