Quelques sonnets
Ma passion pour les flûtes en bois m'a fait reprendre précédemment deux textes qui m'ont particulièrement touché : la prière de l'artisan d'un anonyme du Moyen Age et la prière du tourneur de flûtes par Glenn Schultz. Dans une approche que je souhaite plus laïque, mais où il me faut quand même faire passer des choses qui ne peuvent s'exprimer par la simple prose (un soupçon de mysticisme, un brin de folie, une part d'ineffable...) je me décide à écrire quelques sonnets - l'outil de la poèsie qui me voit le plus à l'aise - comme dédicaces à mes instruments, illustrations de mon travail de facteur de flûtes.
Le tour
La tête
Hommage à Rimbaud
Baton de vie
O mon souffle, mon âme, mon coeur, mon émoi !
Vives et légères, comme d'une sarbacane,
Les notes irlandaises fusent devant moi.
Notes fortes qui claquent, les faibles qui fanent.
Est-ce le musicien ou est-ce l'instrument
Le tout premier au nombre des responsables ?
Et si c'est la flûte de bois, assurément,
Ne peut-on dire son créateur coupable ?
Goût de sureau, de sève, de sel et de souche,
Non tu n'es pas comme un simple baton de bois,
Caressé sans repos par l'envol de mes doigts,
Réchauffé aux ardeurs du souffle de ma bouche,
Sans défaillance, fidèle comme un ami,
Tu es un baton de rêve un baton de vie.
La perfection
O quête incessante, tendre obnubilation,
Et combien de jours à passer avec toi seule,
Unique pensée pesante comme une meule,
Jusqu'à la délivrance un jour ? Jubilation !
Quelle idée ! Te faire chaque jour un peu plus ?
Plus belle que tes soeurs et plus équilibrée,
Plus juste, plus puissante, mieux timbrée,
Plus sonore et douce et facile, toujours plus...
Un espoir à recommencer car toujours vain
Malgré mon expérience, mon hardeur, mes soins,
Me voici confronté au plus grand des mystères
Correction ici, devient erreur là, anomalie,
- Et un nouveau cycle de rêves pour mes nuits ! -
Vraiment quelles filles ingrates pour votre père.
Comme un être de chair sous l'emprise du temps.
Le temps de te penser et le temps de te faire,
Milles étapes, cascades d'actions éphémères,
Et pour t'éveiller mon souffle comme le vent.
Ton bois est débité, c'est le temps du sèchage,
Le temps du bain d'huile, ton cylindre tourné,
Le temps des copeaux comme de la peau ôtée
Et enfin percée, poncée, le temps du huilage.
Un bouchon en bois qu'on t'enfonce tel un coin,
Mille attentions de ma main pour ne pas te fendre,
A toi mes gestes précis, techniques, si fins.
Le temps pour t'accorder, t'épanouir et muer,
Ce temps si précieux où ta voix se fait entendre
Et le temps de demain pour vivre et me quitter.
(Tableau de Cerrini à gauche et de Brouwer à droite)
Entre le ciel et les démons, entre ces doigts,
Qui t‘agrippent, poignes pour dévorer ton bois,
Ou se reposent comme de fines baguettes
Jouet d’un ogre, ami de la femmelette.
Qu’éprouves-tu ma flûte, ô toi que j’ai créée,
Qui reçu le meilleur de mon activité
Avec ferveur, fièvre et parfois avec angoisse,
Quand sur toi se posent ces lèvres qui te poissent,
Ces lèvres qui t’embrassent, toutes différentes ?
Et aussi, parfois voraces, parfois aimantes,
Maladroites ou bien expertes, toutes ces mains ?....
Tous ces musiciens puissent-ils à leur manière,
Te jouer jour après jour et se satisfaire
Pour ne jamais t’abandonner dans un recoin.
Ode au buis
Pourquoi donc te choisir bois si capricieux
Mille labeurs, mille gestes à te mettre en forme
De ton âme creusée avec l'alèsoir creux
Jusqu'à ton corps d'une déesse filiforme ?
Après tant d'espérance, d'humeurs et d'efforts,
Enfin tu reposes. Instrument de musique.
Ta douce carnation brille comme de l'or
Devant moi ma créature tu es unique.
Puis, plus tard, te reprenant... Quel pied de nez !
Tu ricanes. Affirmant ton indépendance,
Me dévoilant ton corps tel un arc recourbé.
Je me demande s'il me faut blâmer le buis
Et critiquer de surcroit mon incompétence
Ou m'émerveiller devant ce signe de vie.