Dalla Zuanna - Les enfants de la Jeanne
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Chapitre VI (1864 - 1986)

"Les guerres passent, la terre demeure."
Joseph Kessel

 

Antonio, Marco, Antonio

Antonio, Marco, Antonio

 

 

1866 - La Vénétie devient Italienne.

En cette année 1864, Marco et Agata vont avoir la grande joie d´assister au mariage d´Antoine (15), leur fils aîné. Il épouse une Mocellin, Maria Angela dite Broca. Il a 24 ans, elle 22. Ensemble, ils auront treize enfants dont quatre seulement atteindront l´âge adulte. Sur les quatre, une (Anna) sera religieuse sous le nom de sœur Maria Fede au Collegio Farina de Vicenza et, hasard amusant, les trois autres épouseront des Mocellin. Ils auront également deux fois de suite des jumeaux. On peut se demander, sans qu'il y ait de fondement sérieux, si la conjonction Dalla Zuanna/Mocellin ne conduit pas à des jumeaux voire des triplés comme cela s'est produit en 1815.

Les troupes sont toujours en mouvement mais on sent bien que le vent tourne. Le 21 juillet 1866, 10 000 soldats italiens arrivent à Bassano pour chasser les Autrichiens. Ce sera fait le lendemain à Primolano au pont de Cismon. Carpanè deviendra la base du Général Medici, ce sont les dernières guerres du "Risorgimento".

C'est aussi, enfin, le retour du droit à la culture du tabac et c'est d'ailleurs à Carpanè que seront installés les magasins de stockage de toute la vallée.

Le 4 octobre de cette année 1866, la Vénétie est rattachée à l'Italie sous le règne de Victor Emmanuel II, couronné 5 ans plus tôt. Cet événement majeur n'est pas sans rappeler le rattachement de la Savoie à la France, six ans auparavant. Comme en Savoie, c'est une marée de oui qui l'emporte. A Bassano, on comptera 3 508 oui, 14 nuls et 0 contre.

La population respire enfin en se disant que cette fois ça y est, les choses ont pris une forme définitive, et que la paix va durablement régner. Hélas, à peine 50 ans plus tard, les obus reviendront dans la vallée faire des carnages et creuser de sinistres sillons imbibés de sang.

Si la population respire et retrouve quelque espoir, cela paraît bien illusoire et la vie reste dure pour les "sans-grade" et les trop nombreux "laissés pour compte". Les bourgeois et la noblesse se soucient assez peu de la terre agricole qui procure surtout un statut social au possédant. Le système de gestion des terres est archaïque et sera une des clefs majeures pour expliquer le monstrueux mécanisme migratoire italien. Les classes populaires et la petite bourgeoisie n'ont pas accès à l'instruction. A Bassano en 1884, sur 184 mariés seuls 87 savent lire.

Ceci étant, la vie suit son cours et chacun doit apporter sa quote-part à la vie collective. On retrouve Marco qui, le 16 mars 1870, est élu au Conseil Municipal.

Cette même année, Maria Angela, la femme d'Antonio, va donner naissance à un petit Marco, dit Marcone, mon grand-père. C'est certainement une grande joie et tout aussi certainement une grande inquiétude car cette naissance a été précédée par six douloureux décès, dont deux dûs à la diphtérie, et par celui d'une petite Agata qui a 2 ans et va mourir 4 ans après. La diphtérie, également appelée croup, est évoquée en ces termes par Victor Hugo : "un jour, nous avons tous de ces dates funèbres, le croup monstre hideux, épervier des ténèbres".

La vie de ce petit Marco ne sera pas un long fleuve tranquille.

 

1871 - La contrebande du tabac.

"On meurt du tabac" dit la médecine mais, dans la vallée, on disait "on vit du tabac" !

Depuis 5 ans, la culture du tabac a repris mais l'état multiplie les contraintes et réduit ses prix d'acquisition. Il instaure des contrôles incroyables avec des corps spécialisés de répression en infligeant de lourdes peines aux malheureux qui sont pris "la main dans le sac".

En 1654, puis 1703, 1706, 1721, 1763 et 1769, c'est une pluie de décrets tous de plus en plus restrictifs, et la culture du tabac, de culture acquise comme un privilège, deviendra une concession révocable. On vérifiera avec toujours plus de véracité ce dicton qui dit "El contadin se fa sior sempre l'anno dopo" (le paysan deviendra riche... l'année prochaine).

Le tabac cultivé, surtout employé comme tabac à priser, est un plant assez rustique résistant bien au vent et qui semble bien adapté à une terre avare. Il est, paraît-il, très aromatique. Le problème c'est que les prix ne cessent de baisser. Dans une vallée qui lutte contre la misère, la contrebande a toujours existé et s'intensifie. Malgré la fidélité à Venise, les flux de tabac vers Trento s'accroissent. Cela devient une lutte permanente, une lutte pour la vie et tous les moyens sont bons, combines, violences, pots de vin...

La caste des contrôleurs, qui ne sont pas du pays, est honnie. On veut bien se courber sur les champs de tabac mais pas devant les contrôleurs. "El pan del poareto xe sempre duro" (le pain du pauvre est toujours dur). A aucun prix, on ne veut perdre sa dignité. En 1750, déjà, ils étaient quelquefois accueillis à coups d'arquebuse. Le pouvoir central cherche tout de même à impliquer les "indigènes" et, en 1880, Vicenzo Mocellin est élu avec trois autres collègues pour contrôler les livraisons de tabac.

 

A travers les montagnes, par les nuits sans lune.

A travers les montagnes, par les nuits sans lune.

