Opinion
La mort de Dag Hammarskjöld en
1961.
Ce que nous dit l'assassinat d'un
secrétaire général de l'ONU sur la
situation actuelle en Libye
Mounadil al Djazaïri
Dag
Hammarskjöld
Samedi 20 août 2011
Vous le savez comme moi, la
« communauté internationale » est
préoccupée en ce moment par ce qui se
passe en Libye mais aussi en Syrie (pas
en Palestine, non et certainement pas à
Gaza).
Si dans le cas de la Syrie, la
dite communauté internationale s’est
limitée à l’adoption de sanctions (dont
ce pays était déjà affligé avant la
crise politique qu’il vit en ce moment),
la Libye a eu droit à une intervention
militaire exécutée par l’OTAN. Cette
dernière mandatée par je ne sais qui,
s’en est allée protéger les populations
civiles libyennes en bombardant toutes
sortes d’infrastructures, souvent
civiles.
C’est que Seïf el-Islam, le fils
du colonel Mouammar Kadhafi avait
parait-il promis des « rivières de
sang » ainsi que nous l’a rappelé M.
Sarkozy sur le pont du navire
humanitaire qu’est le porte-avions
Charles de Gaulle..
Pourtant, si on veut bien lire
le passage dont
sont extraites ces rivières de sang, on
a quelque peine à déceler une quelconque
expression de cruauté :
»La Libye est à un
carrefour. Soit nous nous entendons
aujourd’hui sur des réformes, soit
nous ne pleurerons pas 84 morts,
mais des milliers et il y aura des
rivières de sang dans toute la
Libye »,
Il s’agit en fait tout bonnement
d’un appel au dialogue, les rivières de
sang étant précisément le résultat à
éviter. Ce sang n’appartenant d’ailleurs
pas exclusivement aux rebelles.
Or, ces « rivières de sang » ont
joué un rôle essentiel pour emporter
l’adhésion des opinions publiques !
Gageons qu’il en ira de même avec
le massacre à tripoli que promet le chef
du Conseil National de Transition,
Moustapha Abdeljalil. Massacre dont il
nous précise bien qu’il ne sera pas le
fait des troupes du colonel Kadhafi mais
résultera de son refus de quitter le
pouvoir.
Ce qui se passe en Libye n’est en
rien une nouveauté mais rappelle
furieusement la rébellion katangaise qui
avait secoué l’ex Congo belge au début
des années 1960 (aujourd’hui République
Démocratique du Congo). A l’époque déjà,
la « communauté internationale »
(c’est-à-dire le Royaume Uni, la
France et les Etats Unis) soutenait une
rébellion armée opposée au gouvernement
légal, dirigé alors par Patrice Lumumba
puis par Mobutu Sese Seko.
La grosse différence est qu’à
l’époque, l’ONU avait à son secrétariat
général un homme intègre et fidèle aux
principes de la Charte de cette
organisation, le contraire de Ban
Ki-moon pour tout dire. Cet homme, le
Suédois Dag Hammarskjöld, périra dans ce
que des enquêtes classeront comme un
accident d’avion.
Cette version n’a cependant
jamais été admise par tous. Es le début
des années 1990, des collaborateurs du
secrétaire général faisaient part de
leurs soupçons selon lesquels
Hammarskjöld aurait été assassiné.
Aujourd’hui, Göran Björkdahl
donne les résultats de ses propres
investigations. S’appuyant sur des
témoignages oculaires, il affirme que
l’avion qui transportait le secrétaire
général avait été abattu par un avion de
chasse non identifié. Sans qu’on puisse
cependant le prouver, tout porte à
croire que la Grande Bretagne se
trouvait directement ou indirectement
impliquée dans cet assassinat. L’article
du Guardian que je vous propose vous
permettra de vous faire votre propre
opinion. Ce qui est sûr, c’est qu’on ne
fatiguait guère à l’époque à invoquer
des principes humanitaires et la
« communauté internationale » était à la
fois plus expéditive et, d’une certaine
manière, moins hypocrite.
Dag
Hammarskjöld: des preuves suggèrent que
l’avion du chef de l’ONU avait été
abattu
Par Julian Borger et Georgina Smith,
The Guardian (UK) 17 août 2011 traduit
de l’anglais par Djazaïri
Des témoignages oculaires selon
lesquels un deuxième appareil avait tiré
sur l’avion soulèvent des interrogations
sur l’étouffement du crash de 1961 et de
ses causes par les Britanniques
De nouvelles preuves sont apparues au
sujet d’un des mystères les plus
persistants de l’histoire de l’ONU et de
l’Afrique. Elles suggèrent que l’avion
qui transportait le secrétaire général
de l’ONU Dag Hammarskjöld a été abattu
au-dessus de la Rhodésie du nord
(l’actuelle Zambie) il y a cinquante
ans, et que cet assassinat avait été
étouffé par les autorités coloniales
britanniques.
