Le vers solitaire (histoire)

Disque 2 (1976) - Face 2 - Plage 1 - 5:26

L'héroïne de cette histoire est une dormeuse. Les dormeuses étaient des guérisseuses qui entraient en transe pendant leur consultation et prescrivaient les soins à donner pendant qu'elles dormaient. Zidor pense plus particulièrement ici à la dormeuse de Chaix, Léontine Chevasseau (épouse Girard), née au Vanneau, en plein marais mouillé. Mais d'autres exerçaient aussi leurs dons à Doix, Auzay, Velluire...

Chaix

Auzay et Chaix, sur la rivière Vendée - Carte d'état-major type 1889, révisée en 1948

Le renom de la dormeuse de Chaix était tel que les clients attendaient même dans les tets à poule (poulailler), apportant leur propre bois pour se chauffer pendant l'hiver. Jusqu'en 1967, elle distribuait parfois jusqu'à cent tickets d'attente par jour. Sa technique pour entrer en transe consistait à se prendre le pouls au poignet. Cette popularité n'empêchait pas les incrédules de mépriser les dormeuses qu'ils considéraient comme dos fumelles de crapia (des crapauds femelles). A chacun de se forger sa conviction...

Quoi qu'il en soit, les talents de la dormeuse se limitent dans cette histoire à prescrire un remède naturel pour venir à bout d'une helminthose insidieuse.

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Texte et traduction

Parlange Français

Le vers solitaire

Le Bounhomme Joséï étét in bounhomme, queumment qu'i dirèïs, qu' en trouvét bèï dans son lit, in bounhomme qui fèsét bé au moins-ye cent... cent vingt kilos. Pis bounnes gens, la bounne femme, Mélanie, a l' voyèït tos lés jours dépéri... dépéri. Le mangeait poèt', do bout dos balots. Ine belle jornaïe, a li dit : « Bé mon paure bounhomme, bé 't-o qui t' prend ? As-tu bé vu ? 'Garde dinc itchi qu' te balles dans tés canucins !
- Ah ! voui, que l' dit, tchu poét tchu qu'i aï, més tcheu va poét piang'ment de tcho moument.
- Alors, bounnes gens, qu'a dit, i allans d'mander-t-ine cansulte.
- Més nin, que l' dit, te verras, oh ! qu' tchu pass'ra baï. La s'maine passéïe qu'i avans-t-été-t-à la foère à Lucin, i étais avec... le... min copain, itchi, Machin, pis tot d'in coup, i ai senti queuque chose qui m' descendait l' ling d' la cuisse, que l' dit, j'é tiraï bé vite. Le m'a dit : 't-o qu'ést tchu qu' t'as ? In galin d' cal'cin itchi ? Mmh ! Ah ! dame, que l' dit, i sés poét à mes assiettes. »
Alors v'là la bounne femme qui dit : « Ol a la voésine, itchi, qui m'a prétaï tchés... tchés affaires qu'on... qu'on musse peur prendre la pétanture. Dounne dinc, qu'i allins-t-éssayaï : i verrins tot d' suite.
- Ah ! dame, que l' disit, mets-mou pas tchu dans moï, que l' dit. Heu, o va poèt', pis heu, i crés bé qu'i é més d' cinquante, que l' dit. Itchi, tés, i pouvans pas nous touchéï d' la manière qu'i sés chaod. »

Alors, ine belle jornaïe, v'là la bounne femme qui dit d' même : « 'Tends-tu ? I allins aller voèr la cousine, itchi, la Dormuse : a nous sogn'ra baï, lé, alle a l'habitude. » La v'là qui prend le canucin au bounhomme pis qui s'en va voèr la Dormuse.

