filou :
Bon, on oublie la
taule. On parlait de la Famille.
Marouane : -
Non, de Ma
famille. La famille en général, on en parlera plus
tard, si tu veux. Donc, dans ma famille, je me sens protégé
mais de quoi ? j'en sais rien... Surement des incompréhensions
de l'extérieur, de la vie.
Mon père, ma mère, je les connais par coeur, mes deux
petits frères aussi. Mourad,
le frère qui est juste au-dessus de moi me comprend
parfaitement, il a toujours été près de moi depuis que
je suis né. On est bien tous les deux, on se parle rien
qu'avec les yeux, surtout quand mes deux autres frères
ainés se la jouent et font leur crise d'autorité. La
famille traditionnelle, en fait c'est ça, on doit
respect et obéissance sans conditions à celui qui est né
avant sauf pour la fille qui doit obéir aux hommes de la
famille. Chez moi, c'est différent, mon père et ma mère
veillent à ce que chacun ne soit pas sous l'autorité de
l'autre.
Tu sais, j'ai compris un truc
quand j'étais en vacances, au bled dans la famille du côté
de mon père où là, c'est sûr, toute la tradition est
respecté, on mange entre hommes, et c'est un de mes
cousins qui va chercher les plats là-haut à la cuisine
pour ne pas que les femmes qui mangent entre-elles, ne
viennent même l'espace d'un moment, dans la pièce où
on mange. En fait, des fois je trouvais que ça faisait
discriminatoire ou esclavagiste, mais en fait, ce n'est
pas un rejet, c'est une simple séparation d'un groupe
d'hommes et d'un groupe de femmes au moment d'un partage
particulièrment intime dans un cercle étroit, celui de
la table. Après le délice de la chair du poulet, ça évite
de succomber à la tentation de la chair des cousines. Au
fait, puisqu'on parle de la famille au bled...
Tu sais pourquoi dans la rue ou dans les souks, les
jeunes marocains sont toujours fatigués et ils ont
toujours envie de se reposer, de s'asseoir ici ou là et
ils ont toujours l'air de rêver?
filou :
Non je sais pas...
le soleil et la chaleur les fatiguent ?
Marouane :
Non, non... en fait, on dort mal car on dort tous
ensemble, à plusieurs dans la même pièce. Les uns le
long des autres sur les canapés (précisions de Marouane :
matelas dur avec housse sur un socle en bois appelé
seddari avec pleins de petis coussins)
tout le long des murs et sur les matelas au centre de la
pièce. Y'en a qui ronflent, d'autres qui bougent,
d'autres qui parlent en dormant... ça craint un max.
filou :
Et chez toi,
comment tu dors ?
Marouane :
Moi, je dors avec mon frère Mourad
dans un lit à deux places et avec mes deux petits frères
qui ont chacun un lit superposé. Mes deux grands frères
ont leur chambre, mes deux soeurs aussi, et mes parents
aussi. On s'arrange autrement quand il y a de la famille
qui vient passer quelques jours, on a les canapés dans
la salle à manger. Alors, je disais, au Maroc, chaque
fois que j'arrivais pour passer les vacances, les
premiers jours, j'étais étonné de les voir assis,
toujours nonchalant, comme s'ils étaient fatigués de
naissance, même au travail et puis après, je faisais
comme eux : la journée, j'étais toujours fatigué et c'était
à cause des mauvaises nuits passés et je me disais que
pour eux ça devait être pareil.
filou :
C'est vrai qu'il y a des gens qui ont l'air de se reposer
en permanence, mais j'ai vu aussi beaucoup de marocains
qui travaillent durs avec volonté, et qui font des
boulots que tu refuserais de faire...
Marouane :
Ouai c'est vrai, tu as raison mais tu as compris ce que
je voulais dire, des fois quand tu parles, on dirait mon
père (rires)... A propos des lits à deux places, j'ai
un oncle du bled qui dit que c'est du luxe superflu et
que ça mange l'espace d'une pièce, et que de notre
appartement HLM, il en ferait un petit palais si mon père
le laissait faire... Heureusement que mon père le laisse
pas faire. Le lit, je peux plus m'en passer. Tu vois la
double culture commence au lit... et se termine au lit
aussi.
filou :
Tu veux dire quoi
?
Marouane :
Rien, rien (coup d'oeil entendu)...
filou :
Fais gaffe, t'es en train d'amener la conversation sur un
terrain glissant...
Marouane
: Ouai, glissant et plein de
trous ! (clin d'oeil et rires).
filou :
T'es vraiment un coquin !
Marouane
: et toi alors, tu m'as bien dit
qu'au Maroc, tes amis t'appelle filou le shetan, il doit bien
y avoir une raison ...
filou (offusqué et confus) :
ça n'a absolulment rien à voir avec ce que tu crois !
Marouane :
Et tu penses que je crois quoi ?
filou :
Bon allez, on arrête de tourner autour du pot, on parle
de cul... je voulais dire "de sexe".
Marouane :
On peut parler des deux ensemble (rire). Silence.
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