Quelques heures avant... puis au moment de l'explosion.

Gérard Jaffredou, extraits : Ma famille était installée en 1945/46, au Port de Commerce rue Jean-Marie Le Bris (du Chemin de fer à l'époque), dans une baraque en bois. Ce 28 juillet, vers midi je crois, alors qu'on se mettait à table, quelqu'un est arrivé en courant criant par les fenêtres "Sauvez-vous! Réfugiés, ensuite, dans l'ancien hôpital allemand un ordre nous est parvenu, rapidement, (comment, de qui ?) de ne pas rester là, de partir le plus loin possible.... Je nous revois montant les escaliers de Porstrein-Lapierre, morts de peur, dévorés d'angoisse, pleins d'inquiétude, sans aucune nouvelle «des hommes», en chaussons ou sabots, les mères en tabliers, trois ou quatre objets dérisoires dans les poches, fuyant vers la ville. On apercevait, de l'escalier, cet interminable panache de fumée au-dessus du port, puis arrivés là-haut, des curieux qui venaient au spectacle à l'extrémité Est du Cours d'Ajot.Une de nos voisines de la baraque, Madeleine Paugam, nous a conduits chez une sœur ou belle-sœur, dans petite maison entre la rue Paul Masson et le boulevard Montaigne. C'est là que, réunis autour d'une table et d'un coup de café, serrés les uns sur les autres, un peu réconfortés, nous avons entendu l'explosion. Un énorme bruit, bref : trois ou quatre secondes peut être : une éternité, et d'une extrême violence, indescriptible. Pendant longtemps le souvenir de ce bruit m'a terrorisé. Les jours suivants, le moindre claquement me faisait trembler. Gérard Jaffrédou 4.02.2010.


17h25: Un bruit fracassant suivi d'un souffle meurtrier: Le liberty ship vient d'exploser !

L'été de paix s'arrête brutalement.Une colonne de fumée grise monte jusqu'à 2500 mètres. Devenant ocre et noire elle forme un gigantesque champignon atteignant les 4000 mètres d'altitude... Hiroshima et Nagasaki surgissent des mémoires. LE SOUFFLE ravageur projette des milliers de débris pesant jusqu'à plusieurs tonnes pour des longueurs dépassant les 15/20 mètres... Un, de quelques kilos, va se ficher à Trémaouézan situé à 22 km!! (Nota: Au début de l'année 2010 deux de ces débris ont été découverts dans les charpentes de toitures en rénovation... en plein centre de Brest!!). Les badauds accrochés aux remparts du Cours Dajot se jettent derrière ceux-ci. Pourtant des mordus de la caméra filment ces instants apocalyptiques.Partout la mort terrasse des enfants, des femmes, des hommes. Une tôle vient guillotiner un être plein de vie boulevard Gambettta. Elle provient du navire déchiqueté. Les blessés sont 1000, 2000, 3000? Les gens hurlent, courent, fuient. Des photographes tirent des clichés afin que dans l'avenir ils sachent et n'oublient pas. La ville, le port reçoivent des morceaux de métal incandescents ouvrant des feux dans des immeubles et sur les toits de nombreuses baraques. Le bruit de la déflagration s'entend à des dizaines et des dizaines de kilomètres. Toutes les fenêtres voient leurs vitres brisées... ces éclats se fichent dans les chairs comme des aiguilles assassines. Des bâtiments s'effondrent tuant, blessant encore et encore. Des enfants assistent à la mort d'autres enfants... Une fillette de 7 ans devient muette pour 6 mois sous une dévastatrice tension psychologique. Une vague gigantesque de 6 à 7 mètres de hauteur balaie tout sur son passage et s'écrase sur la plage de Saint-Marc... Les baigneurs ont juste le temps de se mettre à l'abri abandonnant habits et sacs à mains à la furie destructrice. Un capitaine de navire dira qu’il a perçu le son de l’explosion à 100 km au large.


A la même minute sur le banc de Saint-Marc...

