Magnifique Jura  

 

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Visages de la

République en Comté

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➽ sources : ce remarquable livre :

"Marianne, "les visages de la

République" de Maurice Agulhon et

Pierre Bonte  (Gallimard Découvertes) et

aussi :

- "L'ABCdaire de la République et du

citoyen" (Flammarion)

- "les Marianne de la république en

Franche-Comté" d'Edouard Boeglin

(Cêtre)

La Franche-Comté figure parmi les régions atypiques qui comptent une sur-représentation des symboles de la République. Cette caractéristique est assez peu connue des francs-comtois eux-mêmes et il m'est apparu intéressant d'en offrir une synthèse qui s'avère complémentaire de la page dédiée aux clochers comtois. Curieuse géographie que celle des Mariannes, bien présentes sur le pourtour de la Méditerranée, sporadiquement en Dauphiné, Auvergne et régions industrielles autour de Paris et Rouen comme en notre Franche-Comté; absentes ou quasiment partout ailleurs. Ajoutant au symbole, les Mariannes ne sont jamais très loin des églises et leur tournent parfois le dos car si tout le monde sait qu'il y a un buste de Marianne dans les mairies, on ignore qu'en certaines communes on est allé jusqu'à ériger une statue à la vue des passants.

Citons Maurice Agulhon : "Ou bien ce village est le fief ou le pays natal de tel grand militant républicain ( Poupin, Trouillot, Stephen Pichon, Grévy dans le Jura, Bontemps en Haute-Saône et autres Couyba...) ou bien ce village a réussi une heureuse opération hydraulique, bienfait global du progrès, donc de la République".

Ainsi Marianne est-elle présente dans les villages comtois suivants : Jura : St-Claude, Moirans, Macornay, Chatelneuf, Andelot, Dole, Moissey, Bracon. Une marianne a existé mais disparu à Beaufort, Poligny, Arbois. Doubs : Rochejean, l'Abergement Ste Marie, Bolandoz, Torpes, Chemaudin, Besançon, Jallerange. Le village de Doubs a la particularité d'une Marianne-Cérès; une marianne a existé et disparu à Ruffey le Chateau. Haute-Saône : Rioz, Dampierre sur Salon, Soing, Neuvelles-les-la-Charité, Ormoy, Vougécourt, Ternuay. Marianne-Cérès à Traves et à Jussey; une marianne a existé mais disparu à Vénisey et Saulnot. Territoire de Belfort : une seule Marianne connue à Delle.

le tableau de Delacroix "la Liberté guidant le peuple"

Raccourci de l'histoire de Marianne

Tandis que la Révolution parisienne invente le symbole de la République et impose celui de la Femme à bonnet phrygien, le symbole de la Liberté, émerge au fond de la province pour la désigner le nom de Marianne. C'est le "garisou de Marianno", chanson populaire occitane qui est à l'origine du nom Marianne. En Languedoc, les badauds s'apostrophent dans la rue d'un "comment va Marianne?", dans le sens de comment vont les affaires du temps, la Révolution, les pouvoirs en place? Certes, Marianne est le prénom le plus populaire des prénoms doubles en région méridionale (contraction de Marie - en référence à la Vierge Marie- et Anne - sa mère); l'identification du prénom Marianne à la Révolution se répand dans tout le midi. Il faudra toutefois attendre 1854 et la révolte des ouvriers ardoisiers de Trélazé dans le Maine et Loire pour que les pamphlets républicains qui suivirent pour voir le nom de Marianne donné à la République. L'usage du prénom est adopté par la France entière et gagne le monde des lettrés. En 1870, la République qui renaît définitivement dispose de ses emblèmes, d'un prénom et de deux lectures de ces symboles : la lecture révolutionnaire coiffe Marianne d'un bonnet rouge et la lecture modérée la coiffe de bien sages lauriers. Marianne victorieuse va investir toutes les représentations de l'Etat : le sceau, le timbre-poste (modèle Cérès), la monnaie. En 1895, sous impulsion radicale, la monnaie voit apparaître le modèle de "la semeuse", coiffée du bonnet phrygien. Le buste de Marianne entre progressivement dans les mairies, par nécessité d'effacer de la mémoire collective les petits bustes en plâtre qui auparavant avaient représenté Louis XVIII, Charles X, Louis-Philippe ou Napoléon III.

Paradoxalement, il n'a jamais existé de modèle unique. Les sculpteurs et artistes mis à contribution ont créé différents modèles plus ou moins fidèles aux commandes passées ce qui n'a jamais entamé la reconnaissance populaire du symbole. Même la caricature, très présente sous la 3ème République, confirme que la France s'identifie à Marianne. C'est la République des prolétaires contre celle des possédants (le grelot-1872), ou encore en mégère, vieille, alourdie par l'âge, maigrissante ou obèse, hideuses bourgeoise du "Père peinard" ou belles et véhémentes émancipatrices de Steinlen. Au moment de l'affaire Dreyfus, une caricature d'extrême droite va jusqu'à représenter "Marianne la Youpine"! Le XXème siècle va transformer l'image de Marianne qui devient un gentil mannequin dépolitisé (cf Faizant), quelquefois la presque épouse du Chef de l'Etat, bobonne sympathique et effacée. Entrée en résistance sous Vichy, elle réapparaît puis dérive après 1958 vers un symbole médiatico-sexuel sous les traits de B.Bardot. Marianne, comme la République s'est incorporée à l'identité culturelle de la France. Et demain? Nul ne sait. Mais il est probable qu'un jour ou l'autre notre Pays ait bien besoin de se retrouver derrière son symbole premier. ci-dessous : place de la Nation à Paris, "le triomphe de la République" de Jules Dalou est érigé pour le centenaire de la Révolution de 1789.

place de la Nation à Paris, "le triomphe de la République" de Jules Dalou est érigé pour le centenaire de la Révolution de 1789.