 

La vie quotidienne est imprégnée par ce phénomène : les caches dans les champs, le langage codé "slargare i nisoi" (étendre les draps) pour faire sécher le tabac "en douce", les sentinelles aux périodes ou endroits critiques, etc... L'impérieux besoin de survivre rend intelligent, astucieux, de nombreuses anecdotes circulent sur le sujet tant il est vrai que nos villageois du val Brenta ne manquaient pas d'idées. Mais attention à ne pas se faire prendre. Un malheureux soumis à un interrogatoire "musclé" en deviendra sourd pour le reste de ses jours ; un autre devra quitter définitivement le pays. On cite le cas d'une jeune fille de 15 ans qui, pour avoir été surprise avec 31 kg de tabac, sera condamnée, le 26 novembre 1895, à une forte amende et à... quinze mois de prison ferme !

La famille ne fut pas épargnée puisqu'Angela (30 ans), le 23 novembre 1868, surprise en possession de 1,2 kg de tabac, fut condamnée, en plus de l'amende de 111 lires, à 37 jours de prison qu'elle effectuera à la prison de Bassano au printemps 1872. Effarant !

Tous connaissaient les risques encourus mais la faim faisait oublier la peur. Comme disait un dicton local : "chi non risica non rosica" que l'on pourrait traduire par "qui ne risque rien, n'a rien".

 

Extrait d'un livre sur le tabac dans la vallée
Extrait d'un livre sur le tabac dans la vallée

 

Le Saint Père Pie X eut plus tard l'occasion de dire à l'évêque Vigilio combien il appréciait le tabac de la vallée, ainsi d'ailleurs que la grappa que ce dernier lui avait apportée en toute discrétion car distillée clandestinement. On rapporte même qu'en l'apprenant il se serait exclamé : "alors vous voulez transformer même le Pape en contrebandier ?".

 

1871 -"Far fagoto" ou "faire son baluchon".

Cette expression recouvrait une bien triste réalité car elle signifiait rassembler ses quelques malheureux effets dans un linge noué aux quatre coins pour partir vers un nouvel avenir. Ils n'étaient même pas assez riches pour avoir une "valise en carton", ceux qui parmi les premiers dans le pays partirent vers d'autres lendemains.

C'est, en effet, le 31 novembre 1871 qui marque le point de départ de ces flux migratoires : avec des accélérations ou des ralentissements, ils vont mettre sur les routes du monde entier des flots ininterrompus de pauvres hères à la recherche d'un monde meilleur. Ce 31 novembre de sinistre mémoire, le cœur serré sans doute, le Conseil de San Nazario se résout à mettre en vente tous ses biens communaux. On sait que, depuis des siècles, il y a des usurpations abusives de ces terrains et la commune devant une situation incontrôlable, va prendre cette terrible et douloureuse décision. C'est le signal du départ d'une première vague d'émigration vers le Brésil et l'Argentine qui va emporter 538 personnes au cours des sept années qui suivront. Selon le mot d'un historien : "ils n'ont pas été baisés au front par la chance" et c'est bien le moins que l'on puisse dire.

La vie des familles séparées, déchirées, continue pour ceux qui restent au pays. Le 10 octobre 1874, la propriété de l'oratoire de la Nativité au Merlo passe à la famille Negrello (ma grand-mère paternelle), on voit bien que la religion n'a pas perdu sa fonction de refuge pour tous ceux qui sont en quête d'espoir.

En octobre 1878, des pluies torrentielles s'abattent sur la région et vont durer jusqu'en juin suivant. C'est une catastrophe, la production agricole fait une chute impressionnante et, avec elle, réapparaît en fin d'année, l'épouvantable pellagre. San Nazario compte 2 970 habitants, Solagna 1 788 et Valstagna 4 100.

Les inondations de 1882 déclenchent une nouvelle vague d'émigration vers la France et les marais pontins dans le sud de l'Italie. Cette destination est encouragée par le gouvernement qui "oublie" de préciser que là-bas, la pellagre est remplacée par la malaria avec d'aussi funestes conséquences. Cette émigration devient, malheureusement, un mécanisme habituel et, triste symbole, le 28 novembre 1897, la commune alloue une petite somme à un de ses habitants en partance, afin qu'il puisse acheter un billet de bateau qu'il n'arrive pas à payer après avoir vendu tous ses biens.

La période est dure : les mauvaises conditions d'hygiène facilitent la propagation de maladies mortelles comme le typhus, la diphtérie, le choléra qui accompagnent la pellagre en un sinistre cortège. On pense à la danse macabre de Saint Saëns composée précisément à cette époque (1875). Avec le chômage, les hommes tournent en rond et le seul chemin qu'ils trouvent est celui des bistrots et des tavernes qui conduit, bien évidemment, au développement de l'alcoolisme ! On se souvient des romans de Zola.

Dure vie que celle des femmes à cette époque. Elles doivent essayer de faire bouillir la marmite, avec rien, si ce n'est des trésors d'ingéniosité (ce qui ne fait pas beaucoup de calories), soigner les malades, accompagner les mourants et accueillir le soir un mari imbibé de vinasse et coléreux parce que humilié de ne pouvoir remplir dignement son rôle de chef de famille. Quelle tristesse !

Mais, la vitalité profonde de cette région est toujours présente et les choses vont évoluer, avec des soubresauts, certes, et l'économie va repartir au cours des années suivantes pour venir buter de manière catastrophique, en 1914, sur la première guerre mondiale. L'élan sera brisé par l'épouvantable boucherie.

En décembre 1884, la famille Negrello, originaire de Valstagna, rachète la roue et le moulin à grain de Carpanè, remet en fonction le canal de dérivation. La science et le progrès technique font timidement leur apparition. On ne connaît pas encore les OGM, mais les premiers hybrides de maïs arrivent dans la vallée. Les élections de 1889 à Bassano traduisent le développement économique et social de la région par une mutation politique, une évolution des mentalités.

