La ville de Montréal
Poème : Villes (villes 1 au pluriel)
"Villes 1" est le 18ème poème des "Illuminations"
Villes 1
Ce sont des villes ! C'est un peuple pour qui se sont montés ces Alleghanys et ces Libans de rêve ! Des chalets de cristal et de bois qui se meuvent sur des rails et des poulies invisibles. Les vieux cratères ceints de colosses et de palmiers de cuivre rugissent mélodieusement dans les feux. Des fêtes amoureuses sonnent sur les canaux pendus derrière les chalets. La chasse des carillons crie dans les gorges. Des corporations de chanteurs géants accourent dans des vêtements et des oriflammes éclatants comme la lumière des cimes. Sur les plates-formes au milieu des gouffres les Rolands sonnent leur bravoure. Sur les passerelles de l'abîme et les toits des auberges l'ardeur du ciel pavoise les mâts. L'écroulement des apothéoses rejoint les champs des hauteurs où les centauresses séraphiques évoluent parmi les avalanches. Au-dessus du niveau des plus hautes crêtes une mer troublée par la naissance éternelle de Vénus, chargée de flottes orphéoniques et de la rumeur des perles et des conques précieuses, - la mer s'assombrit parfois avec des éclats mortels. Sur les versants des moissons de fleurs grandes comme nos armes et nos coupes, mugissent. Des cortèges de Mabs en robes rousses, opalines, montent des ravines. Là-haut, les pieds dans la cascade et les ronces, les cerfs tettent Diane. Les Bacchantes des banlieues sanglotent et la lune brûle et hurle. Vénus entre dans les cavernes des forgerons et des ermites. Des groupes de beffrois chantent les idées des peuples. Des châteaux bâtis en os sort la musique inconnue. Toutes les légendes évoluent et les élans se ruent dans les bourgs. Le paradis des orages s'effondre. Les sauvages dansent sans cesse la fête de la nuit. Et une heure je suis descendu dans le mouvement d'un boulevard de Bagdad où des compagnies ont chanté la joie du travail nouveau, sous une brise épaisse, circulant sans pouvoir éluder les fabuleux fantômes des monts où l'on a dû se retrouver.
Quels bons bras, quelle belle heure me rendront cette région d'où viennent mes sommeils et mes moindres mouvements ?
Rimbaud,
Illuminations, 1875 |
Note Gallimard :
Après "Ville" au singulier, c'est encore une ville de rêve, même si certains éléments en sont identifiables isolément. L'essentiel est ici, comme dans plusieurs poèmes du même ordre, un éblouissant "exercice de style".
Plan
Introduction
1-A la recherche d'un idéal
2-Une vision imaginaire
3-Chefs-d'oeuvre en périls
Conclusion
Introduction
"Villes" au pluriel, du recueil " Illuminations", est précédé de "Ornières»
et suivi de "Vagabonds" qui précède
le second poème sur "villes". Ce premier des deux poèmes
intitulé "villes" peut être lu à priori
comme l'expression d'un âge d'or de l'urbanisation couronné
par l'assomption de Vénus anadyomène, la Vénus sortant
des eaux, métaphore de la beauté de la ville moderne, construction
humaine à partir de la nature.
1 A la recherche d'un idéal
On se pose souvent la question des motivations des êtres
humains à se rassembler de plus en plus nombreux dans des espaces
de plus en plus étroits, les villes. "Ce sont des villes",
cette simple exclamation montre l'admiration de notre
poète pour les villes en général, carrefours d'influences
culturelles, élégance des rues, des édifices, multiplicité
des expositions culturelles. Culture, civilisation, tel sont les maîtres
mots de cet idéal, de cette recherche d'élévation qui structure le texte. La verticalité des cratères, la
grandeur des colosses, les cimes, les plates-formes, le toit, le ciel,
le mat sont autant d'éléments qui participent à cette ascension. L'omniprésence d'éléments
naturels, les cratères, les gorges, les gouffres associés
à des musiques douces, le mugissement mélodieux, le carillon,
donne à la ville une apparence harmonieuse entre
l'art, la technique et la nature. Les villes donnent
une impression de bonheur, on y donne des fêtes
amoureuses, on pavoise les mats, on décore les auberges
avec ardeur. On a de la ville une impression de vie, d'ardeur harmonieuse.
