Christine Angot, Jean-Claude Milner, Max Milner,
manières de voir, manières de parler

15/02/11 — Christine Angot (avec Philippe Forest), Jean-Claude Milner, Max Milner (Jean de la Croix), Dossier de la revue Spirale : La laïcité au regard du littéraire.


Associer la censément peccamineuse Christine Angot (Les Petits), l’impeccable Jean-Claude Milner (Courts traités politiques), en espérant qu’apparaisse « l’’envers du visible » cher à Max Milner (son Jean de la Croix réédité, toute son oeuvre), peut-être est-ce une gageure.

Ceci est une lettre de bonne foi, lectrice, lecteur : d’ailleurs, elle se conclut par « la laïcité au regard du littéraire » (revue Spirale).


L’engagement. La notion d’engagement se trouve au cœur même de la moindre écriture. Sans influence pourtant sur le monde autour. La liberté de l’écriture est au prix d’un cloisonnement net entre art et vie sociale. L’engagement qui se trouve au cœur, toujours, est d’une autre sorte, d’une sorte sans aucune contrainte, sans aucun souci ni de convenir, ni d’être positif ou négatif, ou neutre. Et par là irrecevable socialement.
Christine Angot [1]

Or, parlons sans ambages. Quand il s’agit de l’injustice, le meilleur paradigme, le seul peut-être, c’est la douleur physique. Éclairé par ce paradigme, on saura traiter la subordination injuste comme elle le mérite, sans former d’hypothèses sur l’avenir, car l’avenir ne sert à rien.
Jean-Claude Milner [2]

Christine Angot, Les Petits

Philippe Forest intitule L’écrivain en « personne » le dernier paragraphe de l’article donné à art press ce mois de février [3]. Il justifie les guillemets ainsi :

« La délicatesse [4] de l’écrivain consiste à laisser s’effacer l’image de lui-même qu’il élabore dans le moment même où il paraît l’affirmer. Il n’est pas Narcisse, selon le reproche que lui adresse paradoxalement une société elle-même fondée sur l’exhibition et le spectacle, mais Antigone ou bien Ulysse, c’est-à-dire Personne : « Ce n’est pas MON histoire. Ce n’est pas une HISTOIRE. Ce n’est pas MON livre. C’est l’histoire de personne, l’autofiction n’est pas possible. C’est personne, c’est une personne. » Et c’est à ce compte que l’on pouvait lire les lignes suivantes : « Je ne RACONTE pas. Je ne raconte pas MON histoire. Je ne débrouille pas MON affaire. Je ne lave pas MON linge sale. Mais le drap social. »  [5]

Ainsi par exemple, les cécités croisées de personne(s) :

« Ce qui lui est étranger ne l’intéresse pas. Elle ne le voit pas. Elle ne le perçoit pas. Elle ne le capte pas. Ça n’entre pas dans sa conscience. Dans son champ de vision. Dans sa conception. Ça reste hors champ. Son regard ne le saisit pas. D’une certaine manière, elle n’est pas responsable. Ce n’est pas dans l’angle, et pas dans le cadre. Elle ne peut pas le voir. Son œil n’est pas exercé à le détecter, à le repérer, pas apte. C’est un angle mort, nul, non avenu. Perdu. Ce n’est pas digne d’exister. Ça n’existe pas. Si ça lui est étranger, elle ne le voit pas. Elle ne voit rien, mais la sentence tombe. Elle juge en fonction de la vue qu’elle a, qui est partielle. Elle ne voit que quand la chose a une partie miroir. Et seulement dans la partie miroir, dans le fragment qui la reflète. » (28-29)

« Il n’a pas compris. Il n’a pas vu. Ou plutôt il a compris. Mais sa conscience était bloquée. Elle ne débouchait sur rien. Sur rien d’autre que comprendre, après il n’y avait rien. Il ne s’est pas assez méfié, il ne se méfiait pas ». (184)

Un “il et elle, duo/duel” [6], selon toute apparence, traduisant à la fois une manière de finesse clinicienne, et tout une sorte de rythme de la pensée, des perceptions, une machinerie de mots, de temps verbaux, de ponctuations, au plus près des mécaniques langagières lorsqu’elles font destin. Au surplus, le verbe institutionnel (la police, la personne chargée de "régler" la "médiation". Et quand in fine se surimpose l’écriture, partie prenante (en personne), à se demander effectivement où sont les Petits [7].

La séquence démariage/nouvel amour, produit à la fois romans dans le roman : idylles, affrontements, avec en tiers institutions, cultures, y compris dans leur dimension historique : l’esclavage et sa mémoire (l’étalon, le marquage), la libération de la parole : « on est des Schwarz » — je suis noire et je suis belle (entendez-vous le rire de la Méduse ? [8] — interrogation sur le tragique : la plausible cruauté de l’écriture (hypothèse de la page dernière), la culpabilité à l’assumer (l’autorité s’expie).