Une commission d’enquête conduite par
les Britanniques avait impute le crash à
une erreur du pilote et une enquête
ultérieure de l’ONU avait largement
entériné ses conclusions. Elles avaient
ignoré ou minimisé des témoignages de
villageois qui vivaient aux abords du
lieu du crash et donnaient à penser à un
acte criminel. Le Guardian a parlé à des
témoins encore vivants qui n’avaient
jamais été interrogés lors des enquêtes
officielles et avaient eu trop peur pour
se faire connaître.
Selon les habitants de la périphérie
oust de la ville de Ndola, le
DC6 d’Hammarskjöld avait été abattu
par un deuxième avion plus petit. Ils
disent que le site du crash avait été
bouclé par les services de sécurité de
Rhodésie du nord le lendemain matin,
quelques heures avant l’annonce
officielle de la découverte de l’épave,
et qu’on leur avait ordonné de quitter
le secteur.
Les témoins clefs ont été localisés
et interviewés ces trois dernières
années par Göran Björkdahl, un
travailleur humanitaire Suédois basé en
Afrique, qui a fait de l’enquête sur le
mystère Hammarskjöld une affaire
personnelle depuis qu’il a découvert que
son père possédait un fragment des
débris du DC6.
«Mon père se trouvait dans cette
région de la Zambie dans les années 1970
et il avait questionné les habitants du
coin sur ce qui s’était passé, et un
homme de là-bas, voyant qu’il était
intéressé, lui avait donné un morceau de
l’avion. C’est ce qui m’a lancé,»
explique Björkdahl. Quand il vint à son
tour travailler en Afrique, il se rendit
sur le site et commença à interroger
systématiquement les habitants du coin
sur ce qu’ils avaient vu.
L’enquête conduisit Björkdahl à des
télégrammes jamais publiés auparavant –
que le Guardian a pu voir – datant des
jours précédant la mort d’ Hammarskjöld
le 17 septembre 1961, qui illustrent la
colère des Etats Unis et de la Grande
Bretagne à propos d’une opération
militaire onusienne avortée que le
secrétaire général avait ordonnée au nom
du gouvernement congolais contre une
rébellion soutenue par des compagnies
minières occidentales et des mercenaires
dans la riche région minière du Katanga.
Hammarskjöld se rendait par avion à
Ndola pour des discussions de paix avec
les dirigeants du Katanga, une rencontre
que les britanniques avaient contribué à
arranger. Le diplomate Suédois,
farouchement indépendant avait, jusque
là, mécontenté presque toutes les
grandes puissances du conseil de
sécurité par son soutien à la
décolonisation, mais le soutien que lui
apportaient les pays en voie de
développement garantissait pratiquement
sa réélection au poste de secrétaire
général lors du vote en assemblée
générale qui devait se tenir l’année
suivante.
Björkdahl travaille pour Sida,
l’agence suédoise pour le développement
international ; mais il a enquêté sur
son temps libre et son dossier d’enquête
ne reflète pas le point de vue officiel
de son gouvernement. Cependant, son
rapport fait écho au septicisme
manifesté par les membres Suédois des
commissions d’enquête devant le verdict
officiel.
Björkdahl conclut que:
• L’avion d’Hammarskjöld a très
probablement été abattu par un deuxième
avion non identifié.
• Les actions des officiels
Rhodésiens et Britanniques sur place ont
retardé la recherché de l’avion
disparu..
• L’épave avait été découverte et la
zone bouclée par les soldats et la
police rhodésiennes longtemps avant
l’annonce officielle de sa découverte.
• Le seul survivant du crash aurait
pu être sauvé mais on l’avait laissé
mourir dans un hôpital local mal
équipé..
• Au moment de sa mort, Hammarskjöld
soupçonnait les diplomates Britanniques
de soutenir secrètement la rébellion du
Katanga et d’avoir fait obstruction à
une démarche pour arranger une trêve.
• Quelques jour savant sa mort,
Hammarskjöld avait autorisé ine
offensive sur le Katanga – sous le nom
de code Opération Morthor - - en dépit
des réserves du conseiller juridique de
l’ONU, provoquant la colère de la Grande
Bretagne et des Etats Unis.
Les nouvelles preuves les plus
convaincantes viennent de témoins qui
n’avaient pas été interrogés auparavant,
des charbonniers qui exploitent le bois
aux alentours de Ndola, qui sont
aujourd’hui septuagénaires et
nonagénaires.
La nuit du crash, Dickson Mbewe, 84
ans aujourd’hui, était assis à
l’extérieur de sa maison dans le
quartier de Chifubu à l’ouest de Ndola
en compagnie d’un groupe d’amis.
