Le pot d'mougettes (histoire)

Disque 1 (1975) - Face 2 - Plage 1 - 3:37

Le nœud de cette histoire se situe au fond d'un pot de mogettes. La mogette est le nom vernaculaire du haricot blanc, légume national du Bas-Poitou. Il est cité également dans la chanson Bise me din Norine. Il en existe deux sortes : la mogette à coco, petite et ronde, et la mogette piate (= plate), c'est-à-dire le haricot lingot. Voici quelques conseils de préparation bilingues pour nous mettre en appétit avant d'entamer l'histoire de Zidor...

Parlange Français

D'aut'foés, o f'llait o faire tremper tote la nit. Anit, ol est pus la peine : les mougettes sant pus moucs qu'avant. O faut-t-o faire tchure dans d' l'aïve, à cha p'tit, bé lingtemps, à pu près quatre hures, avec rin que d' la grousse sao pis six gousses d'ail. O faut faire beun' attentiin qu'ol èche teurjous d' l'aïve, auteurment o rime, pis o s'ra pas si bin. O peut s' manger d' mêïme, avec de la zizouille, ou bé do jambin, mais ol est core meillur sus dos grousses routies graissaïes avec do burre pis beun' acimentaïes.

Autrefois, il fallait la faire tremper toute la nuit. Aujourd'hui, ce n'est plus nécessaire : les mogettes sont plus molles qu'avant. Il faut les faire cuire dans de l'eau, petit à petit, bien longtemps, à peu près quatre heures, avec seulement du gros sel et six gousses d'ail. Il faut faire très attention qu'il y ait toujours de l'eau, sinon cela prend au fond, et cela sera moins bon. Cela peut se manger tel quel, avec de la fressure, ou du jambon, mais c'est encore meilleur sur de grosses tartines grillées et beurrées, et bien salées et poivrées.

D'autres détails sur la mogette sont encore à consulter dans la section Le Blues do Bèchur de Mougète du chapitre Yannick Jaulin.

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Texte et traduction

Parlange Français

Le pot d' mougettes

A c'tte hure, i vas v's raquinter tchelle do pot d' mougettes.

Ol avét la Mère Roserpine pis l' Père Azolin-ye qu' habitiint dans l' fin fond d' la piaine dans-n-ine 'tite cabane. Tch'étéït en piein hivaèr. L'étiint itchi d' chaque couté do fouer d' la ch'minaïe, que l' se r'gardiint, fesiint graléï dos châtaignes, et pis l' bounhomme tapinait l' tchul d'in pener.

Et pis l'étiint là, parliant d' tot, parliant d' rin-ye, parliint do temps passéï, et pis tot d'in coup, v'là Azolin qui dit à Roserpine : « Te sés, ma paure bounne femme, o n'n ara bé iin d' nous dux, qu'in d' tchés bias jours, qui s'en ira. I avans teurjous vécu teurtous ensembe bé c'mme o faot depis soéxante ans qu'i sins dans l' même lit. Faut qu'i t' dis queuque chose, pace que, t' séïs, i t'avans jamés rin cachéï, més i ai quand même quèque chose sus l' tchèr qui m' fét do mao : ol ést, ma paure bounne femme... ol ést qu'i t'ai cocufiée.
- Oh ! viux salaod ! qu'a dit, de maême, bé, quand mêïme. Ah ! i arès jamès pensé tchu d' ta ! Toï qu'as fét tchu ?
- Eh ! voui, qu' le dit, t' sés, bé à dos foés, hé, on est poét mèïte de sés affaires, que l' disit d' mêïme.
- Et pis qu'alle dit : oh ! à l'âge qu'i sins-t-à c'tte heure, te peux bé m' dire qui qu'ol aïst.
- Bé, t' sés bé, ol a eu ta copine, la Rosée, itchi.
- Oh ! beurnancio ! Tchette Roséïe ! Ah ! bé dame, beurnancio ! I arais eu bé grand zire de tchu.
- Pis ol a eu, t' sés bé, la... la... la... la... la... la... la mariaïe, léï, tchelle qu' avait v'nu, là, tchette grande femme, qu' avait tchés grands puaos.
- Ah ! Hu, beurnancio ! Ah ! bé, m'étounne pas. T'as été m'né ta viande encore itchi, ah !
- Pis ol a eu, t' sés béï, tchelle assistante souciale qu' avait v'nu, itchi, au pays, peur voèr le namboureil do minde, si l'était, à la même hure teurjous au matin-ye qu'au tantout, teurjous à la même piace.
- Ah ! Hein ! Tchette grande, tchette grande fumelle, tchette grande houlère, qu'a dit, tchu minde qui portait poét d' chemise, heu, tch'ést bé quèque chose de bua ! »