Ce qui frappe une fois encore [9], c’est la détermination dans le choix d’écriture, de faire surgir le réel, celui qu’on — Lacan, Maldiney — n’attendait pas, de s’impliquer avec son je (dont la survenue tardive indique toutefois la reprise de ce qui pouvait apparaître comme effacement du narrateur (qui est bien une narratrice)) porteur du questionnement, mais aussi de la place de qui écrit (et quand le métier est avéré comme ici, plus grande est la responsabilité, à l’esthétique correspond une éthique qui n’hésite pas à prendre quelques risques pour plus particulièrement faire ressentir, ressortir que violence sociale, violence de l’histoire et bien d’autres encore ne s’arrêtent pas aux murs d’une habitation, et que les différentes façon de s’en défendre, (dans l’enclos de ce texte : l’adoption de l’ordre par l’une, le choix (l’espoir) du pouvoir de l’impouvoir par l’autre, la voix du droit pour une autre encore, le possible salut par l’écriture enfin par l’auteure) bénéficient d’une efficacité toute relative et de paix armées, jusqu’au prochain assaut contre la mince frontière de mots [10].

Jean-Claude Milner, La politique des choses ; Pour une politique des êtres parlants

« En effet, le livre n’a de sens que s’il est un moyen de modifier le monde. S’il n’y arrive pas, ce n’est pas la peine : on peut supprimer le livre, et le dernier mot appartient au hasard. » [11]
Et pour davantage encore agrafer ses livres [12] au précédent, cette citation de Saint-Just que se plaît à relever Jean-Claude Milner :
« Nous vous proposons des institutions civiles par lesquelles un enfant peut résister à l’oppression d’un homme puissant » [13].

Milner intitule L’Œuvre claire, l’essai qu’il consacre à Lacan, en signifiant :

« Mon dessein est tout autre : non pas éclairer la pensée de Lacan, ni rectifier ce qui en a été dit, mais faire constater clairement qu’il y a de la pensée chez Lacan. De la pensée, c’est-à-dire quelque chose dont l’existence s’impose à qui ne l’a pas pensé. »

J’avancerais que, ce disant, c’est de lui-même, en personne (le grammairien ou linguiste, le philosophe, le proche de l’analyse) et en "personne" (le politique), dans une écriture — matérialisme discursif — qui rend(e) explicite une forme de vie, ici et maintenant, que Jean-Claude Milner inscrit les raisons qu’il donne. [14]

Si les ouvrages que publie Verdier en avant-printemps, proviennent de deux sources différentes, ils forment bien un diptyque et gagnent à être lus ensemble ou l’un par l’autre, et partant du constat d’une Politique des choses, manifester Pour une politique des être parlants.

Le premier, reprise d’un texte publié en 2005 chez Navarin, et aujourd’hui épuisé, a pour circonstance la protestation élevée, en 2003, par les psychanalystes, à l’encontre d’un texte législatif qu’ils jugent dangereux. Au coeur de la controverse et de l’ouvrage, la question de l’évaluation autrefois anodine, aujourd’hui véritable paradigme d’une politique des choses. J’inscris pour mémoire :

« Quand il s’agit du malvivre, qu’il soit celui des corps ou celui des âmes, on séparera fondamentalement deux types de demande : l’une naît de la souffrance ; ainsi Lacan situait-il la demande de guérison dans Télévision : « La guérison, c’est une demande qui part de la voix du souffrant, d’un qui souffre de son corps et de sa pensée. » L’autre est la demande d’expertise ; elle n’a rien à faire avec la souffrance et tout à faire avec le contrôle. Depuis les familles jusqu’aux appareils d’État, qui a besoin d’experts, sinon ceux qui contrôlent ? Qui se soucie de guérison, sinon ceux qui souffrent ? On sait combien ce partage a traversé l’histoire de la psychiatrie et cela jusqu’à nos jours. On sait aussi que la psychanalyse, dès sa naissance, a choisi le versant de la souffrance, contre le versant du contrôle. Supposons que l’on doive un jour révoquer en doute l’intégralité de ce que la psychanalyse a mis en œuvre, ceci demeurera : les meilleurs de ses représentants ont refusé de céder sur le réel de la souffrance ; la généralité de ses adversaires, des plus féroces aux plus patelins, souhaitaient inscrire la souffrance dans la colonne des dommages collatéraux. Ce différend à lui seul marquerait l’importance et la légitimité de la psychanalyse. » (pp. 48-49 [15])

Le second ouvrage donne à la discussion politique la place centrale. En une quarantaine de paragraphes (denses), articulés en quatre parties : I. Parler politique ; II. Le moderne et le hors-politique ; III. Anatomie de la discussion politique ; IV. Sortir de la discussion politique, il développe une argumentation qui invite à « sortir des mirages, pour commencer d’affronter en être parlant, le réel de la politique » (clausule de la quatrième).

