1er octobre

Sainte Thérèse de l'Enfant Jésus et de la Sainte Face,
docteur de l'Eglise, patronne secondaire de la France

Sommaire :

Un point d'histoire

Dernière lettre de Sainte Thérèse à l'abbé Bellière

Deux prières

Méditations

Réflexion

Lettre apostolique pour la proclamation de Thérèse docteur de l'Eglise



Un point d'histoire

Le premier octobre 1049, le pape Léon IX fait la translation du corps de saint Remi dans l’église des Bénédictins de Reims qui reçoit son nom. Chaque année, le premier octobre, le saint roi Louis IX allait assister à l’office solennel chanté par les aveugles à l’hôpital des Quinze-Vingts, fondé en 1260, dont la chapelle était sous le patronage de saint Remi.



Dernière lettre de sainte Thérèse à l'abbé Bellière[1]

J.M.J.T.

Carmel de Lisieux 10 Août 1897


Jésus +

Mon cher petit Frère,

Je suis maintenant toute prête à partir, j'ai reçu mon passeport pour le Ciel et c'est mon père chéri qui m'a obtenu cette grâce, le 29 il m'a donné la garantie que j'irais bientôt le rejoindre[2]; le lendemain, le médecin étonné des progrès que la maladie avait faits en deux jours, dit à notre bonne Mère qu'il était temps de combler mes désirs en me faisant recevoir l'Extrême-Onction. J'ai donc eu ce bonheur le 30, et aussi celui de voir quitter pour moi le tabernacle, Jésus-Hostie que j'ai reçu comme Viatique de mon long voyage !... Ce Pain du Ciel m'a fortifiée, voyez, mon pèlerinage semble ne pouvoir s'achever. Bien loin de m'en plaindre je me réjouis que le bon Dieu me permette de souffrir encore pour son amour, ah ! qu'il est doux de s'abandonner entre ses bras, sans craintes ni désirs.

Je vous avoue, mon petit frère, que nous ne comprenons pas le Ciel de la même manière[3]. Il vous semble que participant à la justice, à la sainteté de Dieu, je ne pourrai comme sur la terre excuser vos fautes. Oubliez-vous donc que je participerai aussi à la miséricorde infinie du Seigneur ? Je crois que les Bienheureux ont une grande compassion de nos misères, ils se souviennent qu'étant comme nous fragiles et mortels, ils ont commis les mêmes fautes, soutenu les mêmes combats et leur tendresse fraternelle devient plus grande encore qu'elle ne l'était sur la terre, c'est pour cela qu'ils ne cessent de nous protéger et de prier pour nous.

Maintenant, mon cher petit frère, il faut que je vous parle de l'héritage que vous recueillerez après ma mort. Voici la part que notre Mère vous donnera : - 1° Le reliquaire que j'ai reçu le jour de ma prise d'habit et qui depuis ne m'a jamais quittée - 2° Un petit Crucifix qui m'est incomparablement plus cher que le grand car ce n'est plus le premier qui m'avait été donné que j'ai maintenant. Au Carmel, on change quelquefois les objets de piété, c'est un bon moyen pour empêcher que l'on s'y attache. Je reviens au petit Crucifix. Il n'est pas beau, la figure du Christ a presque disparu, vous n'en serez pas surpris quand vous saurez que depuis l'âge de 13 ans ce souvenir d'une de mes sœurs[4] m'a suivie partout. C'est surtout pendant mon voyage en Italie que ce Crucifix m'est devenu précieux, je l'ai fait toucher à toutes les reliques insignes que j'avais le bonheur de vénérer, dire le nombre me serait impossible ; de plus il a été béni par le St Père. Depuis que je suis malade je tiens presque toujours dans mes mains notre cher petit Crucifix ; en le regardant je pense avec joie qu'après avoir reçu mes baisers, il ira réclamer ceux de mon petit frère.  Voici donc en quoi consiste votre héritage ; de plus, notre Mère vous donnera la dernière image que j'ai peinte.[5] - Je vais finir, mon cher petit frère, par où j'aurais dû commencer en vous remerciant du grand plaisir que vous m'avez fait en m'envoyant votre photographie.

A Dieu, cher petit frère, qu'Il nous fasse la grâce de l'aimer et de lui sauver des âmes. C'est le vœu que forme


Votre indigne petite sœur
Thérèse de l'Enfant Jésus de la Ste Face.

(C'est par choix que je suis devenue votre sœur)


Je vous félicite de votre nouvelle dignité ; le 25, jour où je fête mon cher petit père, j'aurai le bonheur de fêter aussi mon frère Louis de France[6].



[1] L’abbé Maurice-Marie-Louis Bellière, (1874-1907), encore séminariste, était le premier frère spirituel de sainte Thérèse de l’Enfant Jésus. Né et mort à Caen. Orphelin de mère à sa naissance, il est recueilli à Langrune par sa tante maternelle. Son père, remarié, vit à Paris où il mourra le 10 août 1897. Elève du petit séminaire de Villiers (Calvados), Maurice pense à l'armée jusqu'à dix-huit ans. Conversion (1892). Il entre au séminaire de philosophie de Sommervieu (octobre 1894) et il demande une sœur spirituelle au Carmel de Lisieux (octobre 1896), Mère Agnès désigne Thérèse, avec qui il a une correspondance régulière à partir d'octobre 1896, et fréquente durant l'été 1897. Embarqué, le 29 septembre 1897, pour le noviciat des Pères Blancs à Alger (Thérèse meurt le 30) il sera ordonné prêtre à Carthage, le 29 juin 1901. Nommé au Nyassa en 1902, il revient après trois difficiles années. Soigné à Marseille puis en Belgique, il rentre dans son diocèse en 1906.

[2] Le 29 juillet, troisième anniversaire de la mort de M. Martin.

[3] Le 5 août, il lui écrit : Chère petite Sœur, en vérité, je suis prêt à tout ce que le Maître voudra de moi - d'autant plus que je crois pleinement à votre parole et à vos projets pour l'autre vie. Quoi que vous en disiez, chère petite, les oignons crus étaient un mets délicieux dont je ne me rassasiais pas. Sans doute Jésus est le Trésor, mais je le trouvais en vous, et Il devenait plus abordable - c'est encore par vous que désormais il viendra jusqu'à moi, n'est-ce pas ? C'est vous dire que du Ciel comme d'ici, j'attends TOUT de vous - et ma confiance sera assez puissante pour attendre au besoin une action directe et manifeste de cette âme amie que Jésus fit sœur de la mienne, dans une union la plus étroite. Ma chère et bien chère petite sœur, je vous connais assez pour savoir que ma misère ne devait jamais ici-bas arrêter votre tendresse - mais, au ciel, participant à la Divinité, vous en acquérez les prérogatives de justice, de sainteté et toute tache doit devenir objet d'horreur pour vous - Voilà pourquoi je craignais - mais, comme j'espère que vous demeurerez l'Enfant gâtée, vous ferez ce que vous aurez voulu sur la terre pour moi et je crois et j'espère - j'attends de vous aussi cette confiance amoureuse qui me fait défaut encore et que je désire ardemment, estimant qu'avec elle on est heureux pleinement ici-bas et on ne trouve pas l'exil trop long. Que vous êtes bonne, petite Sœur, dans cette simplicité et cette ouverture qui me charment en me confondant. Je suis si peu habitué à trouver cela parmi les hommes que je suis comme étonné quelquefois mais grandement réjoui. Voulez-vous me dire aussi comment vous êtes devenue ma sœur, par choix ou par le sort.

[4] Léonie.

[5] Au verso de la dernière image qu’elle a peinte (mai-juin 1897), elle a écrit pour l’abbé : Je ne puis craindre un Dieu qui s’est fait pour moi si petit ... je l’aime ! car il n’est qu’amour et miséricorde. Dernier souvenir d’une âme sœur de la vôtre.

[6] Nom pris par l'abbé dans le Tiers-Ordre de Saint-François.



Deux prières

Acte d'offrande

Afin de vivre dans un acte de parfait amour, je m'offre comme victime d'holocauste à votre amour miséricordieux, vous suppliant de me consumer sans cesse, laissant déborder en mon âme les flots de tendresse infinie qui sont renfermés en vous, et qu'ainsi je devienne martyre de votre amour, ô mon Dieu !