2- Une vision imaginaire
Ces villes, ce sont les "Alléganys",
des montagnes des Etats-Unis, l'Occident ou des Libans
de rêve, l'Orient, un brassage de cultures, un
mélange de modernité des Etats-Unis, de reliefs, de parfums
avec l'exotisme oriental du Liban. Rimbaud est l'architecte
de ses féeries, il construit en les parcourant
des viles éphémères et fragiles,
faites de bois, de verre dans une sorte d'errance surréaliste.
Ce sont des villes qui bougent, mues par un mécanisme invisible
pour les êtres ordinaires, mais que lui Rimbaud, le voyant
peut découvrir. Pour bien monter qu'il s'agit de villes imaginaires,
sans existence réelle pour un non voyant. Rimbaud brasse les sons, les couleurs, les mots,
joue sur le ton rouge avec le cuivre et le feu, sur les mots, rougissent
et rugissent, mélange la douceur des palmiers et la terreur des
palmiers dans une sorte d'apothéose de son spectacle
urbain. Il reprend les légendes, des textes imaginaires
qui ajoutent du merveilleux à des faits réels
déformés. Notre Roland, modeste comte devient neveu de Charlemagne dans la légende. Il refait les légendes, donne vie aux statues,
aux divinités, Diane, déesse de la chasse donne le sein
à un cerf, Vénus marche et rend visite à Vulcain,
le dieu des forgerons, laid et boiteux pour l'épouser. Rimbaud
recours à la mythologie, à la puissance émotionnelle
d'un passé légendaire, imaginaire et magnifié
pour appuyer sa féerie des villes et donner du merveilleux à
ses "Brooklyn" et ses "incroyables Florides". La littérature romantique avait suivi avant lui les délices de
ces voyages imaginaires, de ces rêves d'exotisme.
On doit donc lire ce poème avant tout comme une création
poétique, fruit d'une imagination dans laquelle Rimbaud
se saisit de quelques éléments du réel et refait
l'histoire des êtres, en compose sa vision imaginaire,
en refait "la légende" à partir le l'existant,
la fait évoluer pour donner à son poème un plus grand
pouvoir émotionnel.
3 Chefs-d'uvre en périls
Quelques éléments situés dans le second mouvement
du poème viennent troubler cette vision idéale,
les châteaux sont bâtis en os et les "fabuleux fantômes"
rappellent la présence de la mort. Toutes ces architectures, ces
"Alléganys", ces "Libans de rêve" sont
autant de chefs-d'uvre en périls,
il apparaissent ici dans leur fragilité, à la merci
du langage qui les construit et les déconstruit dans un
même mouvement. Rimbaud qui sait trop bien que la grâce n'est donnée qu'à celui qui ne cesse de partir, de marcher,
de "passer" fait défiler dans les mots, ses rêves et ses fantasmes sans se retourner sur ce qui s'effondre
derrière lui, "l'écroulement des apothéoses",
une sorte de vide sémantique ou le silence. Il
souhaite vite revenir à la réalité et conclue "quels bons bras, quelle belle heure me rendront cette
région d'où viennent mes sommeils". Pour Rimbaud, l'homme
aux semelles de vent, l'accession à la ville doit rester une accession précaire comme à celle d'un univers où
les mots et la syntaxe servent de jalons et de lignes de fuite à
l'errance de notre bohémien, à notre vagabond de
la poésie.
Conclusion
Dans ce poème "Villes" Rimbaud semble osciller entre
un illuminisme prophétique et un romantisme
critique. Romantisme critique dans son admiration des villes,
espaces structurés contre les espaces naturels, même si dans
le second mouvement cette admiration est modérée. Illuminisme
prophétique des villes à l'architecture complexe, mélange
d'enfermement et d'évasion. Ce poème "Villes",
en prose, est l'une des plus belles visions de Rimbaud
Vocabulaire
Pluriel de chefs-d'oeuvre
La règle est la suivante que le pluriel des noms composés avec deux nioms, seul le 1er se met au pluriel, donc un chef-d'oeuvre, des chefs-d'œuvre
- un timbre-poste, des timbres-poste. Cependant, c'est le sens qui guide avant tout, plus que la juxtaposition des deux noms, car si on écrit bien des des timbres-poste, avec un singulier à Poste, on écrit aussi des stations-service, des stations qui offrent un service ou des pauses-café, des pauses pour prendre un café en général.
Villes visitées par Rimbaud en 1875
Londres, Stuttgart, Bruxelles, Paris
.