La clarté en est confondante, les exemples retenus s’adressent autant à la mémoire, à l’intelligence, à la sensibilité que le style discursif enchante par sa limpidité et sa fermeté, appelant à une lucidité renouvelée sans que des vérités soient assenées. Que retenir de cette impeccable leçon ? repartir de l’échange entre Goethe et Napoléon : « Que nous importe aujourd’hui le destin ? Le destin, c’est la politique. », entendre Freud : Die Anatomie ist das Schicksal, relire Carl Schmitt (Théologie politique) en grammairien, voir avec Benjamin, que le risque majeur de la politique c’est son esthétisation, constater que Robespierre buta sur la syntaxe : si la vertu n’est qu’un mot (souvenir de Brutus), « alors on ne peut pas passer du mot à la phrase et si l’on n’a pas de phrases, on n’a pas de langue ». Il en va de même pour la Révolution. On devine que l’essai de Jean-Claude Milner est singulièrement vivifiant pour la pensée, il n’invite pas à la mimétique à quoi réduit le discours ordinaire, et sur ce point central : la décision, et qui concerne le corps : « parler politique est aussi une technique du corps ».

Et pour marquer un attachement, en ce qui me concerne, au dernier livre de Christine Angot, la politique, c’est aussi écrire depuis le corps, corps que l’on peut asservir avec le langage, mais auquel on peut tout aussi bien donner de vivre, il faut redire l’ultime phrase de ce deuxième Court traité politique :

« La politique minimaliste part des corps parlants et y revient [...], son temps est le présent, porteur furtif de ce qu’on sait et de ce qu’on veut, ici et maintenant » [16].

Max Milner, Poésie et vie mystique chez saint Jean de la Croix

Relatant, pour la Quinzaine littéraire [17] — grâces leur en soient rendues — la parution en poche du premier livre (1951 [18]) de Max Milner aux éditions du Félin [19], François Trémolières en relève « l’énigme d’une œuvre « hautement paradoxale » : la spiritualité du dépouillement le plus radical semblant devoir condamner toute poésie, mais s’affirmant elle-même contenue dans le poème. C’est que ce dernier participe d’une innocence, où le monde est aimé non pour lui-même (amour « propriétaire ») mais à la mesure de l’absence de l’aimé - Dieu qui, l’ayant créé, s’en est retiré. L’évidence et la douleur de cette absence — voilà ce que dit sa beauté. »

L’illustreraient ces quelques vers du Pastorcico (non moins que le finale de ce poème [20] :

Il ne pleure pas d’être blessé d’amour, /de se voir ainsi affligé il n’a point de peine, /encore qu’il porte au cœur une plaie, /il pleure de penser qu’il est oublié. //De penser seulement qu’il est oublié /de sa belle pastoure, en grande peine, /il se laisse rudoyer en terre étrangère, /le cœur par l’amour tout navré.

François Trémolières nous rappelle à l’égard de cette traduction comme les autres limpidement commentée : « Max Milner était de mère espagnole, son père, juif polonais converti au catholicisme, fut le traducteur de Gongora (1928) - et sans doute le jeune agrégé de lettres françaises voulut-il marquer aussi, au commencement, une double fidélité. » On n’aura ainsi pas de peine à saisir que Jean Baruzi introducteur des études san-juanistes en France se soit fait le préfacier attentif de cet essai qui se donnait modestement pour une introduction aux poésies du saint. On lira à cet égard les pages très vives (61 à 93) qui les inscrivent dans la tradition poétique de l’heure, poésie savante, poésie populaire [21], influences italienne, arabe, la manière dont parfois le changement d’un mot révolutionne le sens : cf. « Pour seule la beauté » (Pedro de Padilla), transformé en « Pour toute la beauté », le choix des rythmes et le jeu des sonorités. Exemplairement :

De même qu’il introduit des tournures populaires dans des formes lyriques savantes, il est arrivé au moins une fois à saint Jean de la Croix de se souvenir, dans un poème d’origine espagnole, et plus précisément galaïco-portugaise, des innovations importées d’Italie. Le fruit de ce curieux mélange est une de ses réussites les plus étrangement personnelles, le poème :

« Que bien sé yo la fonte que mana y corre
aunque es de noche ... »

Débutant comme une séguédille (7 + 5 + 5)1, il se poursuit sur le rythme impair du vers italien, scandé par un refrain bref et lancinant : « malgré la nuit. »

Carlo Ossola qui signe la postface de cette réédition [22] : Max Milner/ « Il les laissa vêtus de sa beauté », revient à la conclusion de l’essayiste, jeune :

« À la base de toute vraie démarche poétique il y a l’espoir d’atteindre à une réalité plus haute que celle de la vie de tous les jours. [...] Comment retrouver un accord entre un monde de plus en plus éloigné de l’humain et un moi qui tend à se replier sur lui-même, sinon par le langage ? [ ... ] Dans la ligne sinueuse de son vers, le poète retrouve le rythme qui présida à la création du monde. Il refuse la dispersion, il descend au fond de lui-même, il écoute dans ce recueillement une voix familière qui est pourtant la voix d’un autre. »

