DANIEL BERGER

30-31 mai 2008, Orléans —  Je reviens d’Alsace avec mon père (95 ans), où nous sommes allés rencontrer Olivier Humbrecht et André Ostertag, en préparation de notre prochain voyage-dégustation (12-15 juin 2009 — voir programme ci-dessous*). Vers 18h, le journaliste Thierry Morvan m’emmène au sud de la ville, à la coopérative de Mareau-aux-Prés/Les Vignerons de Grand Maison, où il a organisé avec le syndicat une dégustation de l’AOC Orléans.
9-10 janvier 2009, Saint-Benoît s/Loire, Châteauneuf s/Loire —  Un passage à l’abbaye de St Benoît, une balade le long de la Loire et un arrêt à Châteauneuf, et puis la dégustation de vins locaux qui me fait découvrir de jeunes “néo-viticulteurs” empruntant des chemins de traverse, me remémorent la séquence précédente à Orléans.

21PRÉCISIONS SUR L’AOC
Après 20 ans de tergiversations, il existe depuis septembre 2006 une AOC “Orléans”:
— blancs en pinot gris et chardonnay (dit ”auvernat”); et rouges et rosés en pinot noir et pinot meunier (dit “gris meunier”); et une AOC “Orléans-Cléry”
— rouges seulement, cabernet franc et cabernet sauvignon, les cabernets les plus au nord de l’hexagone —; 150 ha en tout. 50 autres ha sont cultivés en “vins de pays”:

rive gauche de la Loire sur Cléry St-André, Mézières-lez-Cléry, Mareau-aux-Prés et St-Hilaire-St-Mesmin; et

rive droite sur Mardié, Chécy, St-Jean de Braye, Orléans, St-Ay, Meung s/Loire, Baule et Beaugency. Et 2 000 ha ont été classés “cultivables” sur Cléry et Meung (carte RVF).

RAPIDE RAPPEL HISTORIQUE
— Au Moyen Âge, le vignoble orléanais est « en puissance et en richesse » comparable au Bordelais de nos jours, càd plus de 150 000 ha (de multiples petites parcelles exploitées en polyculture). Le déclin commence au XVIème après que que la quantité, nécessaire à la région parisienne qui en consomme beaucoup coupé d’eau ou non, soit passée devant la qualité si appréciée des rois de France dont c’est le vin préféré, parmi un choix peu large à l’époque, reconnaissons-le : Clovis, Henri Ier, en passant par Louis VI “le gros” qui aimait le blanc de Rebréchien, Charles VII “d’Orléans” qui parle de « 14 lieues et plus » (56 km+) de vignes entre Châteauneuf-sur-Loire à l’est et Tavers à l’ouest, jusqu’à Louis XIII.
— C’est à Orléans qu’est née l’industrie du “vin aigre”, piqué ou tourné pendant le transport sur la Loire — 300 producteurs au XVIIIème, une petite vingtaine aujourd’hui dont Martin Pouret, seul à produire encore un vinaigre traditionnel (fermenté à 28°, à l’abri de la lumière, en barriques de 240 l).
— Là comme ailleurs, le phylloxera détruit le vignoble tout autour d’Orléans, passé à 40 000 ha en 1886, descendu à 4 000 en 1956, réduit à 200 à ce jour.
— Sa taille modeste fait du vignoble orléanais un vignoble recherché, il est difficile de s’y installer et pour y trouver un domaine, mieux vaut passer par la coopérative à Mareau-aux-prés.

DÉGUSTATION À LA COOPÉRATIVE
Étaient réunis à la coopérative Les Vignerons de Grand-Maison, à Mareau-aux-prés :
Valérie Deneufbourg (Rencontres), 28 rue du village, 45370 Cléry-Saint-André, tél. 02 3845 9753;
Pascal Javoy (Clos Saint-Avit), 450 rue du buisson, 45370 Mézières-lez-Cléry, tél. 02 3845 6695;


Descente sur le canal de la Loire de Montargis à Orléans à l’occasion des Jours de Loire

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Hubert Piel (Clos Saint-Fiacre), 560 rue Saint-Fiacre, 45370 Mareau-aux-Prés, tél. 02 3845 6155 (ci-contre);

 

Edouard Montigny (Vignoble du chant d’oiseaux), 321 rue des Muids, 45370 Mareau-aux-Prés, 02 3845 6031;
Sylvie Genevier (Sans Complexe, Coopérative), 550 route des Muids, Mareau-Prés, tél. 02 3845 6108.
NB. Valérie Deneufbourg, Pascal Javoy et Hubert Piel sont  vignerons à part entière. Edouard Montigny cultive aussi des asperges et des bigarreaux. Le président de la Coopé lui-même, Patrick Harnois, cultive 75 ha de céréales, 1 ha d’asperges et… 5 ha de vignes.

