MAGRITTE, Les promenades d'Euclide, 1955,
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PLANSITE-------SITEMAP---

 

MAGRITTE ET L’ALIGNEMENT ÉQUIVOQUE D’ORIENTATIONS.

Un détail des Promenades d’Euclide de Magritte fournit un bon exemple d’alignement équivoque d’orientations. L’ambiguïté de la toile peinte posée sur le chevalet repose sur le fait que la toiture conique de la tour prend la même apparence que l’avenue plane et fuyante. Ainsi, deux éléments, qui, dans le réel, ne présentent pas le moindre point commun de taille, de forme, de matière ou encore de fonction, occupent une surface identique à l’intérieur de cette image. Cette égalité des représentations pour deux formes différentes est inhabituelle. Le principe de l'étagement des formes dans la hauteur de l'image pourrait bien expliquer cette étrange situation. Toute représentation sur une surface à deux dimensions présente une ambiguïté structurelle : la hauteur dans l’image peut tout aussi bien marquer l’élévation d'un élément au dessus du sol que son éloignement dans la profondeur du réel. Cette faille permet ainsi à l’extrémité de l’avenue, s’éloignant à la surface de la terre, de se retrouver au niveau de la pointe de la toiture qui se dresse vers le ciel. Cette équivoque de l’étagement nous conduit ainsi à confondre la diminution réelle de taille d'un objet avec sa diminution apparente due à l’éloignement. En cela, la diminution réelle de largeur de la toiture conique peut alors contrefaire la diminution illusoire de la surface de l'avenue qui fuit.
 

Croquis à partir des "Promenades d'Euclide" de Magritte.
 

Mais, pour atteindre cette confusion des diminutions, les éléments doivent être comparables. Car, à imaginer une toiture plus haute, ou une avenue plus courte, ces deux formes redeviendraient étrangères l’une à l’autre. L’alignement sur une même ligne horizontale des bases et des sommets est donc essentiel. Cet alignement équivoque présente d’ailleurs toutes les caractéristiques de sa catégorie. Nous avons là une figure multiple, dont les éléments, malgré leur distance, établissent une relation de continuité. Nous pouvons en effet tracer à même la toile les lignes qui réunissent les deux formes. À partir de ces continuités, un conflit spatial se met alors en place : tant l’alignement des bases que celui des sommets laissent croire que les deux triangles se situent à un même niveau et une même distance. L’orientation de la route devient alors incertaine, qui semble suivre une verticale impossible au lieu de poursuivre son trajet au sol. Mais, la ressemblance avec les alignements équivoques connus s’arrête là, car l’aspect figuratif de cette peinture permet de lever l’ambiguïté. Notre connaissance des routes, nous conduit en effet à privilégier l’orientation possible. Ainsi, après la Montagne Sainte-Victoire au grand pin de Cézanne et La Condition humaine II, nous retrouvons une nouvelle peinture impossible-possible. Cette prédominance de l’impossible-possible provient de la capacité, déjà notée, de la figuration à limiter les effets de l’ambiguïté par une pléthore d’informations, qui la conduisent à révéler l’impossibilité d’une des interprétations concurrentes.

Nous restons pourtant proches de certaines figures ambiguës géométriques. Car la toile de Magritte n’est pas sans rappeler un certain Trapèze (fig. B1, tableau 35) dont voici le croquis et pour lequel vous pouvez aller "admirer" le dessin.
 

Figure ambiguë : "Trois trapèzes".

 

De même que la toiture de la tour redresse la route à la verticale, les deux volumes verticaux latéraux relevaient le volume central du Trapèze, grâce à l’alignement de leur sommet avec la partie supérieure de son fond. Mais comment expliquer que la toiture entraîne l’avenue et non l’inverse ? Nous pouvions croire que le surnombre des volumes verticaux du Trapèze était en cause, malheureusement l’égalité des triangles de Magritte nous conduit à revenir sur cette hypothèse. Plusieurs indices plastiques semblent en fait concourir au redressement de l’avenue. En premier lieu, l’importance des fuyantes de la route est amoindrie par la vue plongeante, qui amorce un rabattement du sol à la verticale. Ensuite, la perspective aérienne atténue les couleurs de la surface de l’avenue qui s’enfonce dans les lointains, en même temps qu’elle accentue celles de la toiture située au premier plan. Enfin, alors que la toiture masque des bâtiments qui lui interdisent de s’aplatir au sol, l’avenue s’enfonce entre les immeubles qui la bordent. Malgré le déséquilibre de son équivocité, la toile de Magritte n’a pas dit son dernier mot : Les Promenades d’Euclide ajoutent en effet un conflit des échelonnements au conflit des orientations.

Malgré l’alignement apparent de leurs bases, la toiture et l’avenue ne peuvent en aucun cas se trouver à la même distance. Leur échelonnement commun est impossible, puisque la tour se dresse dans le ciel en avant des arbres, tandis que l’avenue, qui épouse le sol, débute au-delà de leurs frondaisons. En fait, cet échelonnement équivoque, qui hésite lui aussi entre l’impossible et le possible, est un des moyens requis pour la mise en place du conflit des orientations. En effet, sans la présence du feuillage et l’échelonnement commun des bases qui semble s’ensuivre, l’avenue débuterait plus bas que la toiture, et, en poursuivant son parcours s’enracinerait au sol. Mais, le feuillage poursuit encore un deuxième but : grâce à une courbure momentanée de ses frondaisons, il confère à la surface de l’avenue l’illusoire volumétrie d’un cône. Pourtant, en dépit de sa présence nécessaire, le conflit des échelonnements reste secondaire, et nous sommes bien plus fascinés par l’orientation verticale de l’avenue que par son échelonnement impossible. Cela nous conduit à constater une nouvelle fois la difficulté qu’a l’image figurative à mettre en place une ambiguïté spatiale. Pour un banal conflit d’orientations, qui consiste à confondre un triangle vertical et un rectangle fuyant, le peintre doit en passer par un échelonnement impossible des bases, une manipulation du feuillage et des ombres propres ou portées, et un alignement des sommets. Poursuivons pour comprendre l’atteinte que cette catégorie de l’ambigu porte à la représentation de l’espace.

ADDENDUM
Vous pouvez consulter un tableau recensant des croquis personnels utilisant l'alignement équivoque d'orientations, et, de là, voir les dessins ou lire les analyses qui ont été réalisés à partir de ces croquis :
Tableau n°35.

 

 

ICONOGRAPHIE
Les Promenades d’Euclide, 1955, huile sur toile, 162 x 130 cm, the W. Hood Dunwoody fund, Minnéapolis Institute of Arts, Minnéapolis.

 

 

 

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