Relever dans la parabole de Milner — et c’est ce qui fait tout le prix de cette postface, de mettre en lumière l’orient du parcours de Max Milner — , sa proximité avec un De Certeau et leur commune attention à India Song, de Marguerite Duras [23], n’est pas sans élargir la perspective, de même constater chez Baudelaire le renversement symbolique de La Noche oscura en la Nuit obscure d’un corps totalement érotisé, n’est pas sans donner à penser [24], et l’on notera aussi les propos sur l’ombre, qu’ils évoquent Blanchot (Thomas l’obscur), Roland Barthes (La chambre claire) ou Victor Hugo [25], qui permettent ainsi d’approcher « l’envers du visible » [26]

Revue Spirale : Enjeux de la laïcité II, La laïcité au regard du littéraire

Il s’agit uniquement d’approfondir par une voie différente, ou, si l’on veut, d’approfondir sans renoncer à rien.
Maria Zambrano [27]

« La liberté c’est le déficelage. »
Pascal Quignard [28]

Pas moins de deux numéros de la revue Spirale [29], pour aborder à nouveaux frais la question, les enjeux de la laïcité, l’un dans l’espace propre de la culture québécoise [30], mais non sans interférences avec les spécificité françaises, l’autre au regard du littéraire, et qui convoque aussi certains de nos auteurs, le philosophe, comme les écrivains [31].

La seconde livraison donne d’enrichir la réception de quelques livres parus de ce côté de l’Atlantique :

Identité. Fragments, franchises de Jean-Luc Nancy, analysé par Ginette Michaud qui note que la forme d’un "je" n’est déposée nulle part, elle n’est pas donnée, elle ne lui est pas donnée : c’est lui qui se donne à elle ou c’est lui qui se la donne, cela revient au même il le fait en s’identifiant [32].

— Les deux ouvrages de Julia Kristeva : Thérèse mon amour [33], et Cet incroyable besoin de croire sont lus par Gilles Dupuis, qui n’omet pas pour le premier de noter que le therapon de l’auteure a pour nom Leclercq et dont la bure est un tailleur...

— Enfin, La Barque silencieuse, lu par Guillaume Asselin, fait de Pascal Quignard un nocher pour les athées, mais aussi un nautonier de la mémoire, pour lequel écrire devient cette pratique de la résistance : « le combat du gué avec le passeur mystérieux ».

Tous beaux articles, qui s’ils n’apportent pas de révélations particulières, ont le mérite, étant associés à une problématique élargie aux enjeux de la laïcité, de rappeler que la littérature y a son mot à dire, ainsi que l’exprime en guise d’aperture Pierre Ouellet :

« ... l’agora et la bibliothèkè, double invention grecque contemporaine de la dèmokratia, étant la métaphore l’une de l’autre, la bibliothèque de voix et de regards qu’incarne l’une renvoyant à la place publique des livres et des manuscrits que l’autre représente, toutes deux garantes d’une intime cohabitation du semblable et de l’opposé, de l’avers et du revers, du divers recomposé [34] ».

Aussi je me tourne volontiers vers celui de Sylvano Santini : Saramago ou les limbes pacifiques, surmonté de, et ce qui me paraît ici important : La chaleur de l’expérience [35], ce dernier mot sera souligné (par moi) dans ce qui suit :

Après s’être livré à « un petit exercice d’autofiction et d’autodérision non seulement pour ne pas apparaître trop prétentieux (peut-on y échapper ?) mais aussi pour temporiser ce qu’il aurait aimé affirmer d’entrée de jeu : la laïcité est une expérience d’indépendance et d’autonomie, un exercice continu de souveraineté », Sylvano Santi déclare : « Je crois avoir fait un usage correct du mot « laïcité » dans mon petit récit, en tout cas, il ne m’apparaît pas totalement dénué de sens. La laïcité radicale de mon ami fictif appartient à la littérature qui, contrairement aux chartes des droits ou à la théorie républicaine de la citoyenneté universelle, sait très bien incarner une expérience, et la laïcité en est une avant tout. » Il poursuit ainsi :

L’expérience de la laïcité est radicale lorsque le genre humain est séparé de tout ce qui transcende ou conditionne son expérience. Les romans de Saramago [Il s’agit de L’aveuglement (1995) et de La lucidité (2004).] suggèrent bien, à mon avis, qu’une population ne s’égare pas nécessairement dans l’intolérance, la barbarie et le fanatisme lorsqu’elle est laissée à elle-même. [...] [36] Mais au-delà des affiches, Saramago me fait entendre une expérience qu’on ne réussira sans doute jamais à élever en principe mais qui sonne déjà un peu comme un proverbe :

« Pas de discours, ici chacun est face à son propre chagrin et tous éprouvent la même peine »