La vedette des Abeilles est pulvérisée. Les poumons de Yves Bignon (30 ans) et François Quéré (30 ans) éclatent... Ils meurent sur le coup. A quelques encablures se trouve le commandant de l'Océan Liberty, ERWEIN HOLST, qui reçoit un éclat fatal en pleine tête. Le capitaine de vaisseau Quédec est à ses côtés, à bord de la vedette du directeur du port; il a la vie sauve... Les vagues énormes coulent la vedette du major général; l'amiral Branellec et le capitaine de frégate de réserve Pont se sauvent à la nage... Elles retournent le bateau-pompe qui gîte, ensuite, de 50° tout en recevant des dizaines d'éclats.. Des pompiers sont blessés ou sont plongés en fond de rade. Eugène Le Fustec croit sa dernière heure arrivée... Il remonte à la surface... hébété... Le remorqueur "Canari" vient prendre ce navire en charge... "Le Goumier" revient et récupère un corps. Un transe-rade de la marine venant de la presqu'île de Crozon avec des techniciens est balayé: 2 morts... Sur mer comme sur terre l'effroyable se produit.


A terre, justement...

L'équipe de secours placée au 3ème éperon est projetée à 10 mètres mais échappe aux débris incandescents... Cependant deux sapeurs sont légèrement blessés et deux civils accompagnateurs ont un bras arraché pour l'un et une jambe sectionnée pour l'autre. La camionnette du matériel urgence est traversée par les éclats... Un de ceux-ci y met le feu. La moto-pompe voit son capot arraché. Aussitôt l'explosion les pompiers de la marine reviennent aux ordres du lieutenant Raymond Palu..

A terre, toujours, au château de Ker Stears il y a des enfants. Parmi eux Marie-Thérèse Guéguen 7 ans. Par la vidéo ci-dessous vous allez comprendre son drame de gosse. C'est un témoignage fort qui nous fait découvrir des résultantes non archivées. Cela signifie qu'en plus des morts, des blessés il y a des faits psychologiques destructeurs. Nous la retrouverons dans la 4ème et dernière page consacrée aux mémoires orales de quelques 15 personnes ayant vécu le 28 juillet 1947.


Constat de la détresse humaine

Plus de 100 familles se trouvent sans logis... Leurs baraques viennent de littéralement imploser. L'hôpital Ponchelet (placé au dessus de la falaise) est quasiment dévasté... Le plafond du cinéma Eden s'est effondré... Les verrières des ateliers de l'arsenal situés sur le site des Capucins sont pulvérisées (lire page 1 le témoignage de Jacques PAGE). Les pompiers professionnels et bénévoles affluent avec du matériel de lutte contre l'incendie. Ils arrivent, promptement, de Guipavas, du Relecq-Kerhuon, de Morlaix, de Landerneau, de Landivisiau, de Quimper voire de Quimperlé et de Plougastel-Daoulas. Ils néantisent les feux ayant des foyers près de structures à risques: raffineries de Pétrole avec une cuve contenant des dizaines de milliers de litres d'essence, entrepôts de la Coopérative Agricole de l’Ouest avec ses produits réactifs à la chaleur, société des produits Chimiques de l’ouest où 450 tonnes de nitrate d'ammonium sont entreposées, Foyer du Soldat et du Marin ayant en réserve 10 fûts de 200 litres d’essence et 11 caisses de 50 kilogrammes de dynamite (des volontaires aguerris les extraient et les entreposent en lieu sûr!).


Nous allons vers la quatrième et avant-dernière page de cette visite historique. Les témoignages récoltés en l'année 2010 sont précieux puisque offerts par des personnes ayant subi ou vécu le drame. Ne ratez pas ce rendez-vous avec elles... L'émotion est prenante. De plus vous découvrirez l'investissement de certains suite à cet évènement. Nous souhaitons qu'un hommage soit donné aux morts, blessés et aux secouristes, de toutes conditions, ayant fait preuve d'abnégation courageuse. Nous pensons qu'une plaque commémorative apposée sur l'ancienne Chambre de Commerce, située sur le quai de la Douane, serait un geste fort.

Merci aux archives municipales de Brest et en particulier à Hugues Vigouroux. Merci aux familles Yves Bignon et Eugène Le Fustec pour les photos de leurs albums privés. Merci à madame Charles-Yves Peslin pour ses archives mémorielles. Merci au collectionneur Goulven Le Gall. Merci à René Cadalen. Merci à Gérard Jaffredou. Merci aux archives de la Prémar Atlantique. Merci à Erwan Guéguéniat. Merci à Yffic Cloarec pour sa présence de webmaster. Merci à tous. Les textes, vidéos, interview et autres photos sont de Yffic Dornic. Les photos des collections privées sont sous droits réservés. Les interviews sont assujettis, pour utilisation , à un accord écrit de ou des personnes interviewées. L'exploitation, à but commercial, de tout ou partie de ce billet est interdite. Le 22 août 2010 à portde. Yffic Dornic.