TURLURE par CLAUDEL

 


"Le Pain dur"

Paul Claudel , catholique romain, grand écrivain et auteur dramatique français qui a subi à 18 ans deux épreuves décisives : la lecture de Rimbaud et , le jour de Noël , une sorte d'illumination à Notre-Dame. Pendant les quatre années qui ont suivi, Claudel a vécu douloureusement , à la fois à sa conversion et à sa vocation de dramaturge.

...Ce que notre jeunesse a rêvé, ce que n'ont pu faire nos armes et le génie d'un grand homme, la science le réalise ! Cette terre, cette maison, ce bien héréditaire de notre antique famille, je veux les consacrer au développement de nos forces économiques… (
Toussaint Turelure, Pair de France, Maréchal Comte de Coûfontaine, Président du Conseil des Ministres, comme il aime se définir lui-même ) 

L'action se situe en 1830, alors que s'instaure en
France la monarchie constitutionnelle , que débute la colonisation de l'Algérie , que la Pologne est partagée entre les trois empires de Russie, d'Autriche et de Prusse, et que s'amorce l'essor industriel et technologique qui va mettre définitivement la bourgeoisie aux commandes de la société. C'est le portrait d'un monde en décomposition où les idéaux collectifs et révolutionnaires qui avaient secoué le 18 ème siècle, cèdent le pas à la seule défense des intérêts particuliers et au pragmatisme économique. 

Sichel ( femme juive s'adressant à Lumir, polonaise) : Vous avez encore une patrie sur terre. Vous avez une place qui de droit est à vous, pas à d'autres. On ne vous a pas extirpés. Mais nous, Juifs, il n'y a pas un petit bout de terre aussi large qu'une pièce d'or, sur laquelle nous puissions mettre le pied et dire : c'est à nous, c'est nous, c'est chez nous, cela a été fait pour nous. Dieu seul est à nous. Quelle singulière histoire ! La prise de Jérusalem (bon Dieu ! qui est-ce qui s'occupe de Jérusalem ! )

Un drame en trois actes de Paul Claudel écrit en 1913, publié en 1918 et créé au Théâtre de l'Atelier à
Paris le samedi 12 mars 1949 dans une mise en scène du célèbre André Barsacq, avec des comédiens de tout premier plan , disparus aujourd'hui : Pierre Renoir , Germaine Montero, Jany Holt, Jean Servais, P-J. Moncorbier. 

Frédéric Dussenne ( metteur en scène) : Cette pièce constitue le centre de la trilogie des Coufontaines, qui débute avec
L'Otage et se termine avec Le Père Humilié. Claudel entendait faire une sorte de revue du 19ème siècle. Il y est question de l'Histoire, mais pas au sens scientifique. La pièce se situe donc dans le temps - 1830 - mais un jeu subtil d'anachronismes, d'analogies et de troublantes prémonitions la rattache où elle est écrite mais aussi à l'époque de sa création . J'y vois pour ma part une analogie avec notre fin de siècle. 

Paul Claudel a abordé ici le problème de la rupture des frontières et du mélange des races au 19 ème siècle. La question essentielle que pose Claudel dans
Le Pain dur, c'est la survie spirituelle dans la société Tous les personnages du Pain dur , à l'exception de Lumir, sont des êtres qui refusent leur vocation divine. Une fable aux allures de polar sarcastique qui résonne comme un signal d'alarme. 

Sichel : Je ne suis pas Sichel ! C'est le vieux qui m'appelle ainsi. Il ne se souvient d'aucun nom, moitié insolence, moitié imbécillité , et nous rebaptise tous si je peux dire. 

Résumé de la pièce :

Toussaint Turelure , l'ancien révolutionnaire , est devenu conservateur et chante à qui veut l'entendre la Propriété, la Légalité et l'Industrie. Dans la bibliothèque conventuelle de Coufontaine, le portrait du roi bourgeois, S.M. Louis-Philippe Ier, a remplacé le vieux Christ de bronze massif. Le chemin de fer vient d'atteindre Coufontaine. Demain, il touchera le Rhin , après-demain il joindra l'Orient . Turelure , sacrifiant aux grandes nécessités économiques, transforme la vieille maison en papeterie et liquide ses terres entre les mains d'un usurier juif allemand , Ali. Le vieux soldat de Turelure est devenu peureux et avare, et la proie de Sigel , sa maîtresse et fille d'Ali. Son fils , Louis , est parti en Algérie où il poursuit , sans aucun succès, le rêve de conquérir et d'humaniser la terre ; Louis a dû s'endetter , signant pour dix :mille francs des traites qu'il ne peut acquitter, acceptant le prêt d'une somme égale qui lui a été offerte par son amie, Lumir, une patriote polonaise. Mais cette somme n'appartenait pas à Lumir , elle n'était qu'un dépôt fait à son père par le mouvement national polonais. Ainsi ,pour sauver Louis, a-t-elle compromis les chances de résurrection de sa patrie... 