Que ce martyre, après m'avoir préparée à paraître devant vous, me fasse enfin mourir, et que mon âme s'élance sans retard dans l'éternel embrassement de votre miséricordieux amour !

Je veux, ô mon Bien-Aimé, à chaque battement de mon coeur, vous renouveler cette offrande un nombre infini de fois, jusqu'à ce que, les ombres s'étant évanouies, je puisse vous redire mon amour dans un face à face éternel.



O Jésus ! Les œuvres éclatantes me sont interdites, je ne puis prêcher l’Evangile, verser mon sang ... Qu’importe ? Mes frères travaillent à ma place, et moi, petit enfant, je me tiens tout près du trône royal, j’aime pour ceux qui combattent. Mais comment témoignerai-je mon amour. puisque l’amour se prouve par les œuvres ? Eh bien ! le petit enfant jettera des fleurs ... il embaumera de ses parfums le trône divin, il chantera de sa voix argentine le  cantique de l’amour ! Oui, mon Bien-Aimé, c’est ainsi que ma vie se consumera devant vous. Je n’ai pas d’autres moyens pour vous prouver mon amour que de jeter des fleurs : c’est-à-dire de ne laisser échapper aucun sacrifice, aucun regard, aucune parole ; de profiter des moindres actions et de les faire par amour.

Sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus et de la Sainte-Face


Méditation

Si, comme l’a dit le pape Pie XI, « sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus a été faite une parole de Dieu », il nous faut recevoir sa doctrine avec un grand respect et une entière docilité, puisque Dieu nous parle par sa bouche. Elle nous apprend que Dieu est notre Père, que nous sommes ses enfants, et que, par conséquent, nous devons agir avec lui comme un petit enfant avec son père. C'est là son enseignement fondamental, la petite voie que Dieu l'a chargée d'apprendre au monde. Or quelles sont les dispositions du petit enfant envers son Père ? On peut les résumer en deux propositions : l’abandon et la confiance.

D'un mot sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus et de la Sainte-Face nous dit son étendue et son influence sur sa vie spirituelle : « Le total abandon, voilà ma seule loi. » C'est une remise sans réserve, sans limites au divin Maître. « Thérèse avait disparu, Jésus restait seul, il était le Maître, le Roi. » Thérèse est totalement livrée à sa sagesse et à son amour, à lui de la conduire comme il l'entend. Que dit-elle encore ? « Il n'y a que 1'amour qui puisse nous rendre agréables à Dieu... Or l'unique chemin qui conduit à cette fournaise, c'est l'abandon du petit enfant qui s'endort sans crainte dans les bras de son père. » Et encore : « Je ne crains qu'une chose, c'est de garder ma volonté, prenez-là car je choisis tout ce que vous voulez. » Et aussi : « Avec quelle douceur je lui ai remis ma liberté. » Et plus loin : « Je n'avais qu'un seul désir, celui de me rendre au sommet de la montagne de l'amour. Aussitôt des routes nombreuses s'offraient à mes regards, mais je me vis incapable d'en choisir aucune de mon plein gré. Je dis alors à mon divin Guide, menez-moi par les sentiers de votre choix. » Une fois remise à la conduite de Jésus, Thérèse le bénit de tout, des ténèbres aussi bien que de la lumière. Car, dit-elle, « tout est grâce … Je remercie mon Jésus de me faire marcher dans les ténèbres, j'y suis dans une paix profonde … Mon cœur est plein de sa volonté. » Et, en effet, le point de départ de tout service de Dieu, de tout amour de toute sainteté, c'est l'humilité : « J'ai compris l'humilité du cœur. » Et l'humilité rappelle à notre pensée la parole du Seigneur : « Sans moi vous ne pouvez rien. »

De nous-mêmes nous sommes faibles et ignorants : nous ignorons les desseins de Dieu sur nous, nous sommes incapables de nous conduire. C'est à Dieu de prendre l’initiative, la direction de notre âme, car la sainteté est bien plus son œuvre que la nôtre. Mais une fois remise en ses divines mains, notre âme n'a plus rien à craindre ; le Maître la dirigera, la portera en quelque sorte, et la conduira au but. « Ouvrez à Dieu les avenues de votre âme, et c'est lui qui agira », dit le psaume XXXVI ; « Le Seigneur est ma lumière et mon salut, je n'ai plus rien à craindre », dit le psaume XXVI. Il semble que le but principal de « l’acte d'offrande » est de livrer entièrement l'âme à Dieu. Rien de plus salutaire. Quand le petit enfant veut marcher seul, se conduire lui-même, il est exposé à bien des chutes. Mais, s'il prend la main de son père, s'il se place entre ses bras, il est en sécurité.

Mais pourrons-nous pratiquer ce total abandon ? De nous-mêmes, évidemment non, car nous ne recherchons que notre égoïsme et notre propre volonté. Il nous faut, pour cela, faire confiance à Dieu, nous appuyer sur sa force divine. La liturgie nous le dit : « O mon Dieu, nous sommes conscients de notre faiblesse, mais nous nous appuyons sur votre force, et ainsi nous triomphons de nos ennemis. » Et le psaume CXX de dire : « J'ai levé les yeux vers les montagnes d'où me viendra le secours. Mon secours il est dans le Seigneur qui a fait le ciel et la terre. » Sainte Thérèse l'avait compris qui disait : « Thérèse se sentait si faible, si fragile que pour jamais elle voulait s'unir à la force divine. »

Etre humble, reconnaître sa faiblesse, ne jamais s'appuyer sur soi, mais s'unir à la force divine et s'appuyer sur elle avec une absolue confiance. « Je sens toujours la même confiance audacieuse de devenir une grande sainte. Je ne compte pas sur mes mérites, n'en ayant aucun, mais j'espère en celui qui est la vertu, la sainteté même. C'est lui seul, qui se contentant de mes faibles efforts m'élèvera jusqu'à lui, me couvrira de ses mérites, et me fera sainte … Je suis trop petite pour gravir le rude escalier de la perfection ... l’ascenseur qui doit m'élever jusqu'au ciel, ce sont vos bras, ô Jésus. »

Voilà bien ce que nous devons faire : « Reconnaître notre néant, mais tout attendre du bon Dieu. » Sainte Thérèse s'est appuyée sur la force divine, c’est-à-dire sur la grâce. Avec saint Paul, elle pense : « C'est à la grâce que je dois ce que je suis. » L'Apôtre ajoute : « mais la grâce n'a pas été vaine en moi. » Elle n'a pas été vaine, non plus, en sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus et de la Sainte-Face. Elle y a correspondu avec une grande générosité. « Mais à la vérité, dit-elle, comme cela est peu de chose (auprès de l'action de Dieu) il est urgent de mettre sa confiance en celui qui, seul, sanctifie les œuvres. » S'appuyer sur la force divine, c'est encore et surtout se livrer à l'action de l'Esprit-Saint, car « les enfants de Dieu sont mus par l'Esprit de Dieu. ». Avec quelle confiance sainte Thérèse s'est livrée à l'Esprit d'amour. Avec quelle générosité elle a suivi toutes ses inspirations : « Je veux que Notre-Seigneur s'empare de mes facultés, de sorte que je ne fasse plus d'actions humaines et personnelles, mais des actions toutes divines, inspirées et dirigées par l'Esprit d'amour. » Comme il est nécessaire de s'appuyer toujours sur la force divine ! Thérèse fait remarquer que saint Pierre a faibli pendant la Passion parce qu'il comptait sur lui ; s'il s'était appuyé sur Notre-Seigneur il ne serait pas tombé. Sainte Thérèse a passé par beaucoup d'épreuves, de souffrances, de tentations. Elle a triomphé de tout parce que elle s'est toujours appuyée sur le bras de Dieu. « Seigneur vous êtes ma force » (Psaume XLII). Sa petite voie est très sure, parce que elle repose sur le solide fondement de la foi et de l'humilité.

