L’Uropi est une langue internationale

 

 

 

Qu’est ce qu’une langue véritablement internationale ?

 
Prenons quelques exemples simples:
1) L’Uropi :  “in de strad” (dans la rue) est immédiatement compris
                                     - par un Anglais qui dit “in the street”
                                     - par un Hollandais qui dit “op de straat” (hol. in = dans)
                                     - par un Italien qui dit “sulla strada” (it. in = dans)
et même                   - par un Allemand qui dit “auf der Straße” (al. in = dans)
 
2) “jeto u butèl a mar”, par un Français qui dit “jeter une bouteille à la mer”
 
3) “ito a dom”, par un Russe qui dit “itti domoï”  (aller à la maison).
 
4) Les phrases :  “Ven, Ramòn, ten mi pan!” ou “Ven Ana, ten mi flor!” sont à 100% espagnoles :  “Ven Ramon, ten mi pan, Ven Ana, ten mi flor!”, seule la prononciation change (un peu: le V espagnol se prononce ‘B’);
“in de kerk” (dans l’église) est à 100% hollandais “in de kerk” .
 

 

                

  La plupart des Langues Internationales Auxiliaires (I.A.L = International Auxiliary Languages) se sont fort peu préoccupées de leur degré d’internationalité, c’est à dire qu’elles se sont rarement demandé si (et en quoi) elles étaient vraiment internationales.

 

                  De l’Esperanto, qui est à plus de 70% d’origine latine[1], au Neo[2] qui augmente ce pourcentage à plus de 75 % et à l’Interlingua qui atteint les 100%, la question de l’internationalité ne semble pas vraiment avoir été posée; la tendance au “naturalisme” s’est accentuée, et pourtant, une I.A.L se doit d’être par définition internationale .

 

                  La question est délicate:

                  Il serait absurde de concocter un mélange artificiel[3] de chinois, de swahili, d’anglais et d’ourdou, pimenté de tagalog et d’aymara. Il serait tout aussi vain de s’inspirer des recherches récentes sur “la langue mère”[4] - d’ailleurs sujettes à caution - pour tenter d’en tirer un lexique inter-national digne de ce nom.

 

                  Dans cette perspective, il m’a semblé que choisir comme point de départ les racines indo-européennes était la seule voie possible, la seule voie raisonnable. En effet, des langues indo-européennes (L.I.E) sont parlées sur les cinq continents (plusieurs milliards de locuteurs), et, bien qu’il s’agisse presque toujours de la langue des conquérants[5] (anglais, français, espagnol, portuguais en Afrique et en Amérique), personne ne met plus en doute leur nécessaire utilité.

 

                  Cela dit , ces racines indo-européennes ne pouvaient servir que de point de départ, car elles sont, reconstituées par les linguistes, souvent méconnaissables et trop complexes[6] pour des locuteurs contemporains. Il fallait encore suivre leur histoire jusqu’à nos jours, et constater que ces racines ont donné naissance ou non, à des termes utilisés aujourd’hui, sélectionner celles (et ceux) qui sont communs au plus grand nombre de langues actuelles, éliminer celles qui sont tombées dans l’oubli, comme par exemple ekwos* le cheval, racine commune à toutes les L.I.E anciennes et qui a pratiquement disparu des L.I.E modernes (subsistant en français dans des termes secondaires comme équitation, du latin equus < ekwos*, ou hippique, du grec hippos < ekwos*).

                 

                           Le mot Uropi est né de la confrontation d’une racine-mère indo-européenne (lorsqu’ elle existe) et des ses “rejetons”, fils et petit-fils européens.

 

                  Par exemple, la racine indo-européenne kwôn* = chien, qui a donné

le sankrit s’vâ, l’arménien [choun], grec kuôn, kunos, le latin canis > italien cane, espagnol/occitan can, portugais cão, roumain, cîine, français chien, mais aussi l’allemand Hund, anglais hound, néerlandais hond, suédois, danois, norvégien hund, breton ki, gallois ci (Pluriel cwn), gaélique (pl. cunna = chien de chasse, lévrier), lituanien s’ (génitif s’uns), letton suns = chien.

 

                           donne l’Uropi kun qui est sans conteste la forme la plus proche de tous.