ROSÉS – 30% de pinot noir et 70% de pinot meunier (”gris meunier”).
Trois 2007 : celui d’Edouard Montigny (Vignoble du chant d’oiseaux), sans fermentation malolactique (4,50 €); puis de Valérie Deneufbourg (Rencontres), d’une bonne acidité, assez fruité (4,50 €); et de Pascal Javoy (Clos Saint-Avit) proche d’un gris de Toul  (4,50 €).
Et un 2006, celui de la Coopérative (3,60 €), bien en apéritif ou mieux, pour accompagner un poisson de rivière.

BLANCS – 100% de chardonnay (mais pinot gris admis jusqu’à 40%).
Pour favoriser l’expression et le fruit, pas de fermentation malolactique.
Celui de Valérie Deneufbourg (2005) est moyennement sec avec une bonne fin de bouche (5 €).
J’ai bien aimé l’acidulé du 2007 de la Coop (3,70 €).
Les deux 2007 de Pascal Javoy, à cheval entre les deux précédents, le 2nd un peu bloqué dans son épanouissement (4,20 €).
Le 5ème est un 2006 d’Edouard Montigny, prometteur (Chant d’oiseaux, 4,50 €).
Le dernier 2006 vient de la Coop, floral et bien déployé (5 €).
Le lendemain samedi matin chez Edouard Montigny, nous goûterons un joli chardonnay 2002, bien vieilli, et un attachant “sauvignon gris” (?) 2006.

ROUGES
— Orléans — Gris meunier et pinot noir.
2006 : Rencontres (4,5 €), et Clos Saint-Fiacre, plus foncé, plus de corps (6 €).
Ensuite en 2005, Chant d’oiseaux, tannique et épicé (4,5 €), et les deux de la Coop (Sans Complexe), le 1er bien réparti et ample, peut-être un peu dilué (5 €), le 2nd assez évolué et fin, plus complexe et moyennement tannique, avec comme un goût boisé (dû sans doute au meunier).
Le samedi au Clos St-Fiacre, après un parcours dans les vignes légèrement pentues, nous goûterons un beau 2000, et un 2002 de couleur marron et bien tissé.
— Orléans-Cléry — Cabernet franc.
D’abord le 2006 du Clos St-Fiacre, fruité, puissant (6 €).
Ensuite en 2005, un Clos St-Avit, plus terreux, fumé, et floral – thym, lavande coupée — impression d’exotisme (4,20 €); puis le Chant d’oiseaux avec une bouche de réglisse, un peu diluée.
Le Sans Complexe 2006 de la Coop ressemble assez au vin précédent (3,70 €), et le 2005, couleur bordeaux, a une acidité plus présente et des notes de prune.
Enfin les Clos St-Avit 2003 et 2004, fruités, puissants, lourds presque épais.

COMMENTAIRES

nb-lili— Valérie DeneufbourgElle est souriante, calme, déterminée et sait donner du courage à ses collègues. Corps généreux et voix cristalline, la quarantaine, 5 enfants bientôt 6, formation d’ingénieur agronome, Valérie s’est installée à Cléry St-André il y a trois ans après avoir passé au crible les vignobles les moins éloignés de Paris, où son mari exerce à l’INRA. Elle vinifie 10 ha (8 en AOC et 2 en Gamay) càd 5 en propre et 5 avec la Coop, avec des rendements de 50 hl/ha en rouge et 55 en blanc. Elle a créé le concept de son étiquette, Rencontres (celles qu’elle fait avec et sur son terroir?). En plus, elle trouve le temps d’être animatrice pastorale du doyenné Cléry-Sologne et de faire du soutien scolaire aux enfants défavorisés.

— La Coopérative des Vignerons de Grand Maison — Datant de 1931, ça se voit, cet ancien fleuron de la coopération sociale vinicole est paraît-il l’un des premiers à avoir utilisé la machine à vendanger,  toujours en usage à ce jour. La Coop vinifie 75% des vins de la production locale, 115 ha dont 80 en AOC. Une quinzaine d’exploitants lui remettent leur raisin. Elle produit cette cuvée Sans Complexe bien faite et d’un prix encore raisonnable (5,90 €).

gauthier-soreau— Jean Gauthier-Soreau, ancêtre disparu — Quelques vieux Orléanais ont paraît-il encore dans leurs caves des bouteilles bouchées à la cire (jaunâtre pour l’auvernat/chardonnay, le blanc; et vermillon pour le Clos de l’enfer, le gris meunier du Bout du Clos Belloues, le rouge). Jean Gauthier-Soreau alors propriétaire à Baule, y travaillait son vin comme ses ancêtres l’avaient toujours fait. D’ailleurs il n’aurait pas pu/su faire autrement. Je me souviens en 1976 avoir bu dans sa sombre salle à manger-capharnaüm sentant le chien mouillé et la vieille margarine, un beau 1947, dont il était très fier, le comparant sans hésiter à un Bourgogne. Gauthier-Soreau a trépassé, ses vignes ont été arrachées et le Clos de l’enfer a disparu.