Le petit enfant ne se confie pas seulement en la bonté de son père mais aussi en la tendresse de sa mère. Aussi la petite Thérèse ne s'appuie pas seulement sur l'amour miséricordieux de son Père des cieux, mais aussi sur les prières toutes puissantes de la très sainte Vierge. « La Vierge Marie, je l'aime tant ! … Quelle grande place elle tient dans mon cœur ... La Vierge Marie, elle n'est jamais cachée pour moi. » Thérèse recourt à elle pour sa vie de piété, pour son ministère. Elle compte sur elle pour l'assister dans les derniers combats ; « je l'ai priée avec une ferveur!... »


Une réflexion

Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus souffre, si l’on peut dire, d’une iconographie mièvre, propre à l’époque où son culte se développa, et beaucoup, s’arrêtant là, se refusent à faire plus ample connaissance avec elle et, ce faisant, abusés par un vocabulaire obsolète, d’en obtenir des lumières bien nécessaires à leur vie spirituelle. Or, la vie toute entière de cette carmélite que Seigneur dispensa de vieillesse, conjugue la ravissante image de l’Enfant Jésus et la douloureuse figure de la Sainte Face. Devant ces représentations affectées, sous des flots de couleurs doucereuses et des torrents de roses, beaucoup oublieront qu’elle gagna la sainteté par la souffrance, un souffrance insoupçonnée, une souffrance héroïque, telle que le Seigneur la réclame : « Si quelqu’un veut venir après moi, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive. »

Certes, la piété populaire ne se trompe pas qui voit en Thérèse de l’Enfant Jésus une sainte aimable, sympathique et attirante, toute de grâce et de paix. Nul ne doute qu’elle a pris le bon Dieu par ses caresses et qu’elle a conquis les âmes par le rayonnement de sa simplicité. Dans sa mission singulière qui entend convaincre nos consciences que la véritable paix et le bonheur durable ne sont que dans la fidélité à Dieu, pour nous monter que la sainteté n’est ni impossible ni renfrognée, elle nous présente assurément le visage de la joie douce. Recourant au patronage de saint François de Sales, elle écrivit souvent, sur ses cahiers d’écolière : « Un saint triste et un triste saint » ; elle se refusait d’imiter les saints qui « étaient sérieux même en récréation » et, dans cet exercice, elle ne manquait jamais de réjouir le cloître de sa jeunesse, de ses réparties et de sa gaîté au point que, lorsque c’était son tour de vaisselle, les autres carmélites disaient à regret : « Alors, nous n’allons pas rire aujourd’hui. »

Or, cette joie, loin d’être une antithèse de la souffrance, se conjuguait avec elle, selon l’exemple qu’elle avait trouvé dans la vie du futur martyr Théophane Vénard[7] dont elle écrivit : « C’est une âme qui me plaît, parce qu’il a beaucoup souffert et qu’il était gai toujours. » Derrière la clôture du Carmel, elle est sainte Thérèse de l’Enfant Jésus, par la joie, le sourire, l’épanouissement de paix et de bonheur parce qu’elle sainte Thérèse de la Sainte Face, par sa souffrance, ses épreuves, son acceptation et son offertoire. Son doux sourire épanoui et sa joyeuse vie ensoleillant, n’est pas seulement l’effet d’un bon naturel ou d’un heureux caractère, voire d’un optimisme à toute épreuve, comme si son tempérament l’avait insensibilisée à toutes les souffrances de la vie et à tous les renoncements de la vie religieuse.

Si vive et si expansive que nous apparaisse l’enfant des Buissonnets, nous savons que, jeune fille, elle était devenue timide et sensible à l’excès au point de devoir se cramponner à la rampe de l’escalier avant d’aborder sa supérieure.  Cette sainteté souriante ne s’est pas épanouie sur sa nature mais, au contraire, a dû contrecarrer cette nature, ce qui lui fit dire : Quelle paix inonde l’âme, lorsqu’elle s’élève au-dessus des sentiments de la nature! 

Outre la froideur de sa Supérieure et les déconvenues, Thérèse de l’Enfant Jésus eut à souffrir de la sensation de l’abandon de Dieu[8] ; elle connut de terribles tentations contre la foi, traversant un tunnel « noir à en étouffer et, cependant, elle chantait : Mon ciel c’est de sourire à ce Dieu que j’adore, lorsqu’il veut se cacher pour éprouver ma foi, sourire en attendant qu’il me regarde encore. » Pendant sa dernière maladie, à une religieuse qui lui dit qu’elle n’a jamais beaucoup souffert, elle répond en lui montrant un verre plein d’une potion rouge : « Voyez ce verre, on le croirait plein d’une liqueur délicieuse ; en réalité je ne prends rien de plus amer. Eh bien, c’est l’image de ma vie ; aux yeux des autres elle a revêtu toujours les plus riantes couleurs ; il leur a semblé que je buvais une liqueur exquise et c’était l’amertume. »

Au récit des mortifications héroïques, comme nous nous décourageons d’atteindre de telles hauteurs et que la sainteté nous semble un royaume réservé à quelques privilégiés[9], il faut nous tourner vers sainte Thérèse, la laissant nous instruire que la sainteté est possible à tous pour peu qu’elle reste l’enjeu de l’effort soutenu par la grâce divine. C’est la « Petite voie. » Pour la suivre, il nous faut d’abord considérer ce que nous sommes vraiment, sans nous  satisfaire de notre médiocrité et sans abaisser la hauteur du but ; ce faisant, regardant de si bas un but si haut, concevoir que, comme « le Bon Dieu ne saurait inspirer des désirs irréalisables, je puis donc malgré ma petitesse aspirer à la sainteté. » Incapable d’arriver par soi-même à la sainteté, l’âme se remet entièrement aux « bras de Jésus » et, soucieuse de bien faire ce qu’elle doit faire dans l’ordre spirituel comme dans l’ordre temporel, elle accepte de passer là où Jésus l’entraîne : aimables grâces ou terribles tentations, sécheresse du cœur ou pieuse exaltation. Quoi qu’il lui arrive, l’âme voit en toute choses la manifestation de la volonté divine qui l’emmène vers les sommets de la sainteté et s’efforce de recevoir les dispositions de l’amour fait d’acquiescement, de docilité, de confiance et d’humilité.


[7] Missionnaire français, né à Poitiers (21 novembre 1829),  martyrisé en Annam (au nord du Viet-Nam), le 15 février 1861.

[8] Quand je ne sens rien, quand je suis incapable de prier, de pratiquer la vertu, c’est alors le moment de chercher de petites occasions, des riens qui font plus de plaisir à Jésus que l’empire du monde, ou même que le martyre souffert généreusement. Par exemple, un sourire, une parole aimable, alors que j’aurais envie de rien dire ou d’avoir l’air ennuyé. Ce nest pas pour faire ma couronne, pour gagner des mérites, c’est afin de faire plaisir à Jésus. Quand les mots défaillent, il nous reste la prière par les actes. Nous ne parlons plus à Dieu par des paroles, c’est lui qui parle aux autre à travers nous.

[9] Vous le savez, ma Mère, j’ai toujours désiré d’être une sainte, mais, hélas ! j’ai toujours constaté, lorsque je me suis comparée aux saints, qu’il y a entre eux et moi la même différence qu’il existe entre une montagne dont le sommet se perd dans les cieux et le grain de sable obscur foulé sous les pieds des passants ; au lieu de me décourager, je me suis dit : Le Bon Dieu ne saurait inspirer des désirs irréalisables je puis donc malgré ma petitesse aspirer à la sainteté ; me grandir, c’est impossible, je dois me supporter telle que je suis avec toutes mes imperfections ; mais je veux chercher le moyen d’aller au Ciel par une petite voie bien droite, bien courte, une petite voie toute nouvelle. Nous sommes dans un siècle d’inventions, maintenant ce n’est plus la peine de gravir les marches d’un escalier, chez les riches un ascenseur le remplace avantageusement. Moi je voudrais aussi trouver un ascenseur pour m’élever jusqu’à Jésus, car je suis trop petite pour monter le rude escalier de la perfection. Alors j’ai recherché dans les livres saints l’indication de l’ascenseur, objet de mon désir et j’ai lu ces mots sortis de la bouche de la Sagesse Eternelle: «  Si quelqu’un est tout petit qu’il vienne à moi »  (Proverbes IX 4). Alors je suis venue. devinant que j’avais trouvé ce que je cherchais et voulant savoir, ô mon Dieu ! ce que vous feriez au tout petit qui répondrait à votre appel, j’ai continué mes recherches et voici ce que j’ai trouvé : « Comme une mère caresse son enfant, ainsi je vous consolerai, je vous porterai sur mon sein et je vous bercerai sur mes genoux ! » (Isaïe LXVI 13) Je désire accomplir parfaitement votre volonté et arriver au degré de gloire que vous m’avez préparé dans votre royaume, en un mot, je désire être sainte, mais je sens mon impuissance et je vous demande, ô mon Dieu ! d’être vous-même ma sainteté.