Cette fin de siècle et le début du XX ème siècle vont être marqués par de nombreux conflits politiques et religieux se traduisant, entre autres, par l'apparition de l'anticléricalisme. La place prépondérante de Dieu dans la pensée évolue et on se dirige vers une culture humaniste laïque. Il faudra pourtant beaucoup de temps pour que les esprits se calment enfin et toutes les religions ne feront pas le même cheminement comme en témoigne encore aujourd'hui la montée d'un islamisme radical exacerbé.

Le 15 août 1889, la mansioneria Dalla Zuanna, qui avait été instituée le 4 mars 1763, pour l'autel de la "Madone de la ceinture" dans l'église paroissiale, est supprimée.

En parallèle au développement urbain et démographique, l'enseignement progresse et on voit par exemple, le 3 décembre de cette même année, Stéphano, fils d'Antonio, signer une pétition concernant l'emplacement d'une nouvelle école dans le village.

 

1902 - Marcone l'aventureux.

Marco (16), dit Marcone, qui a grandi dans cette rude période s'est endurci et a vite compris que son avenir était ailleurs. Il s'est forgé un solide caractère et préfère partir vers l'inconnu, avec tous les risques que cela suppose, plutôt que subir passivement le sort qui l'attend sur place. Le 8 janvier 1902, il épouse Angela Negrello. Il a 30 ans, elle 29.

Si la famille Dalla Zuanna jouit d'une aisance certaine à son origine cela n'est plus le cas, du moins pour cette branche de la famille : seuls reliquats de cette période, la maison familiale de Sarzè et, peut-être, quelques champs ou jardins. La famille Negrello semble en meilleure posture, "palais" Negrello, moulin, auberge, oratoire, mais il n'empêche que cela doit être tout relatif puisque le frère aîné d'Angela, Valentino, sera surnommé Merican après avoir été tenter sa chance en Amérique. La famille paraît avoir une très bonne image et on trouve trace sur sa tombe de cette estime.

Marco a-t-il besoin de démontrer sa valeur auprès de ses beaux parents ou plus simplement, ne trouve-t-il pas d'autre solution ? Il va rejoindre l'interminable cohorte des voyageurs sans bagages. Peu après son mariage, il part avec sa jeune épouse sur le chemin de l'exil.

L'Allemagne, pas trop lointaine, a besoin de bras, surtout avec le développement de la sidérurgie et de la métallurgie dans le bassin de la Ruhr en Westphalie. C'est là, qu'ils vont se fixer et qu'Angela mettra au monde, le 4 avril 1903, un petit garçon prénommé Antonio. Certes, il n'y a rien là de bien original mais cela montre bien que, même loin de ses sources, on n'en conserve pas moins le respect des traditions. La naissance est fêtée en grande liesse, malgré de maigres moyens, avec tous leurs compagnons d'exil.

La foudre va frapper cette nouvelle famille et la joie est de très courte durée. Quelques jours après la naissance, alors qu'Angela semble se remettre normalement, sans que rien ne le laisse prévoir, la mort l'emporte en deux jours et le petit Antonio sera baptisé le jour même de son décès.

Comment ce pauvre Marcone a-t-il pu vivre cet horrible drame ? Et la maman d'Angela (née Maddalena Mocellin) qui a vu partir outre-océan son fils aîné, puis sa fille qui mourra loin d'elle en terre étrangère ? La communication avec ceux restés au pays étant quasi nulle, on peut se demander comment cette pauvre femme a été informée du drame ?

Quelle angoisse aussi pour cette maman en pensant à son fils, seul avec un nourrisson, dans un pays dont il ne parlait pas la langue et où il n'avait que quelques compagnons d'infortune, elle qui avait été déjà lourdement éprouvée par les nombreux décès de ses propres enfants.

Qui a bien pu aider ce pauvre jeune veuf avec ce nourrisson ?

Le mystère reste entier... chaque fois que je me remémore cette histoire mon cœur se serre.

Trois mois après le drame, Marco rentre au pays pour confier le bébé à sa mère et c'est elle qui va l'élever. Il repart ensuite travailler en Allemagne jusqu'en 1911. Hasards de la vie, que serait-il advenu de la suite de cette histoire si Marcone, et sa famille, étaient restés en Allemagne avec les deux épouvantables guerres à venir ?

Antonio (17) grandit entouré d'affection, sa grand-mère l'adore et il le lui rend bien, ce n'est pas par hasard si on l'appelle "Tonin della Angela", un peu comme quelques siècles plus tôt, les enfants "della Giovanna". Il est choyé dans la famille Negrello où il y a beaucoup de vie et de jeunesse. Il est souvent, en 1908, avec son oncle Giacomo meunier au Merlo et qui fait de la farine de maïs pour tout le secteur. Il aide aussi son oncle Valentino pour des travaux de peinture au palazzo Negrello, toujours au Merlo. Il passe une partie de l'été à l'auberge familiale de San Giovanni des Colli Alti et avec son oncle Domenico, il participe à l'entretien de l'oratoire de la Madona dell'Onda. Sa grand-mère maternelle est très pieuse et il l'accompagne dans sa collecte d'huile nécessaire pour l'éclairage de l'église.

 

Cette photo de Marcone et d'Angelina a peut-être
été faite à San Nazario et reproduite ensuite à Oberhausen.
Cette photo de Marcone et d'Angelina a peut-être été faite à San Nazario et reproduite ensuite à Oberhausen

 

 

En 1909, il est Via Turi au Merlo, toujours dans la famille Negrello à l'auberge familiale "dalla madre" où il y a un jeu de boules pour les clients. A tout cela, il préfère tout de même être chez sa grand-mère Angela qui remplace, pour autant que cela soit possible, sa maman.