Enfin-ye, ol a rèchté de maême. Queuques jours avant passéï. Ine belle s'raïe qu' l'étiint là, tos dux, v'là Roserpine qui dit à Azolin-ye : « Te sés, min paure bounhomme, si ol était moé qui m'en allais la peurmère, i ai queuque chose en travers itchi qui m'empêcha d' dormir depis l'aute jour, ol ést que, heu, moï avec, i ai in p'tit folailléï, qu'a dit, heu !
- Bé ! Oh ! Oh ! bé, tchu par éxempe ! Oh ! bé, toï, te m' la copes, que l' li dit de maïme. Bé, avec qui qu' t'o-z-as féït ?
- Bé, ol avét tin copain-ye, itchi, t' sés bé, Marius.
- Ah ! Marius ! Ha, ha ! m'o-z-avét jamés dit' !
- Pis, euh, euh, bé, t' sés bé, ol avét Julot, le marchand d' goréts. Oh ! bé, tchao, te séïs, te y a pas perdu : tos lés goréts qu' t'as eus dans tin tét', te peux éte sûr que l' t'avant pas coûté bé cher. Pis... pis... ah ! pis te sés, moï, i étais pus pratique que ta. Tch'était poét quimpliquaï, qu'a dit : à chaque foés qu'i o fesas, ch' te méttéïs ine 'tite mougette itchi dans l' pot' sus l' coin d' la ch'minèïe. »

Alors, v'là Azolin qui s' leuve, tot douc'me-ent. Le r'garde dans l' pot'. Tch'était in grand pot' de troés lites. O n'n avait les troas quarts. L'était piein-ye de p'tites mougettes à coco. « Assis-tu, qu'a li dit. Ah ! mon paure bounhomme, faut qu'i t' dis d'autes choses : ol ést qu' t'en as déjà mangé quate potaïes ! »

Le pot de mogettes

Maintenant, je vais vous raconter celle du pot de mogettes.

Il y avait la Mère Roserpine et le Père Azolin qui habitaient dans le fin fond de la plaine dans une petite ferme. C'était en plein hiver. Ils étaient ici de chaque côté du foyer de la cheminée, où ils se regardaient, faisaient griller des châtaignes, et puis l'homme raccommodait le fond d'un panier.

Et puis ils étaient là, parlaient de tout, parlaient de rien, parlaient du temps passé, et puis tout d'un coup, voilà Azolin qui dit à Roserpine : « Tu sais, ma pauvre femme, il y en aura bien un de nous deux, qu'un de ces beaux jours, qui s'en ira. Nous avons toujours vécu tous ensemble bien comme il faut depuis soixante ans que nous sommes dans le même lit. Il faut que je te dise quelque chose, parce que tu sais, je ne t'ai jamais rien caché, mais j'ai quand même quelque chose sur le cœur qui me fait du mal : c'est, ma pauvre femme... c'est que je t'ai cocufiée.
- Oh ! vieux salaud ! dit-elle, comme ça, bien, quand même. Ah ! je n'aurais jamais pensé ça de toi ! Toi qui as fait ça ?
- Eh ! oui, dit-il, tu sais, à bien des reprises, hé, on n'est point maître de ses affaires, dit-il comme ça.
- Et puis elle dit : oh ! à l'âge où nous sommes maintenant, tu peux bien me dire qui c'est.
- Bien, tu sais bien, il y a eu ta copine, Rosée, ici.
- Oh ! beurnancio ! Cette Rosée ! Ah ! ça alors, beurnancio ! J'aurais eu bien grand zire de ça.
- Puis il y a eu, tu sais bien, la... la... la... la... la... la... la mariée, elle, celle qui était venue, là, cette grande femme, qui avait ces grands cheveux.
- Ah ! Hu, beurnancio ! Ah ! bien, ça ne m'étonne pas. Tu es allé mener ta viande encore ici, ah !
- Puis il y a eu, tu sais bien, cette assistante sociale qui était venue, ici, au pays, pour voir le nombril des gens, s'il était, à la même heure toujours le matin que l'après-midi, toujours à la même place.
- Ah ! Hein ! Cette grande, cette grande femme, cette grande truie, dit-elle, cette personne qui ne portait pas de chemise, heu, c'est bien quelque chose de beau ! »