Lettre apostolique « Divini amoris scientia »
pour la proclamation de
Sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus et de la Sainte-Face
Docteur de l'Eglise universelle


1. LA SCIENCE DE L'AMOUR DIVIN que répand le Père de toute miséricorde, par Jésus Christ en l'Esprit Saint, est un don, accordé aux petits et aux humbles afin qu'ils connaissent et qu'ils proclament les secrets du Royaume cachés aux sages et aux savants ; pour cela, Jésus a exulté dans l'Esprit Saint, bénissant le Père, qui en a ainsi disposé[10].

Mère, l’Eglise se réjouit aussi de voir que, dans le cours de l'histoire, le Seigneur continue à se révéler aux petits et aux humbles, rendant capables ceux qu'il a choisis, par l'Esprit qui « sonde tout, jusqu'aux profondeurs de Dieu »[11], de parler des « dons gracieux que Dieu nous a faits [...], non pas avec des discours enseignés par l'humaine sagesse, mais avec ceux qu'enseigne l'Esprit, exprimant en termes spirituels des réalités spirituelles »[12]. L'Esprit Saint guide ainsi l’Eglise vers la vérité tout entière, la pourvoit de dons divers, l'embellit de ses fruits, la rajeunit par la force de l’Evangile et lui permet de scruter les signes des temps pour mieux répondre à la volonté de Dieu[13].

Parmi les petits auxquels les secrets du Royaume ont été manifestés d'une manière toute particulière, resplendit Thérèse de l'Enfant-Jésus et de la Sainte-Face, moniale professe de l'Ordre des Carmélites déchaussées, dont le centenaire de l'entrée dans la patrie céleste est célébré cette année[14].

Pendant sa vie, Thérèse a découvert « de nouvelles lumières, des sens cachés et mystérieux » et elle a reçu du divin Maître la « science d'Amour » qu'elle a montrée dans ses écrits avec une réelle originalité. Cette science est l'expression lumineuse de sa connaissance du mystère du Royaume et de son expérience personnelle de la grâce. Elle peut être considérée comme un charisme particulier de la sagesse évangélique que Thérèse, comme d'autres saints et maîtres de la foi, a puisée dans la prière.

2. En notre siècle, l'accueil réservé à l'exemple de sa vie et à sa doctrine évangélique a été rapide, universel et constant. En quelque sorte à l'instar de sa maturité spirituelle précoce, sa sainteté a été reconnue par l’Eglise en peu d'années. En effet, le 10 juin 1914, Pie X signait le décret d'introduction de la cause de béatification ; le 14 août 1921, Benoît XV déclarait l'héroïcité des vertus de la servante de Dieu et prononçait à cette occasion un discours sur la voie de l'enfance spirituelle ; Pie XI la proclamait bienheureuse le 29 avril 1923. Peu après, le 17 mai 1925, le même Pape la canonisait en la Basilique Saint-Pierre devant une foule immense, mettant en relief la splendeur de ses vertus ainsi que l'originalité de sa doctrine ; deux ans plus tard, le 14 décembre 1927, il la proclamait patronne des missions en même temps que saint François- Xavier, à la demande de nombreux évêques missionnaires.

A la suite de ces consécrations, le rayonnement spirituel de Thérèse de l'Enfant-Jésus a grandi dans l’Eglise et s'est répandu dans le monde entier. Nombre d'instituts de vie consacrés et de mouvements ecclésiaux, notamment dans les jeunes Eglises, l'ont choisie comme patronne et maîtresse de vie spirituelle, en s'inspirant de sa doctrine. Son message, souvent résumé dans ce qu'on appelle la « petite voie », qui n'est autre que la voie évangélique de la sainteté ouverte à tous, a été étudié par des théologiens et des spécialistes de la spiritualité. Sous le patronage de la sainte de Lisieux, de multiples cathédrales, basiliques, sanctuaires et églises ont été édifiés et consacrés au Seigneur dans le monde entier. Son culte est célébré par l’Eglise catholique dans les différents rites d'Orient et d'Occident. Beaucoup de fidèles ont pu éprouver la puissance de son intercession. Nombreux sont ceux qui, appelés au ministère sacerdotal ou à la vie consacrée, spécialement dans les missions ou dans la vie contemplative, attribuent la grâce divine de leur vocation à son intercession et à son exemple.

3. Les Pasteurs de l’Eglise, et d'abord mes prédécesseurs les Papes de ce siècle, qui ont proposé sa sainteté en exemple à tous, ont également souligné que Thérèse est maîtresse de vie spirituelle par une doctrine, à la fois simple et profonde, qu'elle a puisée aux sources de l’Evangile sous la conduite du Maître divin et qu'elle a ensuite communiquée à ses frères et sœurs de l’Eglise d'une manière très convaincante.

Cette doctrine spirituelle nous a été transmise surtout par son autobiographie qui, à partir des trois manuscrits qu'elle avait rédigés pendant les dernières années de sa vie, et publiée un an après sa mort sous le titre « Histoire d'une Ame » (Lisieux, 1898), a suscité un intérêt extraordinaire jusqu'à nos jours. Cette autobiographie, traduite avec d'autres de ses écrits en cinquante langues environ, a fait connaître Thérèse dans toutes les régions du monde et aussi en dehors de l’Eglise catholique. Un siècle après sa mort, Thérèse de l'Enfant-Jésus est toujours reconnue comme l'un des grands maîtres de vie spirituelle de notre temps.

4. Il n'est donc pas surprenant que de nombreuses requêtes aient été présentées au Siège apostolique pour qu'elle reçoive le titre de Docteur de l’Eglise universelle.

Depuis quelques années, et spécialement à l'approche de l'heureuse célébration du premier centenaire de sa mort, ces requêtes sont arrivées toujours en plus grand nombre de la part de Conférences épiscopales ; en outre, des Congrès d'études ont eu lieu et les publications abondent qui mettent en valeur le fait que Thérèse de l'Enfant-Jésus possède une sagesse extraordinaire et que sa doctrine aide d'innombrables hommes et femmes de toutes conditions à connaître et à aimer Jésus Christ et son Evangile.

A la lumière de ces éléments, j'ai décidé de faire faire une étude attentive afin de voir si la sainte de Lisieux avait les qualités requises pour pouvoir être honorée du titre de Docteur de l'Église universelle.

5. Dans ce contexte, il me plaît de rappeler brièvement quelques étapes de la vie de Thérèse de l'Enfant-Jésus. Elle naît à Alençon en France le 2 janvier 1873. Elle est baptisée deux jours plus tard en l'église Notre-Dame, recevant les noms de Marie Françoise Thérèse. Ses parents sont Louis Martin et Zélie Guérin, dont j'ai récemment reconnu l'héroïcité des vertus. Après la mort de sa mère, le 28 août 1877, Thérèse s'installe avec toute sa famille dans la ville de Lisieux où, entourée de l'affection de son père et de ses sœurs, elle reçoit une formation à la fois exigeante et pleine de tendresse.

Vers la fin de 1879, elle s'approche pour la première fois du sacrement de pénitence. Le jour de Pentecôte 1883, elle bénéficie de la grâce singulière de la guérison d'une grave maladie, par l'intercession de Notre-Dame des Victoires. Formée par les Bénédictines de Lisieux, elle fait sa première communion le 8 mai 1884, après une préparation intense, couronnée par une expérience marquante de la grâce de l'union intime avec Jésus. Quelques semaines après, le 14 juin de la même année, elle reçoit le sacrement de la confirmation, avec une vive conscience de ce que comporte le don de l'Esprit Saint dans sa participation personnelle à la grâce de la Pentecôte. A Noël 1886, elle vit une expérience spirituelle très profonde, qu'elle définit comme sa « complète conversion ». Grâce à cette expérience, elle surmonte la fragilité émotive qui avait résulté de la perte de sa mère et elle entreprend « une course de géant » sur la voie de la perfection.

