L'héroïne de cette histoire est une dormeuse. Les dormeuses étaient des guérisseuses qui entraient en transe pendant leur consultation et prescrivaient les soins à donner pendant qu'elles dormaient. Zidor pense plus particulièrement ici à la dormeuse de Chaix, Léontine Chevasseau (épouse Girard), née au Vanneau, en plein marais mouillé. Mais d'autres exerçaient aussi leurs dons à Doix, Auzay, Velluire...
Auzay et Chaix, sur la rivière Vendée - Carte d'état-major type 1889, révisée en 1948 |
Le renom de la dormeuse de Chaix était tel que les clients attendaient même dans les tets à poule (poulailler), apportant leur propre bois pour se chauffer pendant l'hiver. Jusqu'en 1967, elle distribuait parfois jusqu'à cent tickets d'attente par jour. Sa technique pour entrer en transe consistait à se prendre le pouls au poignet. Cette popularité n'empêchait pas les incrédules de mépriser les dormeuses qu'ils considéraient comme dos fumelles de crapia (des crapauds femelles). A chacun de se forger sa conviction...
Quoi qu'il en soit, les talents de la dormeuse se limitent dans cette histoire à prescrire un remède naturel pour venir à bout d'une helminthose insidieuse.
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Le vers solitaire Le Bounhomme Joséï étét in bounhomme, queumment qu'i dirèïs, qu' en trouvét bèï dans son lit, in bounhomme qui fèsét bé au moins-ye cent... cent vingt kilos. Pis bounnes gens, la bounne femme, Mélanie, a l' voyèït tos lés jours dépéri... dépéri. Le mangeait poèt', do bout dos balots. Ine belle jornaïe, a li dit : « Bé mon paure bounhomme, bé 't-o qui t' prend ? As-tu bé vu ? 'Garde dinc itchi qu' te balles dans tés canucins !
Alors, ine belle jornaïe, v'là la bounne femme qui dit d' même : « 'Tends-tu ? I allins aller voèr la cousine, itchi, la Dormuse : a nous sogn'ra baï, lé, alle a l'habitude. » La v'là qui prend le canucin au bounhomme pis qui s'en va voèr la Dormuse. Quand alle a-t-arrivaï chez la Dormuse, v'là-t-o pas que... Ol avét do minde, do minde, l' saviant poét avour lés mette. Alle étét itchi, qu'alle attendét : « Alors, qu'a li dit, comment qu'o va d'pis qu'i t'avais vue ?
Alors, lés v'là qui rentent à la mésin. « Et pis, qu'a dit, te voéïs, dans huit jours o s'ra la lune. Te li dounn'ras bé d' la tisane, bé c'mme o faot, d' la sangu'nite, pis te verras : tch'ést ine grousse bêïte que l'a dans l' vente, in gros achét qui fét bé au moins trois quate mètes. Pis te verras, l' sortira. Més te séïs, quant' le sortira, pis qu' le sentira tchette bestiole, faut qu'o fache bé nèr. Et pis surtout, quant' le c'mmenc'ra à o sentir, faut qu' le l'aide, de maême, à o tirer tot douc'ment. » 'Lors huit jours après, v'là la bounne femme, au sèr, qui rente ine pieine beuroette de jaras, heu, et pis qu'a dit : « Tcho bounhomme, d' la force que l'aïst, hè, i allins faire la tisane dans la lessiveuse. De même, i s'rans bé sûrs d'en avoèr assaïz, qu'a dit d' même. » Fout la lessivuse dans la ch'minaïe, et pis, lés v'là tot installaïs. Frume les croiséïes peur qu'o fasse nèr. Alors a fout ine grande pieine soupiène de tisane au bounhomme. Le tis... le bounhomme, le buvét tchu do bout do balots. « Ah ! dame, qu'a dit, téïs si tch'étét do vin roge, o coul'rét bé pus vite, tès. »
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Le vers solitaire Monsieur José était un homme, comment dirais-je, qui était fort robuste, un homme qui faisait bien au moins cent... cent vingt kilos. Puis bonnes gens, sa femme, Mélanie, elle le voyait tous les jours dépérir... dépérir. Il ne mangeait point, du bout des lèvres. Une belle journée, elle lui dit : « Bien mon pauvre homme, bien qu'est-ce qui te prend ? As-tu bien vu ? Regarde donc ici que tu flottes dans tes caleçons !
Alors, une belle journée, voilà la femme qui dit comme ça : « Entends-tu ? Nous allons aller voir la cousine, ici, la Dormeuse : elle nous soignera bien, elle, elle a l'habitude. » La voilà qui prend le caleçon de l'homme et qui s'en va voir la Dormeuse. Quand elle est arrivée chez la Dormeuse, ne voilà-t-il pas que... Il y avait du monde, du monde, on ne savait pas où les mettre. Elle était ici, elle attendait : « Alors, lui dit-elle, comment ça va depuis que je t'avais vue ?
Alors, les voilà qui rentrent à la maison. « Et puis, dit-elle, tu vois, dans huit jours ça sera la pleine lune. Tu lui donneras bien de la tisane, bien comme il faut, de la sanguenite, et tu verras : c'est une grosse bête qu'il a dans le ventre, un gros vers qui fait bien au moins trois quatre mètres. Et tu verras, il sortira. Mais tu sais, quand il sortira, et qu'il sentira cette bestiole, il faut qu'il fasse bien noir. Et puis surtout, quand il commencera à le sentir, il faut qu'il l'aide, comme ça, à le tirer tout doucement. » Alors huit jours après, voilà la femme, au soir, qui rentre une pleine brouette de paille de fève, heu, et puis elle dit : « Cet homme, de la force qu'il est, hè, nous allons faire la tisane dans la lessiveuse. Comme ça, nous serons bien sûrs d'en avoir assez, dit-elle comme ça. » Elle met la lessiveuse dans la cheminée, et puis, les voilà tout installés. Elle ferme les fenêtres pour qu'il fasse noir. Alors elle met une grande pleine soupière de tisane à l'homme. Le tis... l'homme, il buvait ça du bout des lèvres. « Ah ! alors, dit-elle, tiens si c'était du vin rouge, ça coulerait bien plus vite, tiens. »
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La rente dont il s'agit ici est la retraite de son mari : Mélanie ne peut pas encore la percevoir.
La sanguenite, ou santonine (c'est-à-dire de Saintonge), est le principe actif du semen-contra, une plante dont le nom signifie mot à mot graine contre les vers (semen contra vermes) : il s'agit donc d'un vermifuge.
Le jara, ou chara, est ce qui reste d'une tige de fèves, de haricots, de pois, une fois les cosses vidées de leurs grains. On peut parler aussi de jara de patates. Ils peuvent être donnés à manger aux poules, aux lapins, etc. Dans le marais poitevin asséché où il n'y a pratiquement pas d'arbre, on en mettait dans la cheminée avec de la bouse de vache séchée pour économiser le bois trop rare. Cela permettait d'obtenir malgré tout un semblant de chaleur pendant l'hiver.
Ici, Zidor bredouille un peu : il veut dire soupière, bien sûr, et non soupiène.
La bonne traduction de soupiéraïe serait soupiérée plutôt que soupière, comme cuillerée pour cuiller. Mais le mot fait défaut en français.
En fait, la prononciation ché naï est un peu étrange : on dirait plutôt ché neuyaï. Il s'agit d'un chien noyé depuis plusieurs jours et dont le ventre est gonflé par les gaz émanant de la putréfaction. Exquise comparaison...
Avoèr dos fraîchurs signifie souffrir de coliques dues à un refroidissement.
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