En 1909, le train et l'électricité arrivent à Carpanè. C'est aussi le "manifeste des futuristes", qui croient très fort au progrès et qui diront : "une belle voiture de course est plus belle que la Victoire de Samothrace". A vrai dire, dans la vallée, on voit plutôt arriver des bicyclettes, il y en a neuf à Valstagna, en 1905.

En 1911, Marco (Marcone) rentre d'Allemagne où il était retourné mais quelques mois plus tard, il émigre aux Etats-Unis. Il vivra 3 ans à Philadelphie et reviendra au pays suite à des problèmes de santé, aussi pauvre qu'avant. Son beau-frère, Valentino dit Merican lui aurait-il donné des idées, voire des adresses ? Autrement dit, Antonio, jusqu'à 10 ans, ne verra pas son père.

Autre hasard de la vie : et si Marcone, au lieu d'être malade avait fait venir son fils aux USA plutôt qu'en France ? Cela incite à la modestie lorsqu'on croit maîtriser son destin.

En 1912, Antonio ira rendre visite à tante Anna, sœur de son père, devenue sœur Maria Fede au collège Farina à Vicenza et il sera heureux d'assister au mariage de son cousin Marco (branche Marchel ?).

En janvier 1913, San Nazario assiste au retour triomphal des soldats partis combattre en Libye contre les Ottomans. Mais l'incertitude gagne, le travail manque et les prix montent. Avant la guerre, on compte trois cents ânes ou mulets à Solagna, l'éclairage public est installé ainsi que le télégramme et le téléphone. Le 23 mai, le grand-père d'Antonio meurt le laissant seul avec sa grand-mère et, des temps à venir redoutables.

Cette photo d'Antonio date de 1910, elle a été faite à Solagna et reproduite à Oberhausen avant le retour de Marcone. On imagine que ce sont ses propres parents qui lui ont adressé une photo de son petit garçon qui a maintenant 7 ans et qu'il n'a pas vu grandir.

Antonio, Solagna, 1910

 

1913 - Le poiato.

C'est de cette même année que date cette exceptionnelle photo du cason de la famille Mocellin, où l'on voit entre autres Giulia (la deuxième au premier rang en partant de la droite) qui fera connaissance d'Antonio quelques années plus tard à Annecy et qu'elle épousera.

 

Le cason ! Cette photo a très probablement été prise en Autriche.


Le cason ! Cette photo a très probablement été prise en Autriche.

 

Les "charbonniers" qui faisaient le charbon de bois à cette époque vivaient sur le lieu d'exploitation pendant plusieurs mois et souvent loin de chez eux, entassés dans ce fameux cason . Cette photo, mieux qu'un long discours, illustre leurs conditions de vie. Comment ne pas s'interroger lorsqu'on voit ce couple entouré de leurs quatre grandes filles, de 17 à 11 ans et de sept petits de 10 à 3 ans, devant affronter de durs travaux ! Et tout le monde doit participer, il n'y a pas d'échappatoire. On comprend qu'à l'époque, la venue de garçons était une bénédiction et combien la vie des filles devait être dure.

Au fil des années, ma mère évoquait fugitivement des souvenirs de son enfance dans les bois, qui, aujourd'hui, me reviennent en mémoire :

"Giulia trouve la nuit longue, très longue. Sa sœur jumelle, Cecilia, est venue il y a un moment l'extirper de son sommeil pour prendre le relais de son tour de garde. Le poiato installé dans la clairière à la lisière de la forêt, envoie vers le ciel une fumée qui parfume tout l'endroit où elle se trouve. Il fait froid, un vent léger venu du Nord fait bruisser la cime des arbres. Espérons qu'il ne va pas forcir, car alors, le feu qui dévore lentement la grosse meule de bois de l'intérieur pourrait s'emballer et devenir très difficile à contrôler.

Toute la famille dort dans le cason , cette modeste cabane, faite de troncs d'arbres avec un peu de paille au sol. Son père, ses frères et sœurs plus grands, travaillant dur toute la journée, ont bien besoin de toute une courte nuit pour se reposer. Depuis sa troisième année, Giulia partage cette vie avec sa famille, du printemps à l'automne. Chacun, quelque soit son âge doit se rendre utile. Sa maman, restée au village avec le petit dernier, lui manque. A quoi peut bien rêver une fillette qui vient d'avoir 10 ans ?

Dieu que la nuit est froide, la proximité de sa famille qui dort à côté ne l'empêche pas de ressentir une crainte diffuse alimentée par les bruits mystérieux qui viennent de la forêt. Ils sont seuls sur ces hauteurs, loin de toute forme de vie organisée. Elle lutte de toutes ses forces pour résister à l'engourdissement, dangereux prélude à un sommeil interdit ! Il faut tout de même bien dire que le papa ne dort que d'une oreille et, il serait bien vite alerté au moindre problème. Le ciel est pur et les étoiles semblent si proches, c'est beau ! La lune dans son dernier quartier éclaire faiblement la clairière.

Toute la journée, six jours sur sept, la famille fonctionne comme une fourmilière : abattre les petits arbres, ébrancher, couper à la mesure, empiler soigneusement en donnant forme au poiato , le couvrir de feuilles, herbe, mousse puis terre... Il va se consumer ainsi pendant plus d'une semaine, tout le secret de la qualité est dans le réglage du tirage ; s'il est réussi, il sonne clair et les acheteurs s'y connaissent. Après, il faudra le descendre à dos d'homme dans la vallée.

Un autre poiato est déjà en cours de préparation."

 

Le confort ? Ce mot ne fait pas partie de son vocabulaire.