Thérèse désire entrer dans la vie contemplative au Carmel de Lisieux, comme ses sœurs Pauline et Marie, mais son jeune âge l'en empêche. À l'occasion d'un pèlerinage en Italie, après avoir visité la Maison de Lorette et la Ville éternelle, lors de l'audience accordée par le Pape aux fidèles du diocèse de Lisieux, le 20 novembre 1887, elle demande avec une audace filiale à Léon XIII de pouvoir entrer au Carmel à l'âge de quinze ans.

Le 9 avril 1888, elle entre au Carmel de Lisieux ; elle y reçoit l'habit de l'Ordre de la Vierge le 10 janvier de l'année suivante et elle fait sa profession religieuse le 8 septembre 1890, fête de la Nativité de la Vierge Marie. Au Carmel, elle s'engage sur le chemin de perfection tracé par la Mère fondatrice, Thérèse de Jésus, avec une ferveur et une fidélité authentiques, par l'accomplissement des divers services communautaires qui lui sont confiés. Eclairée par la Parole de Dieu, éprouvée très vivement par la maladie de son père bien-aimé, Louis Martin, qui meurt le 29 juillet 1894, Thérèse avance vers la sainteté, en mettant l'accent sur le caractère central de l'amour. Elle découvre et elle communique aux novices confiées à ses soins la petite voie de l'enfance spirituelle, alors qu'en progressant elle-même sur cette voie elle pénètre toujours plus le mystère de l’Eglise et, attirée par l'amour du Christ, elle sent s'affermir en elle la vocation apostolique et missionnaire qui la pousse à entraîner tout le monde avec elle à la rencontre de l’Epoux divin.

Le 9 juin 1895, en la fête de la Très Sainte Trinité, elle s'offre en victime d'holocauste à l'Amour miséricordieux de Dieu. Le 3 avril de l'année suivante, dans la nuit du jeudi au vendredi saints, elle connaît une première manifestation de la maladie qui la conduira à la mort. Thérèse l'accueille comme une mystérieuse visite de l’Epoux divin. En même temps, elle entre dans l'épreuve de la foi, qui durera jusqu'à sa mort. Sa santé s'aggravant, elle est transférée à l'infirmerie le 8 juillet 1897. Ses sœurs et d'autres religieuses recueillent ses paroles, tandis que s'intensifient ses souffrances et ses épreuves, supportées avec patience, jusqu'à culminer en sa mort dans l'après-midi du 30 septembre 1897. « Je ne meurs pas, j'entre dans la vie » avait-elle écrit à un frère spirituel, l’Abbé Bellière[15]. Ses dernières paroles, « Mon Dieu ... je vous aime ! » scellent son existence.

6. Thérèse de l'Enfant-Jésus nous a laissé des écrits qui lui ont valu à juste titre d'être considérée comme maîtresse de vie spirituelle. Son œuvre principale reste le récit de sa vie dans les trois « Manuscrits autobiographiques A, B et C », publiés d'abord sous le titre devenu vite célèbre de « Histoire d'une Ame ».

Dans le Manuscrit A, qui fut rédigé sur la demande de sa sœur Agnès de Jésus, alors prieure du monastère, à laquelle elle le remit le 21 janvier 1896, Thérèse décrit les étapes de son expérience religieuse : les premières années de son enfance, notamment les événements de sa première communion et de sa confirmation, son adolescence, jusqu'à l'entrée au Carmel et la première profession.

Le Manuscrit B, rédigé au cours de la retraite spirituelle de la même année à la demande de sa sœur Marie du Sacré-Cœur, contient certaines des plus belles pages, des plus connues et des plus citées de la sainte de Lisieux. La pleine maturité de la sainte s'y manifeste, alors qu'elle parle de sa vocation dans l’Eglise, Epouse du Christ et Mère des âmes.

Le Manuscrit C, composé au mois de juin et les premiers jours de juillet 1897, peu de mois avant sa mort, et dédié à la prieure Marie de Gonzague, qui le lui avait demandé, complète les souvenirs du Manuscrit A sur la vie au Carmel. Ces pages montrent la sagesse surnaturelle de l'auteur. Thérèse retrace quelques expériences très fortes de cette période finale de sa vie. Elle consacre des pages impressionnantes à l'épreuve de la foi : une grâce de purification qui la plonge dans une longue et douloureuse nuit obscure, où elle est soutenue par sa confiance en l'amour miséricordieux et paternel de Dieu. Là encore, et sans se répéter, Thérèse fait resplendir la lumière rayonnante de l’Evangile. Nous trouvons là les plus belles pages qu'elle ait consacrées à l'abandon confiant entre les mains de Dieu, à l'unité qui existe entre l'amour de Dieu et l'amour du prochain, à sa vocation missionnaire dans l’Eglise.

Dans ces trois manuscrits, où se retrouvent une unité thématique et la description progressive de sa vie et de son itinéraire spirituel, Thérèse nous a laissé une autobiographie originale qui est l'histoire de son âme. Il en ressort que dans son existence Dieu a présenté un message spécifique au monde, en montrant une voie évangélique, la « petite voie », que tout le monde peut parcourir, parce que tous sont appelés à la sainteté.

Dans les deux cent soixante-six « Lettres » que nous conservons, adressées aux membres de sa famille, aux religieuses, à ses « frères » missionnaires, Thérèse communique sa sagesse et développe un enseignement qui constitue de fait une pratique profonde de la direction spirituelle des âmes.

Ses écrits comprennent aussi cinquante-quatre « Poésies », dont certaines ont une grande densité théologique et spirituelle, inspirées par l’Ecriture Sainte. Deux de ces poésies méritent une mention particulière : « Vivre d'amour ! » et « Pourquoi je t'aime, ô Marie! », cette dernière présentant une synthèse originale de l'itinéraire de la Vierge Marie selon l’Evangile. Il faut ajouter à cette production huit « Récréations pieuses » : des compositions poétiques et théâtrales, conçues et représentées par la sainte pour sa communauté à l'occasion de certaines fêtes, suivant la tradition du Carmel. Parmi les autres écrits, il faut rappeler une série de vingt et une « Prières ». Et l'on ne peut oublier le recueil des paroles qu'elle a prononcées au cours des derniers mois de sa vie. Ces paroles, dont on conserve plusieurs rédactions, connues comme « Novissima verba », ont aussi reçu le titre de « Derniers Entretiens ».

7. A partir de l'étude attentive des écrits de sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus et en fonction du rayonnement qu'ils ont eu dans l’Eglise, on peut relever les aspects saillants de l’« éminente doctrine » qui constitue l'élément essentiel sur lequel est fondée l'attribution du titre de Docteur de l’Eglise.

Avant tout, on constate la présence d'un « charisme particulier de sagesse ». Cette jeune carmélite, en effet, sans formation théologique spéciale, mais éclairée par la lumière de l’Evangile, se sent instruite par le Maître divin qui, comme elle le dit, est « le Docteur des docteurs », chez qui elle puise les « enseignements divins ». Elle éprouve en elle-même l'accomplissement des paroles de l’Ecriture : « Si quelqu'un est tout petit, qu'il vienne à moi ». [...] « La miséricorde est accordée aux petits »[16] ; et elle se sait instruite dans la science de l'amour, cachée aux sages et aux savants, que le divin Maître a bien voulu lui révéler, comme aux petits[17].

Pie XI, qui considérait Thérèse de Lisieux comme l’« Etoile de son pontificat », n'hésita pas à affirmer dans l'homélie du jour de sa canonisation, le 17 mai 1925 : « L'Esprit de vérité lui ouvrit et lui fit connaître ce qu'il a coutume de cacher aux sages et aux savants pour le révéler aux tout-petits. Ainsi, selon le témoignage de notre prédécesseur immédiat, elle a possédé une telle science des réalités d'en-haut qu'elle peut montrer aux âmes une voie sûre pour le salut ».

Son enseignement n'est pas seulement conforme à l’Ecriture et à la foi catholique, mais il excelle (eminet) par « la profondeur et la sagesse synthétique où il est parvenu ». Sa doctrine est à la fois une confession de la foi de l’Eglise, une expérience du mystère chrétien et une voie vers la sainteté. Faisant preuve de maturité, Thérèse donne une synthèse de la spiritualité chrétienne ; elle unit la théologie et la vie spirituelle, elle s'exprime avec vigueur et autorité, avec une grande capacité de persuasion et de communication, ainsi que le montrent la réception et la diffusion de son message dans le Peuple de Dieu.