Enfin, c'est resté comme ça. Quelques jours ont passé. Une belle soirée qu'ils étaient là, tous deux, voilà Roserpine qui dit à Azolin : « Tu sais, mon pauvre homme, si c'était moi qui m'en allais la première, j'ai quelque chose en travers ici qui m'empêche de dormir depuis l'autre jour, c'est que, heu, moi aussi, j'ai un peu folâtré, dit-elle, heu !
- Bien ! Oh ! Oh ! bien, ça par exemple ! Oh ! bien, toi, tu me la coupes, lui dit-il comme ça. Bien, avec qui l'as-tu fait ?
- Bien, il y avait ton copain, ici, tu sais bien, Marius.
- Ah ! Marius ! Ha, ha ! il ne me l'avait jamais dit !
- Puis, euh, euh, bien, tu sais bien, il y avait Julot, le marchand de porcs. Oh ! bien, celui-là, tu sais, tu n'y as pas perdu : tous les porcs que tu as eus dans ton toit à cochons, tu peux être sûr qu'ils ne t'ont pas coûté bien cher. Puis... puis... ah ! puis tu sais, moi, j'étais plus pragmatique que toi. Ce n'était pas compliqué, dit-elle : à chaque fois que je le faisais, je mettais une petite mogette ici dans le pot sur le coin de la cheminée. »

Alors, voilà Azolin qui se lève, tout doucement. Il regarde dans le pot. C'était un grand pot de trois litres. Il y en avait les trois quarts. Il était plein de petites mogettes à coco. « Assieds-toi, lui dit-elle. Ah ! mon pauvre homme, il faut que je te dise autre chose : c'est que tu en as déjà mangé quatre potées ! »

Notes

Beurnancio, ou abeurnancio, est un juron difficile à traduire ; je ne l'ai d'ailleurs pas fait. Il exprime l'idée de repousser le mal. Son étymologie est très intéressante. Au moment du baptême d'un enfant, le parrain et la marraine étaient invités à dire au nom de leur filleul(e) qu'ils renonçaient au Diable : ils devaient prononcer la formule je renonce, soit en latin ab renuntio, devenu abeurnancio puis beurnancio. Variantes du juron : beurnancio trois foés ! ou encore beurnancio, beurnancio, que l' diabe t'emporte ! quand on croise le sorcier du village.

Zire exprime le dégoût, l'écœurement, la répugnance. Par exemple, tcho-là, le m' fait zire signifie celui-là, il me dégoûte. Un fait-zire est un personnage dégoûtant (cf. histoire Le percepteur), tout comme un homme azirable (cf. histoire Le vers solitaire). Ete zirous de qûque chouse veut dire être dégoûté par quelque chose ; dans l'absolu, un zirous est quelqu'un dégoûté pour un rien. Dicton : ol a pas pus zirous qu'in salaod : il n'y a pas plus zirous qu'une personne sale. Zire n'a pas besoin d'être traduit car ce mot est employé couramment en français régional (c'est-à-dire par des non-patoisants).

Le toit à cochons est tout simplement la porcherie, tout comme le toit à poules est le poulailler. Il est à noter que l'on prononce le t final, comme dans le mot pot qui apparaît à la phrase suivante.

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