La nourriture ? Frugale ! Très frugale ! A base de polenta. Polenta et... polenta, polenta et fromage, polenta dans du lait (les mose ), polenta oseletti . C'est un régal ; très régulièrement Adelchi, un de ses frères assez doué, piège des petits oiseaux avec des collets en fil de fer et enrichit l'ordinaire familial. Walter, un de ses neveux, se rappelle encore aujourd'hui la faim qui le réveillait la nuit faisant couler des larmes silencieuses.

Ah ! J'oubliais, l'eau fraîche d'une rivière... qui se trouve souvent à plusieurs kilomètres. S'il ne fallait pas économiser l'unique paire de chaussures, ce serait peut-être moins dur !

Certes la vie est dure, mais pas triste et quelquefois, le soir, toute la famille chante les traditionnels chants du val Brenta ou de la Valsugana.

 

quel mazzolin: Coro della S.A.T.

 

Tous essayent de faire mentir un vieux dicton qui dit que : "le métier de charbonnier, c'est le dernier métier inventé par le diable".

Saint Antoine, Saint Patron des carbonai est fêté le 13 juin et, après sa fête, on commençait à voir fumer les poiati.

1914 : la guerre éclate comme un coup de tonnerre et en août, on voit arriver à Bassano les premiers réfugiés refoulés des champs de bataille. Le 13 août, plus de 1 000 charbonniers reviennent de Styrie et de Bosnie. Les tabacs sont de plus en plus taxés et la situation économique se détériore.

 

Le poiato en cours de construction

 

Face à l'Autriche/Hongrie, se forme, avec la Serbie, la triple entente, France/Grande-Bretagne/Russie, renforcée quelques mois plus tard par l'Italie. C'est alors le retour des réfugiés dans leurs provinces et la mobilisation.

Le 23 mai 1915, les premiers coups de canon retentissent dans la vallée. Le 24, Primolano est au contact du front autrichien et tout le secteur se transforme en une vaste caserne.

Marco, veuf depuis 12 ans, va se remarier en 1915 avec Antonia Scotton (Borasca) et ils auront un fils, Angelo qui naîtra en janvier 1916 au plein milieu de la bourrasque !

Au printemps 1916, 400 000 Autrichiens revenus de Russie (réminiscences de novembre 1813 !), les meilleurs et les mieux armés, plongent sur l'Italie. C'est la panique dans la vallée, qui encore une fois, se trouve aux premières loges. Heureusement, il y a le général Cadorna avec le célèbre corps des Alpini qui va initier une résistance courageuse mais en vain. En août, le Monte Grappa est retenu comme pivot de la défense italienne avec dix divisions mais la défaite sur l'Isonzo préfigure le désastre de Caporetto. C'est une hécatombe.

En juin, Antonio obtient sa "maturité" à Bassano et le 3 juillet, à 13 ans, il entre dans la vie active. Il participera entre autres, aux côtés de son père, aux travaux de construction de la route qui conduit de Romano d'Ezzelino au Monte Grappa. Il sera ensuite assistant d'un médecin militaire et refusera obstinément de monter dans un téléphérique improvisé pour porter des provisions et des munitions, de l'église du village aux Colli Alti. Il est bien jeune, n'a rien d'un casse-cou et préfère conduire le mulet pendant une heure et demie sur le chemin escarpé ! Cette heureuse période de sa vie prendra fin avec l'avancée des armées ennemies.

 

Le fameux téléphérique
Le fameux téléphérique

 

Le 24 octobre 1917, c'est le désastre de Caporetto et le retour des soldats et des populations en fuite. A San Nazario, c'est l'exode, les charrettes, etc... L'armée va se reformer avec Cadorna qui se battra "du Monte Grappa jusqu'à la mer". En novembre, les premiers ordres d'évacuation sont donnés car la vallée est sous les tirs d'artillerie. Antonio s'occupe en réparant les trous d'obus sur la route de Carpanè et voit partir la famille Negrello vers Syracuse. Le 12 décembre, après trois jours d'intenses bombardements, c'est son tour de partir avec sa famille (la grand-mère de 75 ans et son demi-frère qui n'a pas encore un an) après avoir casé chez des amis de San Zeno (sud de Bassano) deux armoires pleines de linge, enterré quatre sceaux, deux marmites en cuivre et douze bouteilles d'huile. Bien sûr, à leur retour, ils ne retrouveront rien.

Ils partiront, sans même connaître leur destination, et arriveront à Foggia (dans les Pouilles, presque à la hauteur de Naples). Commence alors la dure vie d'émigrés : pendant trois semaines, ils seront entassés sur de la paille dans une église. On ne comprend pas leur dialecte et, parfois, on les prend pour des Autrichiens... la malaria rôde toujours. Aussi son père réussit-t-il à obtenir un transfert vers le nord, dans la région de Turin, quelques mois plus tard.

Une famille complète de San Nazario, des Scotton, fut totalement anéantie par la malaria.

En décembre, c'est l'assaut massif des Autrichiens sur le Monte Grappa, de la vallée du Piave à celle du Brenta avec des contre-offensives italiennes ; les combats sont acharnés...

Le 12 mai 1918, Gabriele d'Annunzio prononce un discours patriotique à Campese, et, le 4 novembre, c'est la signature de l'armistice après la victoire italienne de Vittorio Veneto. C'est seulement à Pâques de l'année suivante qu'on verra revenir les premiers réfugiés de ce trop long et douloureux exil.

La population du village qui était de 3 500 habitants, en 1900, est descendue à 2 500.