L'enseignement de Thérèse exprime avec cohérence et intègre dans un ensemble harmonieux les dogmes de la foi chrétienne considérés comme doctrine de vérité et expérience de vie. Il ne faut pas oublier à ce sujet que l'intelligence du dépôt de la foi transmis par les Apôtres, ainsi que l'enseigne le Concile Vatican II, progresse dans l’Eglise sous l'assistance du Saint-Esprit : « En effet, la perception des réalités aussi bien que des paroles transmises s'accroît tant par la contemplation et l'étude des croyants qui les méditent dans leur cœur[18] que par l'intelligence intérieure des réalités spirituelles qu'ils expérimentent ainsi que par la prédication de ceux qui, avec la succession dans l'épiscopat, ont reçu un charisme certain de vérité »[19].

Dans les écrits de Thérèse de Lisieux, sans doute ne trouvons-nous pas, comme chez d'autres Docteurs, une présentation scientifiquement organisée des choses de Dieu, mais nous pouvons y découvrir un témoignage éclairé de la foi qui, en accueillant d'un amour confiant la condescendance miséricordieuse de Dieu et le salut dans le Christ, révèle le mystère et la sainteté de l’Eglise.

On peut donc à juste titre reconnaître dans la sainte de Lisieux le charisme d'enseignement d'un Docteur de l’Eglise, à la fois à cause du don de l’Esprit Saint qu'elle a reçu pour vivre et exprimer son expérience de foi et à cause de son intelligence particulière du mystère du Christ. En elle se retrouvent les dons de la loi nouvelle, c'est-à-dire la grâce de l'Esprit Saint, qui se manifeste dans la foi vivante agissant par la charité[20].

Nous pouvons appliquer à Thérèse de Lisieux ce que dit mon prédécesseur Paul VI d'une autre sainte jeune, Docteur de l’Eglise, Catherine de Sienne : « Ce qui frappe plus que tout dans la sainte, c'est la sagesse infuse, c'est-à-dire l'assimilation brillante, profonde et exaltante des vérités divines et des mystères de la foi [...] : une assimilation, certes favorisée par des dons naturels exceptionnels, mais évidemment prodigieuse, due à un charisme de sagesse de l'Esprit Saint ».

8. Avec sa doctrine propre et son style unique, Thérèse se présente comme une « authentique maîtresse de la foi et de la vie chrétiennes ». Dans ses écrits, comme dans les développements des saints Pères, passe la sève vivifiante de la tradition catholique dont les richesses, ainsi que l'atteste encore le Concile Vatican II, « passent dans la pratique et la vie de l'Église qui croit et qui prie »[21].

La doctrine de Thérèse de Lisieux, si on la considère dans son genre littéraire, dépendant de son éducation et de sa culture, et si on l'évalue en fonction des conditions particulières de son époque, se présente dans une harmonie providentielle avec la tradition la plus authentique de l'Église, tant pour la confession de la foi catholique que pour la promotion de la vie spirituelle la plus vraie, proposée à tous les fidèles dans un langage vivant et accessible.

Elle a fait resplendir en notre temps la beauté de l’Evangile ; elle a eu la mission de faire connaître et aimer l’Eglise, Corps mystique du Christ ; elle a aidé à guérir les âmes des rigueurs et des craintes de la doctrine janséniste, plus portée à souligner la justice de Dieu que sa divine miséricorde. Elle a contemplé et adoré dans la miséricorde de Dieu toutes les perfections divines, parce que « la Justice même (et peut-être encore plus que toute autre) me semble revêtue d'amour ». Elle est ainsi devenue une icône vivante de ce Dieu qui, selon la prière de l’Eglise, « donne la preuve suprême de sa puissance lorsqu'il patiente et prend pitié »[22].

Même si Thérèse n'a pas un corps de doctrine proprement dit, « de véritables éclairs de doctrine » se dégagent de ses écrits qui, comme par un charisme de l’Esprit Saint, touchent au centre même du message de la Révélation dans une vision originale et inédite, présentant un enseignement de qualité éminente.

De fait, au cœur de son message il y a le mystère même de Dieu Amour, de Dieu Trinité, infiniment parfait en soi. Si l'expérience chrétienne authentique doit être en accord avec les vérités révélées, dans lesquelles Dieu se fait connaître lui-même et fait connaître le mystère de sa volonté[23], il faut affirmer que Thérèse a fait l'expérience de la Révélation divine, parvenant à contempler les réalités fondamentales de notre foi réunies dans le mystère de la vie trinitaire. Au sommet, source et terme à la fois, il y a l'amour miséricordieux des trois Personnes divines, comme elle le dit, spécialement dans son « Acte d'offrande à l'Amour miséricordieux ». A la base, du côté du sujet, il y a l'expérience d'être enfant adoptif du Père en Jésus ; tel est le sens le plus authentique de l'enfance spirituelle, c'est-à-dire l'expérience de la filiation divine sous la motion de l'Esprit Saint. A la base encore, et devant nous, il y a le prochain, les autres, et nous devons coopérer à leur salut avec et en Jésus, avec le même amour miséricordieux que Lui.

Par l'enfance spirituelle, on éprouve que tout vient de Dieu, que tout retourne à Lui et demeure en Lui, pour le salut de tous, dans un mystère d'amour miséricordieux. Tel est le message doctrinal enseigné et vécu par cette sainte.

Comme pour les saints de l’Eglise de tous les temps, pour elle aussi, dans son expérience spirituelle, le Christ est le centre et la plénitude de la Révélation. Thérèse a connu Jésus, elle l'a aimé et l'a fait aimer avec la passion d'une épouse. Elle a pénétré les mystères de son enfance, les paroles de son Evangile, la passion du Serviteur souffrant gravée en sa sainte Face, la splendeur de son existence glorieuse, sa présence eucharistique. Elle a chanté toutes les expressions de la divine charité du Christ, telles qu'elles sont proposées par l’Evangile.

Thérèse a été particulièrement éclairée sur la réalité du Corps mystique du Christ, sur la diversité de ses charismes, des dons de l'Esprit Saint, sur la force éminente de la charité qui est comme le cœur même de l’Eglise, où elle a trouvé sa vocation de contemplative et de missionnaire.

Enfin, parmi les chapitres les plus originaux de sa science spirituelle, il faut rappeler la sage recherche qu'a développée Thérèse du mystère et de l'itinéraire de la Vierge Marie, parvenant à des résultats très voisins de la doctrine du Concile Vatican II, au chapitre VIII de la Constitution « Lumen gentium », et de ce que j'ai moi-même proposé dans mon encyclique « Redemptoris Mater » du 25 mars 1987.

9. La source principale de son expérience spirituelle et de son enseignement est la Parole de Dieu, dans l'Ancien et le Nouveau Testaments. Elle le reconnaît elle-même, mettant particulièrement en relief son amour passionné pour l’Evangile. Dans ses écrits, on dénombre plus de mille citations bibliques : plus de quatre cents de l'Ancien Testament et plus de six cents du Nouveau Testament.

Malgré sa formation insuffisante et l'absence d'instruments pour l'étude et l'interprétation des livres saints, Thérèse s'est immergée dans la méditation de la Parole de Dieu avec une foi et une connaturalité singulières. Sous l'influence de l’Esprit, elle est parvenue, pour elle-même et pour les autres, à une connaissance profonde de la Révélation. En se concentrant amoureusement sur l’Ecriture - elle aurait même voulu connaître l'hébreu et le grec pour mieux comprendre l'esprit et la lettre des livres saints -, elle a montré l'importance qu'ont les sources bibliques dans la vie spirituelle, elle a mis en relief l'originalité et la fraîcheur de l’Evangile, elle a cultivé sobrement l'exégèse spirituelle de la Parole de Dieu, de l'Ancien comme du Nouveau Testament. Elle a ainsi découvert des trésors cachés, en s'appropriant des paroles et des faits, parfois non sans audace surnaturelle comme lorsque, lisant les textes de Paul[24], elle a eu l'intuition de sa vocation à l'amour. Eclairée par la Parole révélée, Thérèse a écrit des pages géniales sur l'unité entre l'amour de Dieu et l'amour du prochain ; elle s'est identifiée à la prière de Jésus lors de la dernière Cène, comme expression de son intercession pour le salut de tous.