© Ronald Klapka _ 15 février 2011

[1Christine Angot, Appartenir ne doit plus compter in (Où va la littérature française ?), Quinzaine littéraire n° 711, parue le 01-03-1997. S’ajoute :
L’engagement est de toute façon la base de l’écriture, mais peut-être pas celui qu’on croit, qu’on voudrait nous faire croire. On voudrait peut-être nous tirer sur le chemin de l’engagement social pour mieux nous enlever de l’autre, autrement plus libre, autrement irrécupérable, foncièrement individuel. Foncièrement seul. Foncièrement contre tous les autres engagements qui conviennent.
« Projet d’écriture 97. Aller plus loin à la fois dans la transparence et dans le jeu. Prendre les impasses que je vois et trouver au fond un trou de grillage pour passer. Espérer que de l’autre côté il y a quelque chose à voir. Persister dans le refus du récit, de la continuité narrative, de la confession, de la recherche de l’absolution. Etre dans le présent, le désordre et la fierté de sa langue. »

[2Jean-Claude Milner, Pour une politique des corps parlants, Court traité politique 2, éditions Verdier, février 2011.
Complété par :
Quant aux institutions et aux insurrections, quant à toutes les variantes de la politique maximaliste, je laisse pour d’autres occasions le soin d’établir si elles relèvent des placebos, des antalgiques ou des somnifères. La politique minimaliste part des corps parlants et y revient. Son temps n’est ni le passé craintif ni l’avenir plein d’espérance ; son temps est le présent, porteur furtif de ce qu’on sait et de ce qu’on veut ici et maintenant.

[3art press du mois de février 2011, n° 375.

[4Philippe Forest évoque ici - son article part de la définition de ce mot - l’emploi que faisait Sade embastillé de ce mot à l’adresse de ce sa femme, précisément à propos de linge ; Roland Barthes affectionnait cette acception.

[5Christine Angot, Quitter la ville, Stock, 2000, pp. 168-169, 172 ; à lire : la recension d’Eva Domeneghini.

[6Cf. titre de ce livre, à la fois terrible (comme si transgénérationnel faisait destin) et passionnant (rigueur de la clinicienne) de la psychanalyste Nicole Cerf-Hofstein, aux éditions du Seuil — pour entrer dans la problématique de l’ouvrage, une précise présentation de Serge Sabinus. Pour faire bonne mesure ajoutons Les "comme si" et autres textes (1933-1970) d’Hélène Deutsch, aux mêmes éditions (Champ freudien). Sans oublier le passeur : Michel Plon dans la Quinzaine littéraire, n° 950, 16/0//2007.

[7Christine Angot, Les Petits, éditions Flammarion 2011. En voici la quatrième :
Ils se rencontrent à Paris. L’histoire s’installe par paliers, mais assez simplement. Ils finissent par prendre un appartement dans le quinzième, où ils vivent, avec les enfants qui arrivent à un rythme régulier. Rien que de très ordinaire, classique, courant. Mais que se passe-t-il à l’intérieur de ces quatre murs ? Quels détails du ménage, du partage du lit, de l’éducation des enfants et de toute l’organisation matérielle vont mettre en péril progressivement l’équilibre ? Comment se reconstituent dans un intérieur les luttes sociales, raciales, sexuelles ? Vont-ils s’en libérer ? Quel rôle joue l’argent ? À quel moment les murs deviennent-ils des passoires de toutes les maladies sociales ? Ont-ils jamais protégé de quoi que ce soit ? Faut-il renoncer ? Qui va gagner ? Lui ? Elle ? Et que va-t-il arriver aux petits, qui les réunissent et les divisent ?
L’hostilité croissante entre un homme et une femme, la violence quotidienne entre un père et une mère, les manipulations et déchirements qu’éveillent les enfants : la narratrice restitue ces scènes, tantôt de manière tendre, tantôt implacable. L’écriture s’impose ici avec une émotion contenue et une clairvoyance coupante.
Dans un roman réaliste, quasi naturaliste, Christine Angot met en scène le côté sombre de la puissance féminine, elle en fait une donnée essentielle autour de laquelle tous les autres personnages auront à se définir.
Un entretien autour des Petits entre l’auteure et Jean-Michel Devésa (librairie Mollat, Bordeaux), est écoutable et podcastable à cette adresse ; l’on peut l’assortir des quelques notes d’un auditeur attentif, Marc Pautrel.

[8Il est une force du féminin, que certains hommes, hommes certains tels que Frédéric Regard, savent à la suite d’Hélène Cixous voir et appeler Amour Autre.
Non seulement ce nigra sum sed formosa de monteverdienne mémoire resplendit en nigra sum et formosa, mais encore le latin de la vulgate s’avère proprement bénédiction, puisque la beauté c’est la forme, et la forme (de vie) réside dans l’emploi de la conjonction : je lus à propos d’Emmanuel Hocquard : « Je pourrais dire : c’est dans l’examen critique de la grammaire de mon langage ordinaire - dans la grammaire à venir de mon langage public et privé - que se constituent mes formes de vie. »

[9Le Matricule des anges, a donné très tôt (N° 21, nov-déc. 1997), un dossier très clair, adossé à un entretien qui dit la couleur.
Extrait (p. 20) :