Quand alle a-t-arrivaï chez la Dormuse, v'là-t-o pas que... Ol avét do minde, do minde, l' saviant poét avour lés mette. Alle étét itchi, qu'alle attendét : « Alors, qu'a li dit, comment qu'o va d'pis qu'i t'avais vue ?
- Oh ! bé qu'a... dame, qu'a dit, moaï o va à pu près, més ol ést tcho pauve bounhomme, tcho pauve José, tchu va pas. L'ést... l'ést rin-ye de li-maème. »
Alors a dounne le canucin au bounhomme. V'là la bounne femme qui c'mmence à prende sin pougnet, pis qui dit : « Ah ! bé, dame, qu'a dit, l'ést poét en bounne posture, ést moé qui t'o dis. Ah ! bé, t' séïs, huit jours d' plus, pis t'avés pus d' bounhomme.
- Ah ! dis pas tchu, qu'a dit, i ai encore besoin d' li queuque temps. Tchu, tch'ést poét la rente, qu'a dit la bounne femme. »

Alors, lés v'là qui rentent à la mésin. « Et pis, qu'a dit, te voéïs, dans huit jours o s'ra la lune. Te li dounn'ras bé d' la tisane, bé c'mme o faot, d' la sangu'nite, pis te verras : tch'ést ine grousse bêïte que l'a dans l' vente, in gros achét qui fét bé au moins trois quate mètes. Pis te verras, l' sortira. Més te séïs, quant' le sortira, pis qu' le sentira tchette bestiole, faut qu'o fache bé nèr. Et pis surtout, quant' le c'mmenc'ra à o sentir, faut qu' le l'aide, de maême, à o tirer tot douc'ment. »

'Lors huit jours après, v'là la bounne femme, au sèr, qui rente ine pieine beuroette de jaras, heu, et pis qu'a dit : « Tcho bounhomme, d' la force que l'aïst, hè, i allins faire la tisane dans la lessiveuse. De même, i s'rans bé sûrs d'en avoèr assaïz, qu'a dit d' même. » Fout la lessivuse dans la ch'minaïe, et pis, lés v'là tot installaïs. Frume les croiséïes peur qu'o fasse nèr. Alors a fout ine grande pieine soupiène de tisane au bounhomme. Le tis... le bounhomme, le buvét tchu do bout do balots. « Ah ! dame, qu'a dit, téïs si tch'étét do vin roge, o coul'rét bé pus vite, tès. »
L' bounhomme coulét tchu, tot douc'ment. « Te sens rin-ye, qu'a li dit ?
- Nin, nin, sens rin, sens rin, sens rin.
- Prends-en dinc ine duxième ! »
Duxième soupiéraïe. Hé là là ! L'avét in vente comme in ché naï ! Hu ! Tot d'in coup, que l' li dit d' même : « Hé, i crés bé, i... i... i... i...crés bé qu'o v'là. I... attentiin ! » La bounne femme qu' étét itchi sus l' f... coin do fouer d' la ch'minaïe, alle étét en train d' brocher. Pensez dinc qu'a brochét d'pis l'âge de... tote tote tote tote 'tite, alle allét garder lés ouailles. Même qu'o fèsét nèr, a pouvét brocher quand mêïme.
« Hein ! bé t' sés c' qu'alle a dit, hein-ye ? O faut qu' te l'aides à sortir, tot douc'ment, tot douc'ment, tot douc'ment. » V'là l' bounhomme qui tire tot douc'me-ent, tot douc'me-ent, tot douc'me-ent. « Oh ! bé dame, que l' dit, oh ! tchu m' fét bé do baï, que l' dit ! » Fèsét bé in quart d'hure que l' tiréït, pis qu'o v'nét tot l' te-emps. « Bé ! dame, qu'a dit la bounne femme, i vas teurjous bé voér la tête qu'alle a à tcho bout tchelle affaire.
- Ah ! Fais pas tchu, que l' dit : t' sés bé qu'alle a dit si l'... jamais l' copét, l' poussét dux foés pus ling. » Pis tot d'in coup, l' bounhomme qui dit : « Oh ! bé dame, ma pauve Mélanie, i crés bé qu'i é dos fréchurs, i é in p'tit fréd au vente, i é ine fréchur qui m' monte.
- Ah ! la bounne femme qui dit : 'Tends-tu ? I vas pécher la lampe pigin, itchi, tchu... tchu équiaire pas bérède pis i vas bé voèr c' qu'ol en èïst, moé, d' tchelle affaère. » Alle allume la lampe pigin : heu, beurnancio d'azirabe bounhomme ! Pensez-vous baï qu' l'avét détricoté tote sa fianelle !