Ces jurassiens et comtois qui construisirent la République

Citons tout simplement Edouard Boeglin : "...force est de reconnaître la grande qualité du personnel politique comtois pendant cette première période de la IIIème République, celle d'avant la Première Guerre mondiale.

Les parlementaires d'abord : ils interviennent peu à la tribune des Assemblées, travaillent beaucoup en commission, écrivent et publient sans discontinuer. Christin, Reybert, Wladimir Gagneur... Un Victor Poupin dans le Jura (qui laissa une oeuvre considérable à base fouriériste sur les fruitières notamment et la vie économique du Jura), un Charles Bontemps en Haute-Saône sont de ceux-là, infatigables, passant de l'Assemblée au Sénat, toujours dans le train qui prend des heures entre leur circonscription et Paris où tout, on le sait bien, se décide. Un Louis Fréry, sénateur du territoire de Belfort en 1887 au mot resté célèbre : “Et moi je vous dis, silence, ô riches : il ya encore trop d'inégalités sociales“, à l'origine de la Marianne de Delle. Et comment ne pas parler de Pierre Lefranc, jurassien de naissance et député des Pyrénées orientales en 1848, qui siège avec la Montagne, soutient Ledru-Rollin contre Bonaparte et est expulsé de france en 1851. A nouveau élu en 1871, il siège aux côtés de Jules Ferry.

Les ministres ensuite : qui se souvient encore que Couyba (Charles Maurice) fut un ministre du commerce impressionnant de culture, véritable touche-à-tout littéraire... à l'humanisme rayonnant? Qui a gardé à l'esprit qu'un Georges Trouillot, l'homme de Beaufort, assuma l'une des responsabilités essentielles, celles de ministre de l'Intérieur en une période agitée et très périlleuse pour la République? Qui sait encore que Stephen Pichon fut l'un des plus grands ministres des affaires étrangères français? Grand serviteur de la République, que ce soit dans Pékin assiégé par les boxers en 1900, à Tunis comme résident général, en 1918 lorsque par une lettre...il confirme un an après la déclaration de Balfour, l'accord de la France pour l'établissement d'un foyer national juif en Palestine. Il se retire de la vie politique en même temps que son ami Clémenceau en 1920 et meurt treize ans après à Vers-en-Montagne (Jura). Enfin il serait injuste de passer sous silence la Présidence de la République de Jules Grévy ...

Chapois - Andelot : la guerre de vingt ans

En 1871, Andelot est un village de 690 habitants. La commune manque d'eau depuis des années et un premier projet a du être ajourné du fait du manque d'argent lié aux réquisitions opérées par l'armée prussienne. Il sollicite donc l'autorisation d'en amener de "Fontaine Noire", source abondante située dans la forêt de l'Etat. Le projet se constitue progressivement et en 1874 le Maire convoque son Conseil pour l'informer d'un litige avec la commune de Chapois (418 habitants) qui estime que ce projet se fera au détriment de sa propre alimentation en eau. Le projet est néanmoins approuvé pour 157 080 F (franc argent). Les recettes (71 114F) seront complétées par le produit des coupes extraordinaires dans ses forêts de sapins. Approbation définitive du projet en décembre 1874. Demande d'utilité publique déposée en septembre 1875. Chapois soutient alors que des nuisances importantes à la pêche seraient provoquées par la dérivation de Fontaine Noire.

En 1878, les deux communes en sont au procès. En 1879, le ministre de l'intérieur demande un supplément d'instruction suite aux plaintes de Chapois. Puis plus rien avant 1891 où le maire présente un nouveau devis estimatif. Aurait-il beaucoup plu durant ces années? Chapois formule alors un recours en Conseil d'Etat contre le décret du 13 juin 1890 et se pourvoit en cassation contre le jugement du tribunal d'Arbois du 12 février 1891 prononçant l'expropriation d'une partie de la source. Les travaux de dérivation commencent enfin durant l'été 1891. Les années passent et les prix bougent! L'architecte Sauterey dresse un devis supplémentaire pour trois lavoirs et un bassin circulaire. A la fin de 1892 l'eau devrait couler "à flots". La réception provisoire des travaux aura lieu en octobre 1893 - un abreuvoir est installé en supplément - la réception définitive aura lieu en 1894.

La Marianne d'Andelot est probablement l'oeuvre d'Angelo Francia, sculpteur né à Rodez et il semble que ce soit Jules Roche - ministre en charge des travaux - qui ait été déterminant pour sa réalisation. Epilogue de la bataille pour l'eau courante, la réception définitive (!) a lieu le 2 avril 1896.

 
 
 
 
 
 
 

La chanson de Marianne

refrain : Va, va, Marianne

Pour en finir avec tes ennemis

Sonne, sonne la diane

Aux endormis!

couplet 8 : Tombez, tombez vieilles

barrières,

Au jour nouveau de la raison

Tmbez préjugés et frontières,

Avec la dernière prison;

Puis ce sera la délivrance,

Oeuvre si lente à s'accomplir:

La Bastille de l'ignorance,

C'est la plus dure à démolir.