Christine Angot, votre premier roman, Vu du ciel donne la parole à l’ange gardien du personnage Christine Angot. Par ce procédé, cherchiez-vous à échapper au je de l’autobiographie ?
Tous les écrivains ne font que ça, que « Madame Bovary, c’est moi ». Même ceux qui prétendent avoir tout inventé, tout imaginé. C’est vrai que dans Vu du ciel*** et dans Not to be, je n’avais pas encore pris la liberté ou plutôt je ne savais pas que je pouvais, tout en restant de l’autre côté du mur, du côté fictionnel, que je pouvais dire « je ».
Je ne savais d’ailleurs pas que je voulais faire ça. Je tiens à dire que je suis "de l’autre côté du mur". Plutôt que de l’autre côté du miroir. Un miroir ça se casse et ce qui y apparaît, c’est un reflet. Alors qu’un mur peut être infranchissable et tu ne te reflètes pas dedans. Tout ce que tu peux faire, c’est être adossé et le personnage qui te représente peut aussi être adossé. Le mur, c’est l’écriture. C’est le seul point d’attache réel entre moi et ma narratrice. Ce mur permet de conserver la loi, empêcher la transgression. Il faut que la littérature soit différenciée de la réalité. Il faut qu’il y ait un mur, et solide.
Ce mur, entre réalité et fiction, il semble qu’il soit de plus en plus mince au fur et à mesure de l’évolution de votre œuvre ....
Le mur devient de plus en plus fin, alors il faut qu’il soit de plus en plus solide, et qu’il aille de plus en plus haut. Les lecteurs doivent le voir de mieux en mieux.

*** Sans outre-mesure, espérons-le, forcer le trait, se rend lisible une sorte de catabase, dans laquelle l’auteur naguère masqué en narrateur omniscient (le sacre de l’écrivain), se fait « je » in-carné, l’un de nous (l’un de ces petits), ex-posé, mais aussi offert à la transsubstantiation par les mots.

[10Regere fines, regere sacra dit l’adage. Conventions sociales, et conventions de langage, conventions juridiques mettent en jeu la loyauté à l’égard de soi-même, des autres, en faisant travailler la langue, déplaçant ainsi les lignes de front, afin de faire face, vis-à-vis (égalité conquise et (re)donnée), visage plutôt que bonne figure, l’écriture est une aide assortie. On pourrait en un sens reprendre ici les mots mêmes d’un ouvrage de Blanchot : Idylle, Après-coup, et aussi ressassement éternel, puisqu’il faudra à chaque fois re-passer les mots au crible.

[11Contexte : à la question, « Évoquant Mallarmé et Baudelaire dans Mallarmé au tombeau, vous soulignez le caractère politique de certains de leurs poèmes. Comment en êtes-vous venu à cette conclusion ? » Jean-Claude Milner répond :
« J’ai repris la lecture, à mes yeux plausible, du poème de Baudelaire «  Le Cygne  » comme un inspiré par l’échec de la révolution de 1848. Comme Mallarmé reprend le thème du cygne, dans son sonnet « Le vierge, le vivace et le bel aujourd’hui », j’ai jugé hautement probable qu’il reprenait aussi l’arrière-plan. Toutefois, la révolution vaincue n’est plus la même : pour Mallarmé, c’est la Commune. Mais Baudelaire prend souvent des positions politiques, c’est particulièrement visible dans deux des Petits Poèmes en prose : l’un évoque la lutte des classes, l’autre s’adresse à un garçon qui siffle et dont la tête est destinée à tomber sur l’échafaud. Il s’est penché sur la politique au sens large, notamment sous la forme de l’inégalité, qui le révoltait, et il a réfléchi sur la question de l’argent. Et Mallarmé, dans un texte sur Rimbaud, évoque la question des droits d’auteurs, en comparant la langue et le numéraire : pour lui, la question politique était extrêmement sérieuse. En effet, le livre n’a de sens que s’il est un moyen de modifier le monde. S’il n’y arrive pas, ce n’est pas la peine : on peut supprimer le livre, et le dernier mot appartient au hasard. »
Revue Transfuge, n° 28, mars 2009, Jean-Claude Milner : Parcours littéraire d’un intellectuel, entretien avec Donatien Grau.

[12Aux éditions Verdier :

— Jean-Claude Milner, La politique des choses, court traité politique 1, 2011.

— Jean-Claude Milner, Pour une politique des êtres parlants, court traité politique 2, 2011. La page du site des éditions Verdier comporte entretiens, avec Josyane Savigneau, Alexandre Lacroix et recension, de Jean Birnbaum.

[13Par homme, on entendra celui de la déclaration des droits, puisqu’aussi bien la femme ne l’est pas moins, sur le chapitre de la puissance. Cette phrase, dans le troisième fragment des Institutions républicaines, in Œuvres complètes, édition Folio, 2004, p. 1090.