Le vers solitaire

Monsieur José était un homme, comment dirais-je, qui était fort robuste, un homme qui faisait bien au moins cent... cent vingt kilos. Puis bonnes gens, sa femme, Mélanie, elle le voyait tous les jours dépérir... dépérir. Il ne mangeait point, du bout des lèvres. Une belle journée, elle lui dit : « Bien mon pauvre homme, bien qu'est-ce qui te prend ? As-tu bien vu ? Regarde donc ici que tu flottes dans tes caleçons !
- Ah ! oui, dit-il, je ne sais pas ce que j'ai, mais ça ne va pas facilement en ce moment.
- Alors, bonnes gens, dit-elle, nous allons demander une consultation.
- Mais non, dit-il, tu verras, oh ! ça passera bien. La semaine passée pendant laquelle nous sommes allés à la foire à Luçon, j'étais avec... le... mon copain, ici, Machin, et tout d'un coup, j'ai senti quelque chose qui me descendait le long de la cuisse, dit-il, j'ai tiré bien vite. Il m'a dit : qu'est-ce que c'est que tu as ? Un galon de caleçon ici ? Mmh ! Ah ! certes, dit-il, je ne suis pas dans mon assiette. »
Alors voilà la femme qui dit : « Il y a la voisine, ici, qui m'a prêté ces... ces affaires qu'on... qu'on enfonce pour prendre la température. Donne donc, pour que nous essayions : nous verrons tout de suite.
- Ah ! alors, dit-il, ne me mets pas ça dedans, dit-il. Heu, ça ne va point, et heu, je crois bien que j'ai plus de cinquante, dit-il. Ici, tiens, je ne peux pas me toucher tellement je suis chaud. »

Alors, une belle journée, voilà la femme qui dit comme ça : « Entends-tu ? Nous allons aller voir la cousine, ici, la Dormeuse : elle nous soignera bien, elle, elle a l'habitude. » La voilà qui prend le caleçon de l'homme et qui s'en va voir la Dormeuse.

Quand elle est arrivée chez la Dormeuse, ne voilà-t-il pas que... Il y avait du monde, du monde, on ne savait pas où les mettre. Elle était ici, elle attendait : « Alors, lui dit-elle, comment ça va depuis que je t'avais vue ?
- Oh ! bien elle... alors, dit-elle, moi ça va à peu près, mais c'est ce pauvre homme, ce pauvre José, ça ne va pas. Il n'est... il n'est rien de lui-même. »
Alors elle donne le caleçon de l'homme. Voilà la femme qui commence à prendre son poignet, et qui dit : « Ah ! bien, alors, dit-elle, il n'est point en bonne posture, c'est moi qui te le dis. Ah ! bien, tu sais, huit jours de plus, et tu n'avais plus de mari.
- Ah ! ne dis pas ça, dit-il, j'ai encore besoin de lui quelque temps. Ça, ce n'est pas la rente, dit la femme. »

Alors, les voilà qui rentrent à la maison. « Et puis, dit-elle, tu vois, dans huit jours ça sera la pleine lune. Tu lui donneras bien de la tisane, bien comme il faut, de la sanguenite, et tu verras : c'est une grosse bête qu'il a dans le ventre, un gros vers qui fait bien au moins trois quatre mètres. Et tu verras, il sortira. Mais tu sais, quand il sortira, et qu'il sentira cette bestiole, il faut qu'il fasse bien noir. Et puis surtout, quand il commencera à le sentir, il faut qu'il l'aide, comme ça, à le tirer tout doucement. »