 

                  Les mots Uropi vont donc entrer dans plusieurs catégories:

 

1) Les “VIEILLES FAMILLES”

Ce sont les termes issus des racines indo-européennes qui se sont maintenues jusqu’à nos jours comme

sol (soleil), mata (mère), kun (chien), sedo (être assis), sto (être debout), le3o (être couché), mar (mer), moro (mourir), etc…

 

 

                           2) Des termes n’appartenant clairement qu’à une SEULE FAMILLE de langues européennes (romane, germanique, slave, grecque, celtique, etc…)

par exemple: veno[7], jeto, lavo = venir, jeter, laver (R), breko, sendo, findo = casser, envoyer, trouver (G), jedo, pivo, 3ivo = manger, boire, vivre (Sl.), pol, bib, pod, krati = ville, livre, pied, fort (Gr.), etc…

 

                           et parfois à une langue donnée[8],

par exemple: varto, for, nas, laso = attendre, avant, nez, laisser (allemand), kerk, kopen, apel, nemo = église, acheté, pomme, prendre (néerlandais), vin, tu, nu, vu = vin, tu, nous, vous (français), flor, mi, dia, mar = fleur, mon, jour, mer (espagnol), and, op, mus, tag = canard, vers le haut, souris, toit (danois), tu, gova, nav = tu, vache, bateau (arménien), he, son, kat, mako = il, fils, chat, fabriquer (anglais), avo, strad, su, sedo, voc = avoir, rue, sur, être assis, voix (italien), vod, 3ina, tici, bito = eau, femme, tranquille, battre, (russe), etc…

 

                         3) MOTS METISSES

 

                           Des racines appartenant à différentes langues, en se rencontrant, ont pu se mélanger pour donner naissance à des “mots métissés”. Nous observons ce phénomène lorsque deux langues sont amenées à cohabiter pendant une assez longue période, comme ce fut le cas du francique (langue des Francs) et de ce qui allait devenir le français, sous les mérovingiens et les carolingiens, ou du saxon et du franco-normand dans l’Angleterre médiévale. C’est alors que la forme aut - issue du latin altus = haut - a rencontré le francique hôh (CF allemand hoch, hohe = haut) et a donné le français haut.

 

                  Il s’agit également d’un procédé utilisé dans certaines langues comme l’anglais pour créer des mots nouveaux: le célèbre “smog” londonien est issu du croisement du mot smoke = fumée et de fog = brouillard.

 

                           L’Uropi a recours à ce procédé pour créer des “mots-métis” qui renvoient à plusieurs racines dans plusieurs familles de langues européennes:

 

C’est le cas du mot glod = le sang, issu d’une racine germanique (sué. da. nor. blod, ang. blood, néer. bloed, al. Blut), mais dont le b devient g sous l’influence à la fois du celte (breton gwad = sang), de l’albanais (gjak = sang) et du slave: russe krov’ (< i-e krowyom*, krûs* = sang > lat. cruor, lit. kraujas), ou du mot giso = mordre, issu du balto-slave: letton kost, lituanien kásti, russe kousat’, tchèque kousati = mordre + persan (fârsi) gâz (= morsure), influencé par l’allemand: beißen, biß = mordre, le serbo-croate gristi et le polonais gryz’c’ = mordre, ainsi que par l’Uropi givo (< i-e giew*) = mâcher.

 

                           Ce procédé donne aux mots Uropi une valeur allusive: chaque terme fait un clin d’oeil à d’autres racines, à d’autres langues, ce qui leur donne un air familier avec la plupart d’entre elles.

 

                           Par exemple, le mot hol = haut (< fr. haut + al. hoch) retrouve le l sous l’influence de it./esp. alto et du breton uhel, gallois uchel, et renvoie en même temps à hel = ciel. Le mot keb = tête (< grec kephalê, lat. caput, esp. cabeza, al. Kopf) renvoie à kib (sommet, le haut) qui renvoie à fr. cime & al. Gipfel, et aussi à kip (bout, extrémité), qui renvoie à son tour à it. capo (tête, chef, bout) et à ang. tip (extrémité).

 

                 SUR LE PLAN GRAMMATICAL comme sur le plan LEXICAL, l’Uropi est une langue très démocratique: la majorité l’emporte.

 

                  Par exemple: quel terme choisir pour le mot pomme ?

                           1) La racine indo-européenne abol*/abel* = pomme, présente dans 22 langues anciennes et modernes : gaulois avallo, vieil irlandais ubull, gaélique úll, gallois afal, breton aval, gotique apel, vieil islandais eple, islandais epli-, vieux haut allemand apful > al. Apfel, néer. appel, ang. apple, danois æble, norvégien eple, suédois äple, lituanien obuolys, letton âbols, vieux slave ablüko > russe iabloko, tchèque: jablko, polonais: jabl-ko, serbo-croate jabuka, d’où l’Uropi apel.