[14Voyez ce qui suit : « Les serviteurs de la justesse et de la clarté supposent cette existence donnée. Ils ont raison. Ils supposent aussi que la meilleure méthode est pour eux d’éclairer Lacan par Lacan ; ils ont, encore une fois, raison. Quelles que soient les œuvres, les élucidations les plus irréprochables obéissent à ce principe. Mais quand l’existence n’est pas supposée donnée, il faut procéder autrement.
Le seul support qui fasse foi quant à l’existence d’une pensée, ce sont des propositions. Dire qu’il y a de la pensée chez Lacan, c’est donc dire qu’y existent des propositions. Mais rien n’existe, s’il n’a des propriétés. Et rien n’a de propriétés, si celles-ci ne sont pas, au moins partiellement, indépendantes du milieu. Il faut donc établir qu’existent chez Lacan des propositions suffisamment robustes pour être extraites de leur champ propre, pour supporter des changements de position et des modifications de l’espace discursif. Mais aussi, il n’est pas nécessaire d’être exhaustif ; il suffit que quelques propriétés de ce type soient reconnues pour quelques propositions. Ainsi caractérisé, le programme se définit en extériorité et en incomplétude. »
Jean-Claude Milner, L’Œuvre claire, Lacan, la science, la philosophie, éditions du Seuil, 1995.

[15Occasion de signaler Manifeste pour la psychanalyse, Sophie Aouillé, Pierre Bruno, Franck Chaumon, Guy Lérès, Michel Plon et Erik Porge La Fabrique, dont Patrick Faugeras a donné un compte-rendu dans la Quinzaine (n°1031, du 1er au 15 février 2011, p. 22) : « La psychanalyse, ça ne sert à rien ! », à rien bien sûr, si l’on excepte ce qui est dit au détour d’un paragraphe du Manifeste, à « être vivant ».

[16Je ne saurais trop recommander au lecteur d’écouter la conférence de Jean-Claude Milner "Propos sur l’être plusieurs
de l’être parlant"
au Banquet du livre de Lagrasse, été 2010 [Chaque Un : contre la gestion politique du Tous, le souci de chaque-un], puisque celle-ci est téléchargeable.

[17La Quinzaine n°1031, du 1er au 15 février 2011

[18Première édition au Seuil, collection « La Vigne du Carmel », (et non Les Vignes comme mentionné p. 6, qui ne sont qu’au Seigneur et à Fernandel réunis) 1951.

[19Max Milner, Poésie et vie mystique chez saint Jean de la Croix, collection félin-poche, 2010.

[20Et après un long temps il est monté /tout en haut d’un arbre. Là il ouvrit ses beaux bras, /et mort il est demeuré, suspendu par eux, /le coeur par l’amour tout navré.

[21Ainsi
« Aunque soy morenica y prieta
¿ a mi qué se me da ?
que amor tengo que me servirá. »
Traduit par : « Bien qu’étant toute brunette /je ne m’en soucie pas /car j’ai l’amour, qui me servira. » n’est pas sans rappeler le « nigra sum sed formosa » du Cantique.

[22Elle ne fera pas nombre avec les traductions et commentaires qui ont suivi au registre de la poésie : Jacques Ancet (Poésie/Gallimard) — avec aussi les Commentaires de Juan Gelman, Bernard Sesé aux éditions Corti, José Ángel Valente chez le même éditeur, cf. Le chant de l’impossible chant.

[23Cf. cette note : Les deux auteurs font souvent allusion à des situations et à des emblèmes qui leur sont proches : c’est le cas d’lndia Song de Marguerite Duras (Paris, Gallimard, 1973), cité par M. Milner dans La Fantasmagorie : essai sur l’optique fantastique, Paris, PUF, 1982, p. 239, note 50, et par M. de Certeau dans La Fable mystique, Paris, Gallimard, 1982, p. 25 et p. 48.

[24V. : « et sous un ventre uni, doux comme du velours /Bistré comme la peau d’un bonze, /Une riche toison qui, vraiment, est la sœur /De cette énorme chevelure /Souple et frisée, et qui t’égale en épaisseur /Nuit sans étoiles, nuit obscure ! ». (Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal, Les Promesses d’un visage)

[25Dont il rappelait dans l’une des ultimes conférences : « Pourtant, je n’ai jamais réfléchi sans un certain serrement de coeur que l’état normal du ciel, c’est la nuit. Ce que nous appelons le jour n’existe pour nous que parce que nous sommes près d’une étoile. »

[26Référence au titre de l’ouvrage paru au Seuil en 2005.

[27Maria Zambrano, in Sentiers, aux éditions des femmes, 1992, traduction Nelly Lhermillier, Saint Jean de la Croix (De « La Nuit obscure » à la plus claire mystique), p. 233, texte paru dans la revue Sur, à Buenos Aires, en 1939.
Dans la belle comparaison qu’elle effectue entre Spinoza et Jean de la Croix, Maria Zambrano déploie avec ampleur ce qu’elle entend par la razón poética. V. aussi « La palabra liberada del lenguaje ».