Sa doctrine est conforme à l'enseignement de l’Eglise, comme on l'a dit plus haut. Dès l'enfance, elle a été formée par sa famille à participer à la prière et au culte liturgique. Pour préparer sa première confession, sa première communion et le sacrement de la confirmation, elle a fait preuve d'un amour extraordinaire pour les vérités de la foi, et elle a appris, presque mot à mot, le « Catéchisme ». A la fin de sa vie, elle écrivit avec son sang le Symbole des Apôtres, comme expression de son attachement sans réserve à la profession de foi.

En dehors des paroles de l’Ecriture et de la doctrine de l’Eglise, Thérèse s'est nourrie très jeune de l'enseignement de l’« Imitation de Jésus Christ », qu'elle savait presque par cœur, comme elle l'a elle-même reconnu. Pour épanouir sa vocation carmélitaine, les écrits spirituels de la Mère fondatrice, Thérèse de Jésus, ont été déterminants, en particulier ceux qui exposent le sens contemplatif et ecclésial du charisme du Carmel thérésien. Mais Thérèse s'est nourrie tout particulièrement de la doctrine mystique de saint Jean de la Croix, qui a été son véritable maître spirituel. Il n'est donc pas surprenant qu'à l'école de ces deux saints, déclarés plus tard Docteurs de l’Eglise, elle aussi, excellente disciple, soit devenue Maîtresse de vie spirituelle.

10. La doctrine spirituelle de Thérèse de Lisieux a contribué à la croissance du Royaume de Dieu. Par son exemple de sainteté, de fidélité parfaite à l’Eglise Mère, de pleine communion avec le Siège de Pierre, ainsi que par les grâces particulières qu'elle a obtenues pour de nombreux frères et sœurs missionnaires, elle a rendu un service tout particulier au renouvellement de l'annonce et de l'expérience de l’Evangile du Christ et à l'expansion de la foi catholique dans toutes les nations de la terre.

Il n'est pas nécessaire de s'étendre sur l'universalité de la doctrine thérésienne et sur l'ampleur de l'accueil réservé à son message au cours du siècle qui nous sépare de sa mort : cela a été largement confirmé par les études réalisées en vue de l'attribution à la sainte du titre de Docteur de l’Eglise.

A ce sujet, le fait que le Magistère même de l’Eglise a non seulement reconnu la sainteté de Thérèse mais a aussi mis en lumière sa sagesse et sa doctrine revêt une particulièrement importance. Déjà Pie X dit d'elle qu'elle était « la plus grande sainte des temps modernes ». Accueillant avec joie la première édition italienne de l’« Histoire d'une âme », il souligna les fruits que l'on retirait de la spiritualité thérésienne. Benoît XV, à l'occasion de la proclamation de l'héroïcité des vertus de la Servante de Dieu, mit en lumière la voie de l'enfance spirituelle et loua la science des réalités divines, accordée par Dieu à Thérèse pour apprendre aux autres les voies du salut. Pie XI, lors de sa béatification comme de sa canonisation, voulut exposer la doctrine de la sainte et la recommander, en soulignant sa particulière illumination divine et en la disant maîtresse de vie. Lorsque la Basilique de Lisieux fut consacrée en 1954, Pie XII déclara, entre autres, que Thérèse était entrée par sa doctrine au cœur même de l’Evangile. Le Cardinal Angelo Roncalli, futur Pape Jean XXIII, se rendit plusieurs fois à Lisieux, surtout lorsqu'il était Nonce à Paris. Pendant son pontificat, il manifesta en plusieurs circonstances sa dévotion pour la sainte et il mit en relief les rapports entre la doctrine de la sainte d'Avila et celle de sa fille, Thérèse de Lisieux. Pendant la célébration du Concile Vatican II, les Pères évoquèrent à plusieurs reprises son exemple et sa doctrine. Paul VI, pour le centenaire de sa naissance, adressait une lettre à l’Evêque de Bayeux et Lisieux, le 2 janvier 1973, où il exaltait Thérèse dans sa recherche exemplaire de Dieu, il la proposait comme maîtresse de la prière et de l'espérance théologale, modèle de communion avec l’Eglise, conseillant l'étude de sa doctrine aux maîtres, aux éducateurs, aux pasteurs et aux théologiens eux-mêmes. Moi-même, en différentes circonstances, j'eus la joie d'évoquer la figure et la doctrine de la sainte, spécialement à l'occasion de mon inoubliable visite à Lisieux, le 2 juin 1980, quand j'ai voulu rappeler à tous : « De Thérèse de Lisieux, on peut dire avec conviction que l'Esprit de Dieu a permis à son cœur de révéler directement aux hommes de notre temps, le mystère fondamental, la réalité de l’Evangile [...] La petite voie est la voie de la sainte enfance. Dans cette voie, il y a quelque chose d'unique, un génie de sainte Thérèse de Lisieux. Il y a en même temps la confirmation et le renouvellement de la vérité la plus fondamentale et la plus universelle. Quelle vérité du message évangélique est en effet plus fondamentale et plus universelle que celle-ci : Dieu est notre Père et nous sommes ses enfants ? »

Ces simples rappels d'une série ininterrompue de témoignages des Papes de ce siècle sur la sainteté et la doctrine de sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus et de la diffusion universelle de son message montrent clairement dans quelle large mesure l’Eglise a accueilli, par ses pasteurs et ses fidèles, l'enseignement spirituel de cette jeune sainte.

Un signe de la réception ecclésiale de l'enseignement de la sainte se trouve dans le recours à sa doctrine dans de nombreux documents du Magistère ordinaire de l’Eglise, surtout quand il est question de la vocation contemplative et missionnaire, de la confiance en Dieu juste et miséricordieux, de la joie chrétienne, de la vocation à la sainteté. En témoigne la présence de sa doctrine dans le récent « Catéchisme de l’Eglise catholique » (127, 826, 956, 1011, 2011, 2558). Celle qui a tant aimé apprendre dans le catéchisme les vérités de la foi a mérité d'être comptée au nombre des témoins autorisés de la doctrine catholique.

Thérèse jouit d'une universalité exceptionnelle. Sa personne, son message évangélique de la « petite voie » de la confiance et de l'enfance spirituelle ont reçu et continuent de recevoir un accueil surprenant, qui a franchi toutes les frontières.

L'influence de son message touche avant tout des hommes et des femmes dont la sainteté ou l'héroïcité des vertus ont été reconnues par l’Eglise elle-même, des pasteurs de l’Eglise, des spécialistes de la théologie et de la spiritualité, des prêtres et des séminaristes, des religieux et des religieuses, des mouvements ecclésiaux et des communautés nouvelles, des hommes et des femmes de toutes les conditions et de tous les continents. Thérèse apporte à tous sa manière personnelle de confirmer que le mystère chrétien, dont elle est devenue témoin et apôtre, se faisant dans la prière, comme elle le dit avec audace, « apôtre des apôtres », doit être pris à la lettre, avec le plus grand réalisme possible, parce qu'il a une valeur universelle dans le temps et dans l'espace. La force de sa doctrine vient de ce qu'elle montre concrètement comment toutes les promesses de Jésus trouvent leur plein accomplissement dans le croyant qui sait accueillir avec confiance en sa vie la présence salvatrice du Rédempteur.

11. Tous ces motifs montrent clairement l'actualité de la doctrine de la sainte de Lisieux et l'influence particulière de son message sur les hommes et les femmes de notre siècle. Certaines circonstances interviennent pour rendre encore plus significative sa désignation comme Maîtresse pour l’Eglise de notre temps.

D'abord, Thérèse est une femme qui, en abordant l’Evangile, a su déceler des richesses cachées avec un sens du concret, une profondeur d'assimilation dans la vie et une sagesse qui sont propres au génie féminin. Son universalité lui confère une grande place parmi les saintes femmes qui brillent par leur sagesse évangélique.

