De nos jours, le mot est lancé facilement, comme une insulte. Est poujadiste celui qui trouve qu'il y a trop de fonctionnaires et le niveau d'imposition trop élevé. A l'origine, le mot vient de Pierre Poujade, un libraire qui se lança en 1953 dans une croisade contre la fiscalité, et qui fut rapidement rejoint par de nombreux autres petits commerçants. Le mouvement, d'abord syndical, devint ensuite politique, et remporta un succès surprenant aux élections législatives de 1956, en réunissant plus de 11 % des suffrages, ce qui fit élire 52 députés sous les couleurs de l'Union et fraternité française, et en premier lieu Pierre Poujade lui-même. Ce mouvement avait sans conteste bénéficié des errements de la IVème République, de la médiocrité des gouvernements qui se succédaient rapidement, tant et si bien que le slogan "sortez les sortants" suffisait à fédérer la colère contre la classe politique en place. Il faut d'ailleurs noter que ce succès électoral fut très limité dans le temps, le mouvement de Pierre Poujade ne retrouvant pas les faveurs de l'électorat lorsque celui constatera à partir de 1958 qu'il y a à nouveau un capitaine sur le bateau, en la personne du Général de Gaulle.

A l'époque comme aujourd'hui, le poujadisme était vu comme un populisme. En effet, les thématiques déployées par ce mouvement étaient souvent démagogiques, mais les critiques contre l'inefficacité du Parlement de l'époque ou contre la fiscalité excessive ne peuvent disqualifier dès le départ celui qui émet un tel message. Après tout, le système parlementaire de la IVème République était bel et bien catastrophique. Et le niveau de la fiscalité française reste élevé, et décourage parfois les créateurs de richesse. A ce titre, Pierre Poujade apparaît comme le représentant d'un trait très français, le fait de râler et de protester de façon véhémente. La France est habituée à ce que des syndicalistes de gauche usent de telles postures pour défendre leurs revendications, et plus personne ne s'en étonne. Mais lorsqu'il s'agit d'un syndicaliste défendant le petit commerce, le voilà classé comme un réactionnaire extrémiste. Surtout que le reproche de populisme est bien souvent une manière pour ceux qui sont élitiste de rejeter d'un geste l'opinion de la population qui n'est pas d'accord avec eux.

Néanmoins, les positions des poujadistes (refus de la construction européenne, défense de l'Algérie française) les classent tout de même bien à droite sur l'échiquier politique de l'époque. Il avait hébergé le jeune Jean-Marie Le Pen, alors plus jeune député de France, qui reprit ensuite à son compte une partie des thèmes du mouvement poujadiste. Cette forme de pensée constitue d'ailleurs toujours l'une des composantes du Front National, avec les catholiques traditionalistes et les authentiques racistes. Mais dans l'analyse historique du mouvement poujadiste des années 50, ce qui apparaît en fin de compte comme le plus gênant est son corporatisme forcené, alors que l'intérêt général doit toujours le seul but à rechercher. C'est, du reste, un trait commun à tous les syndicats. Et c'est justement la raison pour laquelle ceux-ci ne doivent pas entrer sur le terrain politique, dans les échéances électorales.

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