 

Départ des réfugiés

 

La signature de l'armistice donne enfin espoir aux émigrés. Antonio, a failli perdre la vie avec la grippe espagnole qui va "faire" 30 millions de morts en Europe : il ne reviendra au pays avec tous les siens que le 22 mars 1919 après 15 mois d'exil, pour trouver les maisons dévastées, pillées, sans portes ni fenêtres, des toits brûlés, des murs détruits, des champs en friches, en bref, la désolation, mais avec un courage intact pour tout reconstruire... sans argent ! S'y ajoute le sentiment d'être des privilégiés en pensant à ceux qui ne reviendront pas ou qui reviendront blessés, estropiés... Peu à peu, la vie reprend son cours.

Cette longue période de confrontation avec la mort au quotidien, de bouleversements, de brassages et de questionnements est aussi une période de fermentation d'idées nouvelles. Après des premiers désordres en 1919, le 21 avril 1920, 12 000 paysans manifestent à Bassano : on voit apparaître la devise des fascistes "travail, ordre, discipline" et des émeutes contre les "rouges". Le patron te donne un bout de pain aujourd'hui et les socialistes t'en promettent deux pour demain, entendait-on dans les campagnes.

Le 19 octobre 1919, "Nonna Angela", qu'Antonio considérait comme sa mère, rend son âme à Dieu. Pour lui, c'est la reprise des travaux variés au gré des opportunités, routes, bâtiments...

Le 15 août 1920, le conseil municipal de San Nazario est majoritairement socialiste. C'est une époque où on note parfois des liens entre membres du clergé et fascistes, où, dans certaines paroisses, on lit le nom des absents à la messe... La douleur et les idéologies ont rendu les gens fous.

Pour essayer d'imaginer la situation ? Un seul chiffre suffit : entre 1920 et 1929 sur 15 831 habitants, 7 323 vont quitter la vallée qui les a vus naître et où repose toute leur famille. Mais ce seul chiffre, combien cache-t-il d'angoisses, de drames et de souffrances ? Pour San Nazario, la sinistre statistique de cette période est la suivante:

1922 : 152 départs,

1923 : 231,

1924 : 164,

1925 : 121,

et 1 135 départs entre 1921 et 1936 (sur une population initiale de 3 437).

Le 21 septembre 1921, Antonio, avec son ami Eliserio Scotton, est victime d'un étrange accident où il manque de perdre la vue en actionnant par curiosité un ensemble contenant de la paille et de la poudre. Ceci provoque une explosion destinée à brûler les gaz lors des attaques ennemies. Il y eut de nombreux accidents d'enfants et adolescents dûs à ces armes et explosifs après la guerre.

Le 11 juin 1922, on célèbre un "Te Deum" en l'église des Colli Alti.

Le 17 mars 1923, Antonio est incorporé au 9 ème régiment des Alpini à Gorizia sur l'Isonzo à la frontière avec la Slovénie. Il terminera, le 8 septembre 1924, comme sergent.

 

Position de la maison de famille
Position de la maison de famille

 

 

1924 - Antonio part vers sa nouvelle patrie : la France !

Le 11 décembre, mis à part de faire carrière dans l'armée, son officier l'y encourage, il ne voit aucun avenir sur place et, à son tour, il va partir. Il ira rejoindre son père, qui est en France (Annecy) depuis quelques mois, mais en partant il songe déjà au retour...

C'est l'illusion soutenue par l'espérance...

Tous ses trésors tiennent dans un grand sac ! Ils travailleront tous les deux quelques temps à SRO, où leur succèderont, bien plus tard, (SRO étant devenue SNR), Aldo puis Bruno soit quatre générations successives. En avril 1925, il part pour Paris rejoindre à nouveau son père mais ils reviendront bien vite travailler au barrage de Roselend, puis à la construction du nouveau pont de la Caille, aux Forges de Cran, chez Streichenberger pour remplir et livrer des sacs de charbon (dur, dur !), etc... en cherchant chaque fois à travailler plus et à gagner plus. A noter qu'à Paris avec son père et son oncle Valentin, ils reçoivent des pierres et sont abreuvés d'injures un soir à la sortie d'une usine par des ouvriers en colère. Ils avaient été embauchés le matin même, sans s'en rendre compte, dans une usine en grève. Inutile de dire qu'ils allèrent ailleurs chercher un nouvel emploi. Lors de sa traversée de Paris (11 km), il parle quelques mots de français, son gros baluchon lui interdit le métro. On pense à "La grande vadrouille".

Le 26 mai 1926, il "parle" avec Giulia Mocellin (âgée de 16 ans), originaire de Solagna. Elle est arrivée la même année que lui en France avec sa famille, au mois d'avril, par une nuit glaciale sur le quai de la gare à La Balme de Rencurel en Isère pour faire du charbon de bois. La famille s'installera ensuite à Annecy. Quelque temps après, il la demande en mariage et c'est seulement le 8 septembre 1927 qu'elle dit oui. Une fille de Solagna va épouser un garçon de San Nazario, mais la distance réduit les inimitiés villageoises ! Leur mariage sera célébré à l'église St Maurice d'Annecy, le 1 er décembre 1928.

La communauté italienne est importante à Annecy et dans la région car il y a de fortes similitudes de mode de vie, de culture, de religion, et surtout ... du travail, ce que recherchent désespérément tous ces immigrés ! Cette communauté fait venir et accueille, dans des conditions pour le moins sommaires mais chaleureuses, un frère, un oncle, un cousin, un ami resté au pays. On retrouve bien des analogies avec les immigrants arméniens suite au génocide qui commençât en 1915. Les films remarquables d'Henry Verneuil (Mayrig et 558, Rue Paradis) l'illustrent très bien.

Sur Annecy, cette communauté est si importante que le diocèse va mettre à sa disposition l'église St François de Sales, rapidement baptisée l'église des Italiens.

En 1929, la mairie de Bassano est aux mains des fascistes.

1933 : Hitler est nommé Chancelier.