“Nous avions vu un avion au-dessus de
Chifubu mais nous n’avions pas fait
attention à lui au début, » a-t-l
déclaré au Guardian. « Quand nous
l’avons vu une deuxième et une troisième
fois, nous avons pensé que cet avion
n’avait pas obtenu la permission de se
poser sur l’aéroport. Soudain, nous
avons vu un autre avion approcher à
grande vitesse du plus gros avion et
ouvrir le feu, ce qui avait l’apparence
d’une lumière vive.
“L’avion tout en haut a tourné et est
parti dans une autre direction. Nous
avons senti le changement dans le bruit
du plus gros avion. Il est tombé et a
disparu. »
Vers 5h du matin, Mbewe s’était rendu
à son four à charbon près du lieu du
crash, où il découvrit des soldats et
des policiers qui étaient déjà en train
de disperser des gens. Selon le rapport
officiel, l’épave n’avait été découverte
qu’à 15h.
“Il y avait un groupe de soldats
blancs transportant un corps, deux par
dzevant et deux par derrière,” a-t-il
dit. « J’entendais des gens dire qu’un
homme avait été retrouvé vivant et
devait être emmené à l’hôpital. Personne
n’a eu la permission de rester sur
place. »
Mbewe n’avait pas partagé ces
informations auparavant parce qu’on ne
lui a jamais demandé d ele faire,
dit-il. « L’atmosphère n’était pas
pacifique, on nous avait chassés des
lieux. J’avais peur d’aller à la police
parce qu’elle aurait pu me mettre en
prison. »
Un autre témoin, Custon Chipoya, un
charbonnier âgé de 75 ans, prétend lui
aussi avoir vu un deuxième avion dans le
ciel cette nuit là. « J’ai vu un avion
tourner, ses feux étaient bien visibles
et je pouvais entendre le bruit du
moteur, » dit-il. « Il n’était pas très
haut. A mon avis, il était à l’altitude
des avions qui se préparent à atterrir.
“Il est revenu une deuxième fois, ce
qui nous a fait regarder, et la
troisième fois, alors qu’il tournait en
direction de l’aéroport, j’ai vu un
avion plus petit s’approcher du plus
gros. L’avion plus petit, un avion à
réaction de plus petite taille,
s’approchait par l’arrière et avait une
lumière vive. Il a alors tiré quelques
salves sur le plus gros avion en
contrebas et est reparti dans la
direction opposée.
“Le plus gros avion a pris feu et a
commence à exploser, tombant vers nous.
Nous pensions qu’il nous suivait alors
qu’il arrachait branches et troncs
d’arbres. Nous avons pensé que c’était
la guerre, alors nous nous sommes
enfuis. »
Chipoya dit être retourné sur les
lieux le lendemain matin vers 6h et
avoir trouvé la zone bouclée par la
police et des militaires. Il n’a pas
parlé de ce qu’il avait vu parce que :
« Il était impossible de parler avec un
agent de police à ce moment là. Nous
avions juste compris que nous devions
déguerpir, » dit-il.
Safeli Mulenga, 83 ans, présent
également à Chifubu la nuit du crash,
n’a pas vu de deuxième avion mais a été
témoin d’une explosion. « J’ai vu
l’avion tourner deux fois, » dit-il.
“La troisième fois, le feu est venu
de quelque part au-dessus de l’avion, il
était très lumineux. Ce ne pouvait pas
être l’avion en train d’exploser parce
que le feu arrivait sur lui, » dit-il.
Il n’y avait pas eu d’appel à témoins
après le crash, et le gouvernement
federal ne voulait pas que les gens en
parlent, dit-il. « Certains avaient
témoigné sur le crash et ils avaient été
emmenés et emprisonnés. »
La nuit du crash, John Ngongo, 75 ans
aujourd’hui, était dans la brousse avec
un ami pour apprendre comment on fait du
charbon de bois, n’a pas vu de deuxième
avion mais est sûr d’en avoir entendu
un, dit-il »
Soudain, nous avons vu un avion qui
brûlait sur un côté venir vers nous. Il
était en flammes avant d’avoir percuté
les arbres. L’avion n’était pas seul.
J’entendais un autre avion s’éloigner
à grande vitesse, mais je ne l’ai pas
vu, » dit-il.
Le seul survivant parmi les 15
personnes à bord du DC6 était Harold
Julian, un sergent Américain affecté à
la sécurité d’Hammarskjöld. Le rapport
officiel indique qu’il est mort de ses
blessures, mais Mark Lowenthal, un
médecin qui avait participé aux soins
prodigués à Julian à Ndola, a déclaré à
Björkdahl qu’il aurait pu être sauvé.