Alors huit jours après, voilà la femme, au soir, qui rentre une pleine brouette de paille de fève, heu, et puis elle dit : « Cet homme, de la force qu'il est, hè, nous allons faire la tisane dans la lessiveuse. Comme ça, nous serons bien sûrs d'en avoir assez, dit-elle comme ça. » Elle met la lessiveuse dans la cheminée, et puis, les voilà tout installés. Elle ferme les fenêtres pour qu'il fasse noir. Alors elle met une grande pleine soupière de tisane à l'homme. Le tis... l'homme, il buvait ça du bout des lèvres. « Ah ! alors, dit-elle, tiens si c'était du vin rouge, ça coulerait bien plus vite, tiens. »
L'homme avalait ça, tout doucement. « Tu ne sens rien, lui dit-elle ?
- Non, non, je ne sens rien, je ne sens rien, je ne sens rien.
- Prends-en donc une deuxième ! »
Deuxième soupière. Hé là là ! Il avait un ventre comme un chien noyé ! Hu ! Tout d'un coup, il lui dit comme ça : « Hé, je crois bien, je... je... je... je...crois bien que voilà. Je... attention ! » La femme qui était ici sur le f... coin du foyer de la cheminée, elle était en train de tricoter. Pensez donc qu'elle tricotait depuis l'âge de... toute toute toute toute petite, elle allait garder les brebis. Bien qu'il fît noir, elle pouvait tricoter quand même.
« Hein ! bien tu sais ce qu'elle a dit, hein ? Il faut que tu l'aides à sortir, tout doucement, tout doucement, tout doucement. » Voilà l'homme qui tire tout doucement, tout doucement, tout doucement. « Oh ! bien alors, dit-elle, oh ! ça me fait du bien, dit-il ! » Cela faisait bien un quart d'heure qu'il tirait, et que cela venait tout le temps. « Bien ! alors, dit la femme, je vais toujours bien voir la tête qu'elle a à ce bout cette affaire.
- Ah ! Ne fais pas ça, dit-il : tu sais bien qu'elle a dit s'il... jamais il coupait, il poussait deux fois plus long. » Puis tout d'un coup, l'homme dit : « Oh ! bien alors, ma pauvre Mélanie, je crois bien que j'ai des fraîcheurs, j'ai un peu froid au ventre, j'ai une fraîcheur qui me monte.
- Ah ! la femme dit : Entends-tu ? Je vais attraper la lampe pigeon, ici, ça... ça n'éclaire pas beaucoup et je vais bien voir ce qu'il en est, moi, de cette affaire. » Elle allume la lampe pigeon : heu, beurnancio d'azirable bonhomme ! Pensez-vous bien qu'il avait détricoté toute sa flanelle !

Notes

La rente dont il s'agit ici est la retraite de son mari : Mélanie ne peut pas encore la percevoir.

La sanguenite, ou santonine (c'est-à-dire de Saintonge), est le principe actif du semen-contra, une plante dont le nom signifie mot à mot graine contre les vers (semen contra vermes) : il s'agit donc d'un vermifuge.

Le jara, ou chara, est ce qui reste d'une tige de fèves, de haricots, de pois, une fois les cosses vidées de leurs grains. On peut parler aussi de jara de patates. Ils peuvent être donnés à manger aux poules, aux lapins, etc. Dans le marais poitevin asséché où il n'y a pratiquement pas d'arbre, on en mettait dans la cheminée avec de la bouse de vache séchée pour économiser le bois trop rare. Cela permettait d'obtenir malgré tout un semblant de chaleur pendant l'hiver.

Ici, Zidor bredouille un peu : il veut dire soupière, bien sûr, et non soupiène.

La bonne traduction de soupiéraïe serait soupiérée plutôt que soupière, comme cuillerée pour cuiller. Mais le mot fait défaut en français.

En fait, la prononciation ché naï est un peu étrange : on dirait plutôt ché neuyaï. Il s'agit d'un chien noyé depuis plusieurs jours et dont le ventre est gonflé par les gaz émanant de la putréfaction. Exquise comparaison...

Avoèr dos fraîchurs signifie souffrir de coliques dues à un refroidissement.

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