Jouons un peu
Quel est le monument payant le plus visité au Monde ? vous répondez La Tour Effel, c'est la bonne réponse. Entièrement métallique, 320 m de hauteur et 7175 t, c'est le symbole de la France. 7 millions de visiteurs par an.
Légende
Récit populaire qui a pour sujet
des événements ou des êtres imaginaires ou des faits
réels déformés et parfois mêlés de merveilleux
(La légende des siècles de Victor Hugo)
Alleghanys
Chaîne de Montagne à l'Est des Etats-Unis, rebord du plateau
appalachien de La Pennsylvanieà la Virginie mais aussi rivière
affluent de l'Ohio.
Liban
État d'Asie, ancienne Phénicie. 4 millions d'habitants sur
10.000 km2. C'est
le pays le plus urbanisé (85%).
Le Liban est un carrefour entre l'Occident et l'Orient
Chalet de cristal, de bois
construction en verre ou en bois, fragiles.
Carillon
Ensemble de cloches ou sonnerie d'une horloge, d'une pendule qui se déclenche à intervalle régulier. Du latin quaternio, groupe de quatre cloches de différents tons.
Oriflamme
Historiquement, la bannière des rois de France (drapeau autour duquel se rassemblait les vassaux lors du ban) .
Bannière d'apparat, de décoration
Roland et la légende
Neveu de Charlemagne (selon la légende car fils de Gisèle frère du roi, et Ganelon, son beau-père car second mari de Gisèle. En réalité Roland était un obscur comte de Bretagne), il commandait l'arrière garde de Charlemagne. Il fut tué à Ronceveaux. Il sonna le cor pour appeler Charlemagne à son secours, l'inverse de la bravoure, mais Charlemagne fit semblant de ne rien entendre.
http://romantis.free.fr/vigny
Orphée
Il descendit aux enfers pour ramener son épouse Eurydice mais ne devait la regarder qu'au dehors, ce qu'il ne fit pas et Eurydice mourut une seconde fois.
Conque
Coquille mais aussi trompe des tritons faite d'une de ces coquilles spiralées
Mab
Personnage de Roméo et Juliette de Shakespeare
Bacchante
Femme participant au culte de Bacchus, dieu du vin chez les Romains
Diane
Déesse de la chasse et de la nature sauvage correspondant à l'Artémis grecque.
Centaure
Être fabuleux représenté comme un monstre, moitié
homme et moitié cheval.
Vénus et Vulcain
Déesse de la beauté et de l'amour. Vulcain dieu du feu et
des forgerons était laid et boiteux. Il épousa Vénus
qui le trompa avec Mars.
Orphée
Orphée (en grec ancien Ὀρφεύς / Orpheús) est un héros de la mythologie grecque, fils du roi de Thrace Œagre1 et de la Muse Calliope. Poète et musicien, il était parfois considéré comme un prophète. Orphée a fait partie des Argonautes, est descendu en enfer pour avoir échoué à ramener sa femme Eurydice dans le monde des vivants.
Beffroi
Tour de guet élevée dans l'enceinte d'une vile puis tour, clocher d'une église.
Bagdad
Capitale de l'Irak sur le Tigre. La ville connut en 762 une splendeur
dont il ne reste que divers bâtiments tardifs. Au VIIIème
siècle, la ville réunissait les plus grands savants arabes
et non arabes.
L'amplification par l'utilisation des pluriels (villes, chalets, fêtes, poulies, mats, canaux, vêtements, toits, auberges, Rolands, centauresses, conques, versants, moissons, cratères, rails, colosses, feux....) donne au texte une
fonction messianique et au poète le rôle du porte
parole de l'humanité.
Liste des textes du recueil « Illuminations »
Après le déluge
Enfance I, II, III, IV, V
Conte
Parade
Antique
Being Beauteous
Ô la face cendrée
Vies I, II, III
Départ
Royauté
A une raison
Matinée d'ivresse
Phrases
Ouvriers
Les ponts
Ville (Je suis un éphémère)
Ornières
Villes I
Vagabonds
Villes II
Veillées I, II, III
Mystique
Aube
Fleurs
Nocturne vulgaire
Marine
Fête d'hiver
Angoisse
Métropolitain
Barbare
Solde
Fairy
Jeunesse I Dimanche
Jeunesse II Sonnet
Jeunesse III Vingt ans
Jeunesse IV
Guerre
Promontoire
Scènes
Soir historique
Bottom
H
Mouvement
Dévotion
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