“Je considère cet épisode comme ayant
été un de mes pires échecs
professionnels au cours de ce qui sera
une longue carrière, » écrit Lowenthal
dans un courriel. « Je dois en premier
lieu demander pourquoi les autorités US
n’avaient-elles pas mis en place leur
propre dispositif de recherche et
secours ? Pourquoi n’yai-je pas pensé à
l’époque ? Pourquoi n’ai-je pas contacté
les autorités US pour leur dire,
‘Envoyez d’urgence un avion pour évacuer
un citoyen des Etats Unis détaché auprès
de l’ONU qui est en train de mourir
d’une défaillance rénale ? ‘»
Julian a été laissé à Ndola pendant
cinq jours. Avant de mourir, il a dit à
la police qu’il avait vu des lumières
dans le ciel et une explosion avant le
crash.
Björkdahl soulève aussi des questions
sur les raisons pour lesquelles le DC6
avait dû décrire des cercles autour de
Ndola. Le rapport officiel prétend qu’il
n’ya zvait pas d’enregistreur de
conversations dans la tour de contrôle
en dépit du fait que ses équipements
étaient neufs. Le rapport du contrôle
aérien sur le crash n’avait pas été
déposé avant 33 heures après les faits.
Selon les documents sur les
événements de la nuit, le haut
Commissaire britannique pour la
fédération de Rhodésie et du Nyassaland
[actuel Malawi], Cuthbert Alport, qui se
trouvait à l’aéroport cette nuit là,
« avait déclaré soudain avoir entendu
qu’ Hammarskjöld avait changé d’avis et
avait l’intention de se rendre
ailleurs.De ce fait, le directeur de
l’aéroport n’avait pas déclenché
d’alerte d’urgence et tout le monde
était simplement allé se coucher. »
Les récits des témoins sur un autre
avion concordant avec d’autres récits de
personnes proches du dossier sur la mort
d’Hammarskjöld. Deux de ses proches
collaborateurs, Conot Cruise O’Brien et
and George Ivan Smith, sont devenus tous
deux convaincus que le secrétaire
général a été abattu par des mercenaires
au service d’industriels Européens au
Katanga. Ils sont également persuadés
que les autorités britanniques ont
participé à étouffer cette attaque. En
1992, ils avaient publié ensemble une
lettre dans le Guardian pour présenter
leur théorie. La suspicion sur les
intentions britanniques est un thème
récurrent dans la correspondance que
Björkdahl a examinée et qui date des
jours qui ont précédé la mort
d’Hammarsskjöld.
Formellement, le Royaume Uni
appuyait la mission de l’ONU mais, en
privé, le secrétaire général et ses
collaborateurs pensaient que les
officiels Britanniques faisaient
obstacle aux démarches de paix,
probablement en raison d’intérêts
miniers et des sympathies pour les
colonialistes blancs côté katangais.
Le matin du 13 septembre, le chef
séparatiste Moise
Tshombe avait signalé sa
disponibilité pour une trêve avant de
changer d’avis après avoir rencontré
pendant une heure Denzil Dunnet, consul
de Grande Bretagne au Katanga.
Il n’est pas douteux qu’au moment de
sa mort, Hammarskjöld qui s’était déjà
aliéné les Soviétiques, les Français et
les Belges, avait aussi mis en colère
les Américains et les britanniques avec
sa décision de lancer l’opération
Morthor contre les chefs rebelles et les
mercenaires au Katanga.
Le secrétaire d’Etat US Dean Rusk
avait dit à un des collaborateurs du
secrétaire général que le président
Kennedy était “extrêmement contrarié »
et menaçait de retirer son soutien à
l’ONU. Le Royaume Uni, avait dit Rusk,
était « tout aussi contrarié. »
Au terme de son enquête, Björkdahl
n’a toujours pas de certitude sur qui a
tué Hammarskjöld, mais il est quasiment
certain qu’il a été assassiné : « Il est
clair que de nombreuses circonstances
pointent vers l’implication possible de
puissances occidentales. Il y avait un
mobile – la menace pour les intérêts
occidentaux dans les énormes gisements
miniers du Congo. Et c’était l’époque de
la libération de l’Afrique, et on avait
des blancs qui tentaient désespérément
de s’accrocher.
« Dag
Hammarskjöld essayait de coller à la
charte de l’ONU et aux règles du droit
international. J’ai l’impression d’après
ses télégrammes et sa correspondance
privée qu’il était dégoûté par la
conduite des grandes puissances. »
Le service historique du ministère
britannique des affaires étrangères a
refuse de s’exprimer à ce sujet. Les
officiels britanniques considèrent que,
si longtemps après les faits, aucune
recherche ne pourrait démontrer de
manière concluante ou réfuter ce qu’ils
voient comme des thories de la
conspiration qui ont toujours entouré la
mort d’Hammarskjöld.
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