heaule-080— Reynald Héaulé, l’outsider — Pour être autonome et pouvoir cultiver seul ses 2 hectares (une jeune plantation en rive droite au Clos de la Belle Croix à Baule, et le reste sur Cléry), ce “néo” d’une trentaine d’années qui après avoir tâté de la comptabilité fait du vin ici depuis dix ans, va gagner sa vie chez Claude Courtois à Soings-en-Sologne (5-6 ha en biodynamie avec des vignes franc de pied) : « Au delà de 2 ha 1/2-3 ha, un viticulteur a du mal à tout faire. C’est pourquoi je n’ai pas plus. Je travaille mes parcelles à l’ancienne, comme Gauthier-Soreau et tous les vieux du siècle passé. Ils n’avaient pas recours à la pétrochimie, ni aux produits systémiques (NB: pénètrant le système circulatoire de la plante), et le calendrier lunaire ils l’avaient en tête : la biodynamie, ils n’en parlaient pas, ils la pratiquaient. »

J’ai goûté ses vins en mars 2009, produits hors AOC, avec une densité de plantation élevée de 12 500 pieds/ha et des rendements bas de 25 hl/ha, ne produisant que 4 à 5000 b/an. Pour lui aussi la référence qualité c’est la Bourgogne : « Je cherche la typicité de chaque cépage pour trouver des trames complexes. Chaque année j’essaie des combinaisons, et en 2009 jusqu’à six cépages peut-être. » Il fait deux blancs en chardonnay et sauvignon, et quatre rouges aux assemblages tenus secrets et dont les noms disent beaucoup :
2 Blancs : Rive droite — chardonnay 100%; Éclat de silice — 1/3 sauvignon, 1/3 chardonnay, 1/3 menu pineau (ou pinot?).
4 Rouges : L’Insoumis — non communiqué; À contre courant — nc; Atypique — nc; et Rive droite — nc.

Ses vins se trouvent entre 8 et 20 € chez les cavistes, dont celui de Châteauneuf-sur-Loire, Eric Parmentier, “Le Sommelier du Val” (32, grand rue), un fan de Claude Courtois (Cailloux du paradis, Soings-en-Sologne) de Jean-Marie et Thierry Puzelat (Clos Tue Boeuf, Touraine), Pascal Potaire (Les Capriades, VdT Loir-et-Cher), Émile Heredia (Montrieux, coteaux du Vendômois, en pineau d’Aunis), Hervé Villemade (Domaine du moulin, Cheverny), Pascal Simonutti (La Galetière, « Boire tue », 60% gamay, 40% pineau d’Aunis (vignes de 30 à 80 ans) aire d’appellation Touraine-Mesland) et des autres artistes ligériens qui font des “vins de tables français” sans se soucier d’appellations et dont il faudra qu’on parle. En attendant, Eric Parmentier s’en occupe sur son épisodique blog.
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— Les restaurateurs d’Orléans trop timides — Il faudrait qu’ils soient plus motivés que celui de Saint-Benoît-sur-Loire par exemple, qui lors d’un dîner le 9.01.09 nous dégoisait : « J’en ai pas de vins d’Orléans, sont pas fameux, mais je vous propose un coteaux du Giennois, ou plutôt un Chinon ou un Bourgueil ». Alors pourquoi les viticulteurs d’Orléans ne monteraient-ils pas une opération d’information/dégustation avec les restaurateurs de l’agglomération orléanaise ? Charité bien ordonnée commence par soi même, non ? En tout cas, j’en ai fait la suggestion à Hubert Piel rencontré au salon des vignerons indépendants à la porte Champerret (27-30.03.09), son Clos Saint-Fiacre représentant l’AOC Orléans, les Rencontres de Valérie Deneufbourg l’ayant fait en février au salon de l’agriculture, en sa présence, celles de son mari et de quelques enfants (dont l’aîné pense déjà faire du vin plus tard, comme maman).

db — mars 2009

* Rappel : programme du voyage-dégustation Mmmm… ton vin! en ALSACE 12-15 juin 2009 (complet)
Visite de vignerons : vendredi 12 juin – Olivier Humbrecht/Turckheim. Samedi 13 – Jean-Michel Deiss/Bergheim. Agathe Bursin/Westhalten. Dimanche 14 : André Ostertag/Epfig. Dîner Illhaeusern. Lundi 15  – Christian Binner/Ammerschwihr.
Autres visites : Caves des hospices de Strasbourg; vins kasher alsaciens; …