1934 : la vague migratoire va prendre fin mais en 5 ans, la population de Solagna sur 2 510 habitants a vu partir 512 des siens vers l'étranger (surtout la France) et 380 vers le reste de l'Italie.

 

Les Mocellin, une famille nombreuse !
Photo de mes grands parents en 1934 avec une partie de leurs petits enfants

Les Mocellin, une famille nombreuse - 1934

 

Le 28 septembre 1938, devant les bruits de guerre et compte tenu de son âge, 68 ans, Marcone décide de rentrer au pays. Antoine et Giulia, qui ont déjà quatre enfants, restent à Annecy.

Dramatique période pour ces immigrés italiens qui vont devoir choisir de tout quitter et rentrer au pays ou rester, alors qu'on entend à la radio des déclarations menaçantes de Mussolini contre la France. Angoisse de ces familles qui hésitent, se séparent sans avoir idée de ce qui les attend de part et d'autre de la frontière. Etre pris entre le marteau et l'enclume, voilà qui résume bien leur position.

En juin 1939, c'est la famille de Giulia, sauf deux sœurs, qui retourne au pays. Maggio, le dernier frère de Giulia repart avec ses parents vers un pays qu'il ne connaît pas et laisse à Annecy tous ses copains d'enfance...

Le 11 juin 1940, l'Italie déclare la guerre à la France et à l'Angleterre : "le coup de poignard dans le dos". La France étant déjà occupée par les Allemands, dans ce qui sera l'axe RoBerTo : Rome, Berlin, Tokyo. Mais malgré des craintes bien compréhensibles, nul membre de la famille, au sens très large, n'eut à souffrir à aucun moment de cette difficile situation. Des épithètes du style "macaroni" étaient plus le fait de quelques imbéciles comme on en trouve toujours dans ces situations. Les autorités françaises ont d'ailleurs réuni les immigrés pour leur demander de rester loyaux à la France et de continuer à mener une vie normale sans s'occuper de politique ou de nationalisme. Avec l'armistice du 25 juin 1940, commence l'occupation dans la région (y compris au début avec des troupes italiennes)... et, avec elle, la douloureuse période de restrictions, de cartes d'alimentation ainsi que le manque de beaucoup de matières. Difficile d'oublier les galoches en bois, les pneus de bicyclette faits avec les rondelles des bouchons de bouteilles de limonade, etc... l'imagination était au rendez-vous ! Pour les pauvres, ceux qui n'ont pas de ressources agricoles et ceux qui sont en situation délicate comme ces Italiens en France, c'est le début de la faim qui va durer des années. Le rêve d'un bout de pain devenait envahissant... Ce sont des souvenirs qui restent gravés à jamais dans la mémoire.

Le 11 juin 1942, premier bombardement d'Annecy. Dès lors, le chant mélodieux des sirènes ne cessera guère car souvent les avions survolent la région pour aller bombarder le Nord de l'Italie et ses centres industriels. L'abri sous le Semnoz étant très sûr mais pas tout proche, la famille se réfugiait souvent sous le square Stalingrad, près du domicile tout proche de la gare, dans un abri léger. A cette époque, c'était presque toutes les nuits qu'il fallait partir en courant dans l'obscurité la plus totale d'où la nécessité d'avoir toujours ses vêtements préparés pour ne pas perdre de temps.

En 1943, Antoine est convoqué à trois reprises, pour partir en Allemagne dans le cadre du STO (Service de Travail Obligatoire). Il y échappera d'extrême justesse, à deux heures du départ du train (le 15 octobre), sauvé, si l'on peut dire, pour "charge de famille" par son employeur et... la chance.

Du 24 août au 8 septembre, Giulia décide d'aller voir sa famille à Solagna avec Aldo. Pendant ce temps, Antonio se ronge d'inquiétude non sans raison, car ils reviendront dans le dernier train avant la fermeture des frontières entre la France et l'Italie, justement le 8 septembre, suite à la capitulation de l'Italie... Les soldats italiens d'occupation deviennent prisonniers de leurs ex-alliés allemands, bonjour l'ambiance ! Heureusement, les troupes italiennes d'occupation (des Alpini) s'étant comportées correctement, il n'y eut pas d'incident majeur à relever. Ils furent salués à leur départ par ce joli compliment : "Ils sont venus vainqueurs avec la plume au cœur et sont partis vaincus avec la plume au cul".

Le 12 novembre de cette même année, c'est le deuxième bombardement d'Annecy en plein jour par les Américains qui saupoudrent la campagne du côté de Seynod ; pauvre Antonio qui justement ce jour-là s'était réfugié à la campagne, beaucoup de peur mais pas de mal.

La tension est très forte, comment ne pas penser aux héros des Glières en Mars 1944 et à la "Résistance" en général.

Le 10 mai 1944, troisième et heureusement dernier bombardement d'Annecy par l'aviation britannique. Objectif militaire : SRO et la gare SNCF. Résultat : des morts et énormément de dégâts. A une heure du matin, sans alerte préalable, les deux premières bombes tombent alors que Giulia et Aldo sont encore dans la maison (située à quelques dizaines de mètres de la gare et quelques centaines de SRO). Fuite éperdue, pieds nus, en slip... C'est un ouragan de fer et de feu, selon Antoine. L'abri léger dans lequel tout le monde s'est retrouvé semble être construit de feuilles de cigarette. A la fin de l'alerte, après 20 minutes d'épouvante, c'est un spectacle de désolation qui nous attend mais la famille est sauve.

L'appartement, en partie détruit, nous vaudra d'être hébergés comme réfugiés dans un hôtel des Marquisats pendant quelques nuits. Il se dit que certains, qui écoutaient la BBC de Londres, auraient entendu le message suivant : "nous allons arroser les Salsifis, les Radis et les Oignons" (les initiales formant SRO).