[28C’est le détachement de l’attache. Homère, montrant Ulysse sidéré par la voix des femmes de l’île, ligoté au mât d’emplanture, appela ce mouvement analysis. Déficelage. Il laisse le chant merveilleux des oiseaux. Il s’écarte de l’île étroite du plaisir. Plus une création passionnée se sépare de la société, plus elle se dégage d’un lieu, plus elle abjure une ancienne coutume, plus elle tranche les liens familiaux, plus elle se dénoue de la sujétion économique, plus une vie humaine s’isole. Elle s’esseule : elle ne se singularise pas pour autant. Elle se singularise d’autant moins qu’elle se démunit davantage. Et c’est là peut-être sa cachette et son audace ».
Pascal Quignard, « Qu’est-ce qu’un littéraire ? », in Critique, 721-722, juin-juillet 2007, pp. 420-431, sous forme de 50 propositions...
Numéro de la revue associé naguère à la recenison de Clinique de la servitude de Jacques Félician, dans cette lettre.

[29Fondé en 1979, le magazine culturel québécois Spirale porte quatre fois l’an un regard critique sur les récentes productions culturelles (arts plastiques, cinéma, histoire, littérature, philosophie, psychanalyse, théâtre, etc.), présente dans chaque numéro un dossier thématique et propose régulièrement des débats sur des questions d’actualité.

[30Le numéro 234, à l’automne 2010, voir le sommaire du dossier.

[31Le 235, hiver 2011, au sommaire lui aussi éloquent.

[32Sur ce même livre, quelques notes.

[33Cf. cette approche, ou encore l’article d’Omar Merzoug dans La Quinzaine qui taille allègrement dans la chasuble et les surplis, "La sainte selon Kristeva", n°969 parue le 16-05-2008.

[34Pierre Ouellet, Puissance du pluriel. Démocratie et laïcité.
In extenso, le paragraphe, dont s’extrait la citation :

« La cassure, la brisure, la déchirure sont inhérentes à tout symbole - sans quoi le préfixe sym n’aurait pas de sens : on ne met ensemble que ce qui est séparé -, mais elles sont aussi la condition de l’ « ouverture » et de la « pluralité » de notre espace démotique bien plus que démocratique (puisqu’il s’agit là d’une force, d’une puissance, d’une énergie, non pas d’un pouvoir au sens propre), qui ne peut se recomposer en permanence que s’il compose non seulement avec tous les morceaux qu’on lui jette à la figure mais aussi avec les fissures et les scissures, les failles et les lézardes toujours présentes dans le tissu symbolique reconstitué qui, comme dans toute métaphore, n’est jamais aussi fort que lorsqu’il met ensemble les éléments les plus éloignés, comme Juliette [de Sade] et Leila [de la tradition soufie] côte à côte au seuil d’une même bastide ou d’une même mosquée, comme cette femme en tchador et cette autre en short qui franchissent d’un même pas le Square Saint-Louis ou la Place Victoria ou bien encore, avec plus d’évidence toujours, comme la Thora, la Bible et le Coran se côtoient dans ma bibliothèque, tout près du Bardo thödol, du Tao-tö king et des Upanishad, mais aussi des Cent vingt journées de Sodome, de L’expérience intérieure et des Cahiers de Rodez ... l’agora et la bibliothèkè, double invention grecque contemporaine de la dèmokratia, étant la métaphore l’une de l’autre, la bibliothèque de voix et de regards qu’incarne l’une renvoyant à la place publique des livres et des manuscrits que l’autre représente, toutes deux garantes d’une intime cohabitation du semblable et de l’opposé, de l’avers et du revers, du divers recomposé.

Le conflit des images et des symboles n’est pas prêt de s’arrêter, qui n’a rien à voir avec une guerre des civilisations mais avec la nature même de l’animal symbolique que nous sommes, qui ne fait pas qu’afficher ses besoins, sa soif et sa faim, en tirant la langue ou en montrant les dents, mais manifeste ses désirs et ses croyances les plus enfouis, sous forme d’icônes ou d’idoles de toutes sortes, de signes ostentatoires qu’il fabrique à la force de ses mains, de son imagination, de sa mémoire, de ses fantasmes, et rien ne l’empêchera de les exhiber, de les exposer aux autres, comme un prolongement non tant de son identité individuelle ou communautaire, mais de l’Énigme de son existence ou de sa finitude, à laquelle les symboles, religieux ou non, apportent des réponses ou des échos multiples, toujours partiels et partiaux, dont la somme constitue notre seul espace public, celui des mots et des images, des voix et des visions les plus diverses qui s’entrecroisent librement, y compris dans leurs tensions les plus vives, seuls signes qu’une authentique « démocratie » ou une véritable « puissance du pluriel » traverse notre Cité. »

[35C’est aussi le titre du paragraphe de conclusion à laquelle veut nous amener l’auteur, et c’est une belle invitation à lire les livres de José Saramago cités ici pour leur valeur paradigmatique.

[36A l’intérieur des crochets :
« La pacification dans les limbes de l’indépendance radicale est un mystère, j’en conviens, un mystère qui se rapproche actuellement de la fable altermondialiste (anti-policière et anti-gouvernement) de l’ordre spontané de la multitude. Ce mystère a aussi ses maîtres. C’est connu. »