                           2) grec mhlon “ mêlon”, latin malum, grec moderne mhlo “mîlo”, italien mela, roumain mär, albanais móllë = 6 langues

                           3) espagnol manzana, portugais maçã = 2 langues

                           4) français pomme = 1 langue > Esperanto pomo

 

                  Pour boire

                           1) i-e pibô* > skr. pibati (il boit), hin. pînâ, tsik. pi (boire), v. arm. ëmpem (je bois), arm. embéli (boisson), alb. pi (boire), gr. pinô, lat. bibo > it bevo, esp. bebo, roum. beau, virl. ibim (je bois), port. beber, cat./occ beure, bret. evañ (boire), rus. pit’, pol. pic’, srcr. piti, tch píti (= boire; dans toutes les langues slaves piv/wo = bière), soit 19 langues: d’où Uropi pivo = boire.

 

                           2) al. trinken, néer. drinken, ang. drink, da. nor. drikke, sué. dricka = 6 langues > Esperanto trinki

                          

                  LE FUTUR: ve + infinitif (-o)

par exemple: ve voko, ve veno, ve sopo = parlera, viendra, dormira: cette structure se retrouve dans 14 langues:                      

 

anglais (will talk, will come, will sleep), allemand (werde sprechen, wirdst kommen, wird schlafen), néerlandais (zal spreken, zal komen, zullen slapen), danois (vil have, vil give, vil skrive), suédois (ska vara, ska läsa, ska ha), roumain (voi vorbi, vei face, va da), grec moderne (tha eimai, tha mathainô, tha milîsô), russe(boudou tchitat’, boudech’ govorit’…), tchèque (budu psát, bude brát, budeme pít), serbo-croate (ja c’u imati, on c’e biti, mi c’emo videti), arménien (bidi dam, bidi kam, bidi esém), albanais (do të shkoj, do të hap, do të laj)                                   

 

 

+ futur proche en français (vais manger, vas chanter, va dormir) et espagnol (voy a hablar, vas a venir, va a comer)

                           Le futur synthétique de type français: -rai, -irai, -erai ne se retrouve que dans les langues romanes (fr. it. esp. port.) = 4 langues

 

                           LE GENITIF: -i(s), -u(s) en Uropi,

par exemple: man, mani, manis = homme, d’homme, d’hommes; mata, matu, matus = mère, de mère, de mères, existe dans toutes les langues germaniques (ang., all., sué., da. nor.), à l’exception du néerlandais, toutes les langues slaves (rus., pol., tch., serbo-croate, etc…), baltes (lituanien & letton), en arménien, albanais, grec et roumain, soit au moins 15 langues (sans compter l’ukrainien, le biélorusse et le bulgare). En revanche, l’accusatif, que conserve l’esperanto, n’existe plus que dans 8 langues (slaves et baltes en grec et en allemand) et ses formes se sont considérablement réduites dans ces deux dernières langues.

 

                           LES ADJECTIFS en -i,

                           par exemple: lovi, miki, krati, novi = joli, petit, fort, nouveau, se retrouvent en

 

                           anglais -y (lovely, ready, empty = joli, prêt, vide), langues slaves (masculin singulier): en russe: yï, -iï : (“malen’kiï, tchiornyï, korotkiï” = petit, noir, court), serbo-croate -i: (mali, novi, dugi = petit, nouveau, long), tchèque –y’, -í: (dobry’, plny’, první, jarní = bon, plein, premier, printanier), polonais -i, -y: (drogi, lekki, leniwy, lichy = cher, léger, paresseux, mauvais), en italien (masculin pluriel): -i (piccoli, grandi, belli = petits, grands, beaux), et en hongrois: víz, vízi = Ur. vod, vodi = eau, aquatique, tenger, tengeri = Ur. mar, mari = mer, maritime, auquels il faudrait rajouter all. isch, néer. ijk, scandinave ik ainsi que l’hébreu: halav, halavi = Ur. lik, liki = lait, lacté, ma’arav, ma’aravi = Ur. west, westi = ouest, occidental, yisra’èli, angli = Ur. Israeli, Engli = israélien, anglais, etc… et l’arabe faransâwi, arabi, tolyâni = français, arabe, italien, bonni, româdi, samâwi = marron, gris, bleu ciel,

 

                           soit 7 ou 12 langues.