Thérèse est aussi une contemplative. Dans le secret de son Carmel, elle a vécu la grande aventure de l'expérience chrétienne, jusqu'à connaître la longueur, la largeur, la hauteur et la profondeur de l'amour du Christ[25]. Dieu a voulu que ses secrets ne restent pas cachés, et il a permis à Thérèse de proclamer les secrets du Roi. Par sa vie, Thérèse donne un témoignage et une illustration théologique de la beauté de la vie contemplative, comme consécration totale au Christ, Epoux de l’Eglise, et comme affirmation du primat de Dieu sur toutes choses. Sa vie est une vie cachée qui possède une mystérieuse fécondité pour la diffusion de l’Evangile et qui remplit l’Eglise et le monde de la bonne odeur du Christ.

Thérèse de Lisieux, enfin, est jeune. Elle est arrivée à la maturité de la sainteté en pleine jeunesse. Comme telle, elle se montre Maîtresse de vie évangélique, particulièrement efficace pour éclairer les chemins des jeunes à qui il revient d'être des disciples actifs et des témoins de l'Évangile pour les nouvelles générations.

Thérèse de l'Enfant-Jésus est non seulement le Docteur de l’Eglise le plus jeune en âge, mais encore le plus proche de nous dans le temps, elle souligne en quelque sorte la constance avec laquelle l'Esprit du Seigneur envoie à l’Eglise ses messagers, hommes et femmes, comme maîtres et témoins de la foi. En effet, quelles que soient les variations constatées au cours de l'histoire et malgré les conséquences qu'elles ont ordinairement sur la vie et la pensée des personnes à chaque époque, nous ne devons pas perdre de vue la continuité qui lie entre eux les Docteurs de l’Eglise : ils restent, dans tous les contextes historiques, des témoins de l’Evangile qui ne change pas et, avec la lumière et la force qui leur viennent de l'Esprit, ils s'en font les messagers qui viennent l'annoncer dans sa pureté à leurs contemporains. Thérèse est une Maîtresse pour notre temps, assoiffé de paroles vivantes et essentielles, de témoignages héroïques et crédibles. C'est pourquoi elle est aimée et accueillie également par des frères et des sœurs des autres communautés chrétiennes et même par des personnes non chrétiennes.

12. En cette année où l'on célèbre le centenaire de la mort glorieuse de Thérèse de l'Enfant-Jésus et de la Sainte-Face, alors que nous nous préparons à célébrer le grand Jubilé de l'An 2000, après que me soient parvenues des requêtes nombreuses et dignes de foi, spécialement de la part de Conférences épiscopales du monde entier, et après avoir reçu la requête officielle, ou « Supplex Libellus », qui m'a été adressée le 8 mars 1997 par l’Evêque de Bayeux et Lisieux, ainsi que par le Préposé général de l'Ordre des Carmes déchaux de la Bienheureuse Vierge Marie du Mont Carmel et par le Postulateur général de cet Ordre, j'ai décidé de confier à la Congrégation pour les Causes des Saints, compétente en la matière, l'étude spécifique de la cause pour l'attribution du Doctorat à cette sainte, « après avoir obtenu l'avis de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi pour ce qui touche à l'éminence de la doctrine »[26].

Ayant rassemblé la documentation nécessaire, les deux Congrégations susdites ont abordé la question dans les réunions respectives de leurs consulteurs: celle de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi le 5 mai 1997, en ce qui concerne la « doctrine éminente », et celle de la Congrégation pour les Causes des Saints le 29 mai de la même année, pour examiner la « Positio » spéciale. Le 17 juin suivant, les Cardinaux et les Evêques membres des mêmes Congrégations, suivant une procédure que j'ai approuvée pour la circonstance, se sont réunis en session interdicastérielle plénière et ont étudié la cause, exprimant à l'unanimité un avis favorable à l'attribution à sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus et de la Sainte-Face du titre de Docteur de l’Eglise universelle. Cet avis m'a été communiqué personnellement par Monsieur le Cardinal Joseph Ratzinger, Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi et par le Pro-Préfet de la Congrégation pour les Causes des Saints, Monseigneur Alberto Bovone, Archevêque titulaire de Cesarée de Numidie.

En considération de cela, le 24 août dernier, au moment de la prière de l'Angélus, en présence de centaines d’Evêques et devant une foule immense de jeunes du monde entier réunis à Paris pour la XII° Journée mondiale de la Jeunesse, j'ai voulu annoncer personnellement mon intention de proclamer Thérèse de l'Enfant-Jésus et de la Sainte-Face Docteur de l’Eglise universelle à l'occasion de la célébration à Rome de la Journée mondiale des Missions.

Aujourd'hui, 19 octobre 1997, en la Place Saint-Pierre remplie de fidèles venus de toutes les régions du monde, en présence de nombreux Cardinaux, Archevêques et Evêques, au cours de la célébration solennelle de l'Eucharistie, j'ai proclamé Docteur de l’Eglise universelle Thérèse de l'Enfant-Jésus et de la Sainte-Face en prononçant ces paroles : « Répondant au vœu d'un très grand nombre de Frères dans l'épiscopat et d'une multitude de fidèles du monde entier, après avoir consulté la Congrégation pour les Causes des Saints et après avoir obtenu l'avis de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi pour ce qui touche à l'éminence de la doctrine, de science certaine et après en avoir longuement délibéré, en vertu de la plénitude du pouvoir apostolique, nous déclarons Docteur de l'Église universelle sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus et de la Sainte-Face, vierge. Au nom du Père, et du Fils et du Saint-Esprit ».

Cela ayant été accompli légitimement, nous demandons que notre lettre soit reçue avec un religieux respect et qu'elle prenne tout son effet maintenant et à l'avenir; en outre, que cela soit considéré comme jugé et défini légitimement et, s'il arrivait que quelqu'un, quelle que soit son autorité, contredise sciemment ou non l'un de ces points, que son acte soit nul et non avenu.

Donné à Rome, près de Saint-Pierre, sous l'anneau du Pêcheur, le 19 octobre de l'an du Seigneur 1997.

S.S. le Pape Jean-Paul II


[10] Voir : évangile selon saint Luc, X 21-22 ; évangile selon saint Matthieu, XI 25-26.

[11] Première épître de saint Paul aux Corinthiens, II 10.

[12] Première épître de saint Paul aux Corinthiens, II 12 & 13.

[13] Voir : Vatican II,  « Lumen gentium », n° 4 & n°12 ; « Gaudium et spes », n° 4.

[14] Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus et de la Sainte-Face, née le 2 janvier 1873, mourut le 30 septembre 1897.

[15] Maurice-Marie-Louis Bellière (né et mort à Caen, 1874-1907) est le premier frère spirituel de sainte Thérèse de l’Enfant Jésus. Orphelin de mère à sa naissance, il est recueilli à Langrune par sa tante maternelle. Son père, remarié, vit à Paris. Petit séminariste à Villiers, Maurice pense à l'armée jusqu'à dix-huit ans. Entré au séminaire de Sommervieu (octobre 1894) et il demande une sœur spirituelle au Carmel de Lisieux (octobre 1896) ; Mère Agnès désigne Thérèse, avec laquelle il a une correspondance régulière à partir d'octobre 1896, et fréquente durant l'été 1897. Embarqué, le 29 septembre 1897, pour le noviciat des Pères Blancs à Alger, il sera ordonné prêtre à Carthage, le 29 juin 1901. Nommé au Nyassa en 1902, il revient après trois difficiles années. Soigné à Marseille puis en Belgique, il rentre dans son diocèse en 1906.

[16] Voir : Proverbes, IX 4 & Sagesse, VI 6.

[17] Evangile selon saint Luc, X 21-22.

[18] Evangile selon saint Luc, II 19 & 51.

[19] Vatican II : « Dei Verbum », n° 8.

[20] Voir : saint Thomas d'Aquin, « Somme théologique », I-II, question 106, a. 1 ; question 108, a. 1

[21] Vatican II : « Dei Verbum », n° 8.

[22] Voir : « Missale Romanum », collecte du vingt-sixième dimanche du temps ordinaire.

[23] Voir : Vatican II, « Dei Verbum », n° 2.

[24] Voir : première épître de saint Paul aux Corinthiens, II 12-13.

[25] Voir : épître de saint Paul aux Ephésiens, III 18-19.

[26] Jean-Paul II : Constitution apostolique « Pastor bonus », n° 73.