Une partie de cartes avec cinq joueurs patibulaires, emblématiques de leur époque comme les figures d'un jeu de Tarot : capitalisme industriel(
Turelure), colonialisme(Louis), nationalisme (Lumir), arrivisme (Sichel), matérialisme économique (Ali). 

La pièce commence au moment où
Lumir veut obtenir à tout prix les vingt mille francs qui sauveraient Louis et lui permettraient de rendre à ses compagnons polonais l' argent qu'elle a elle-même prêté. Le vieil avare qu'est Turelure ne veut rien entendre à moins que la jeune Lumir ne consente à l'épouser. Mais on annonce le retour de Louis... 

Turelure : Qui a dit à Louis de venir ? 
Sichel : Mais je ne sais pas s'il vient. 
Turelure : J'espère que non. J'ai horreur des scènes et des violences. Il n'y a rien de si dangereux pour moi. 
Sichel : Avez-vous peur de lui ? 
Turelure : Je suis vieux et je n'aime pas les violences . Quand il me tuerait , il n'aura pas un sou de moi ! 
Sichel : Il ne songe pas à tuer son père. 
Turelure : Nous verrons bien qui crèvera le premier. 
Sichel : Tout de même , vous êtes le plus vieux. 
Turelure : Pas si vieux qu'il croit ! 
Sichel : Qui l'a prévenu, je me le demande ? 
Turelure : Toi, poison !

Une pièce difficile d'approche mais d'une magnifique écriture qui peut dépasser parfois notre entendement en cette fin de vingtième siècle. De longues scènes. vibrantes, cruelles, violentes, denses. Du vrai théâtre à texte. 

Lumir : Louis ! Ecoute-moi, soldat de la Légion Etrangère ! Tous les deux , nous avons servi sur la terre d'Afrique , sous un drapeau qui n'est pas le nôtre, pour une cause qui ne nous intéresse pas. Sans amis, sans argent, sans famille, sans maître, sans Dieu, estimant que ce n'est pas trop de l'esclavage pour payer cette demi-liberté ! Il reste l'Honneur ! Si Dieu existait, oui, si Dieu existait ! 

En Novembre 2000, la mise en scène de Frédéric Dussenne à
Bruxelles est d'une grande sobriété, laissant au texte et aux personnages tout leurs impacts et valeurs. Bonne idée que celle de figer les personnages en fond de décor ( les comédiens ne quittent jamais le plateau) lorsque ceux-ci ne font pas partie d'une scène. La pièce se termine avec un extrait du discours du Général De Gaulle à Alger le 4 juin 1958 " Je vous ai compris " .

Le théâtre de Claudel est incongru par rapport aux traditions occidentales , par le
dépouillement de l'espace , la discontinuité des séquences , le jeu délibéré avec l'impossible et la dérision, la multiplicité des personnages, le recours au sublime à la fois passionnel et religieux, la force du lyrisme et la présence caractéristique dans sa dramaturgie d'images scéniques choc. Claudel possédait un sens unique de la scène à faire, de la grande confrontation, de la contradiction entre l'agrandissement épique de la fable et la solitude du héros. C'est une des grandes oeuvres théâtrales de l'humanité par la puissance des conflits et la force poétique de l'écriture. 

Turelure : Je suis perdu , je ne suis entouré que de figures impitoyables. Voici mon fils, et je me tiens au milieu de ces deux femmes qui me conduisent à la mort avec un sourire funèbre. 
Louis : Est-ce que vous y croyez ? 
Turelure : J'y crois ! je suis le seul croyant et votre bestialité me fait horreur ! 
J'y crois de tout mon coeur ! Je suis un bon catholique à la manière de Voltaire !

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