 

                           LE FEMININ en -a,

par exemple: mata, kuna, raja = mère, chienne, reine, se retrouve dans

 

les langues romanes (latin: femina, puella, equa, vacca = femme, fille, jument, vache, italien: donna, gatta = femme, chatte, espagnol: tia, gallina = tante, poule, portugais: filha, gata, rainha = fille, chatte, reine), grec.moderne: = femme, tante, chienne, chatte, langues slaves (russe : jena, kochka, kobyla, koroleva = femme, chatte, jument, reine, serbo-croate: z’ena, mac’ka, kraljica = femme, chatte, reine, tchèque: z’ena, koc’ka, c’ubka, kralovna = femme, chatte, chienne, reine, polonais: z’ona, koza, krowa, królowa = femme, chèvre, vache, reine, bulgare: “jena” = femme, etc…), + arabe: malika, khâla/’amma, kalba = reine, tante, chienne)

 

= au moins 11 langues.

 

                           Cette majorité se réduit parfois à des “minorités agissantes”

 

                  Par exemple pour la forme durative: so (être) + participe présent (-an)

i se jedan, se sopan, sì skrivan = je suis en train de manger, de dormir, était en train d’écrire, que l’on retrouve en

anglais (am eating, is sleeping, was writing), italien (sto mangiando, sta dormendo, stava scrivendo,), espagnol (estoy comiendo, esta durmiendo, estaba cantando) + français (suis en train de dormir, est en train de travailler), néerlandais (ben aan het verhuizen, is aan het uitzoeken)                         

 

                           = 5 langues

 

                  ou le passif: vido (devenir) + participe passé (-en)

je vid jeden, vid struen, vidì stopen = il est mangé, construit, a été arrêté, que l’on retrouve en

 

allemand (werden) (ich werde gestraft, die Maus wird gefressen, die Bücher werden gelesen = je suis puni, la souris est mangée, les livres sont lus), néerlandais (worden) : (de muis wordt gegeten, het boek wordt gelezen, de huizen werden gebouwd = la souris…, le livre est lu, les maisons sont construites) danois (blive) (døren blive åbnet, lyset blive slukket = la porte est ouverte par… (s’ouvre), la lumière est fermée par… (se ferme), suédois (bli) (hon blev kallad, hon ska bli opererad = il fut appelé, il sera opéré)

 

                           = 4 langues

 

                  Ici la logique l’emporte sur le nombre: lorsque l’on dit la souris est mangée par le chat, celle-ci passe de l’état d’animal vivant à celui d’aliment ingurgité; elle “devient” mangée, c’est, hélas pour elle, un devenir, non un état. De même, le livre devient lu, la maison devient construite, la porte devient ouverte (se lit, se construit, s’ouvre), la lumière devient fermée, il devient appelé, il deviendra opéré.

 

 

 



[1] Auxquels s’ajoutent un certain nombre de racines germaniques plus ou moins bien choisies (comme vundi, lando, vorto = blesser, pays, mot, mais knabo, birdo, bedaûri = garçon, oiseau, regretter, sont particulièrement mal choisis), le tout saupoudré de quelques mots slaves isolés, p ex: krom = outre (russe “kromié”) ou ^selkoj = bretelles (polonais szelki)

 

[2] Voir Esperanto-Uropi-Neo sur le site

 

[3] Voir l’ADLI d’Antoine Piras, mélange arbitraire de mots anglais, français, allemands, italiens espagnols. Par exemple:

“Cette fille jung se look oft in la glace for el be coquet”

 

[4] Voir Merritt Ruhlen, L’Origine des Langues, 1994, qui reconstruit 27 racines communes mondiales de la “langue mère”.

 

[5] C’est également le cas pour L’Europe à une date très ancienne 6000 à 5000 ans BP (before present), et pour l’Inde où le sanskrit a supplanté les langues dravidiennes sur une grande partie du sous-continent.

 

[6] Voir le Neoblabo d’Emmanuel Marcq, très fidèle au proto-indo-européen reconstitué, mais par là-même très complexe : par ex. ad uhlqones (au loup) < wlkwos* (loup), puiomi (boirai) < pibô* (boire), exnom (aurait su) < gnôskô = connaître, esmh (je suis) < esmi* (id), dhnqam (accusatif: la langue) < dnghwâ* (langue), edhth (mange) < edti* (id), xeslo < gheslom* (mille), etc…

 

 

[7] Venir est issu de la même racine indo-européenne que l’allemand kommen, anglais come, grec bainw “bainô”, lat. venio = < i-e gwmskô*, gwmyô* = venir

[8] Ce qui n’exclut pas la parenté de ces termes avec leurs équivalents dans d’autres langues, bien au contraire: laso (< al. lassen mais aussi fr. laisser, it. lasciare), nas (al. Nase, it. naso, rus. nos, fr. nez…), kopo (neer kopen, sué köpa, rus koupit’…), etc…