19 août 1944 : libération d'Annecy par les FFI !!!! Bien sûr des morts, des violences mais enfin, l'espoir de voir finir cette terrible période avec l'occupation, les alertes nocturnes... Seule la faim reste bien présente.

Le lendemain, 20 août, dans la vallée du Brenta les choses se passent mal : des fascistes appuient les Allemands qui retrouvent le chemin du Monte Grappa. Il y aura de nombreux partisans et réfractaires qui payeront un lourd tribut : vingt-six tués à Carpanè en octobre 1944, vingt-six prisonniers au cours d'une rafle pendant la messe à la "Madona del l'Onda".

En avril 1945, la retraite des Allemands sera terrible, c'est la chasse partout avec deux fusillés à San Nazario.

Le 8 mai 1945, avec la capitulation allemande, la joie la plus folle règne partout, une fête incroyable dans tout Annecy. Enfin, le printemps d'un renouveau tellement attendu... Les tickets d'alimentation perdurent pendant plusieurs années encore. Les mille et une tentatives pour alimenter au mieux sa famille en pareille époque conduisent Antonio à une imagination et à des efforts incessants pas toujours couronnés de succès. Cette douloureuse période ne laissera pas trop de traces. On retrouve à la sortie une famille intacte et fortement motivée pour s'en sortir. Miracle de la motivation, du travail acharné et de la chance, les deux fils d'Antoine et de Giulia, seront, quelques années plus tard assujettis à l'ISF...

Le 6 août 1945, "Enola Gay" va enclencher la fin de la deuxième guerre mondiale à Hiroshima : 140 000 victimes directes et, le 15 août, les Japonais, enfin, déposent les armes.

Le 26 mai 1947, à 77 ans, "l'aventureux Marco Marcone" rend son dernier soupir à San Nazario après une vie bien tourmentée.

En Mars 1951, Vigilio Dalla Zuanna de Valstagna, capucin, est nommé évêque. Ses parents sont originaires de Valstagna mais sa famille vient de San Nazario.

 

Photo de la famille en mai 1952
Photo de la famille en mai 1952

 

Au cours de ce XX ème siècle et au début du XXI ème, on trouvera des Dalla Zuanna répandus à travers le monde mais, bien sûr, majoritairement en Italie (74 sur l'annuaire téléphonique avec une grande majorité en Vénétie), 26 sur l'annuaire français (majoritairement en Haute-Savoie), et des présences certes peu nombreuses, mais réparties dans de très nombreux pays.

Par la magie de l'Internet, on peut découvrir comme dans un inventaire à la Prévert :

- des prêtres : Gabriel, Claudio, Elio, Mario (aumônier à Monaco), Monsignore Francesco...

- des scientifiques : Gianpierro démographe de grand renom à Bologne, Lisa écotoxicologue, Marzia biologiste (qui a fait des études dans les jardins du parc de Canova), un spécialiste du pin cembro, Sylvia à un congrès d'astronomie en Uruguay, Enrico spécialiste de l'étude des matériaux...


- des sportifs : Roberto dans un racing team, Paolo en motocross 125, Pierrino qui donne son nom à un sentier à Foza, John un plongeur spéléologue, Gilles et Alicia spécialistes du yoga dans le Vaucluse, Gilles et Valérie éleveurs amateurs de pur-sang arabes en Haute-Savoie... - des artisans, commerçants, industriels : Caroline dans les fleurs à Lyon, Alain boulanger pâtissier à Aubenas, Roy spécialiste financier dans les cartes bancaires au Canada, Aldo dans la joaillerie, Bruno dans l'industrie de précision, Paola juriste à Milan...


- des artistes ou amateurs d'art : Caterina contralto à Castefranco Veneto, Tania danseuse à Toronto, Steevie rocker au Danemark...


- ceux impliqués dans les affaires publiques : Humberto à un haut niveau de l'administration de Trento, Paolo vice-sindaco de Valstagna,


- ceux qui sont un peu partout, plus ou moins anonymes : Olivier en Suisse, Mathias en Suède, toute une famille en Argentine, Tracy en Australie...

De plus, c'est à l'entrée du troisième millénaire que se renouent des contacts entre Aldo descendant de Matteo et François descendant de Battista, soit plus de cinq siècles après !!!

Bref, les "enfants de la Jeanne", ont essaimé dans le monde entier et, bien que peu nombreux, on les trouve dans tous les domaines d'activité. En somme... une famille comme tant d'autres !

En mettant un point final à ce travail de compilation, je sais que je ne mets pas un terme définitif à mes recherches, mais il est temps de savoir conclure. Me vient à l'esprit cette image du cône de la connaissance. Lorsqu'on est en bas du cône, on ne sait rien et on croit tout savoir ; plus on monte, plus nos connaissances s'enrichissent, plus les bords du cône s'écartent et plus on se rend compte que l'on sait très peu de choses. On comprend mieux ainsi la profonde modestie des savants.

J'ai eu la chance très jeune, à une époque où ce n'était pas courant, de voyager et d'avoir des amis appartenant à des cultures et des religions différentes. Il m'en est toujours resté une forte motivation pour connaître et essayer de comprendre mes semblables dans ce monde parfois incompréhensible qui nous entoure. Ce travail accompli relève de cette soif jamais complètement étanchée pour ce qui me concerne.

Il est un usage auquel je ne souhaite pas déroger et je dédie ce travail à Marie-Madeleine qui m'a accompagné tout au long de ces laborieuses recherches. Elle a distillé à mon égard, douce ironie ou encouragements selon mes états d'âme, et de plus, elle a assuré un long et fastidieux travail de relecture, ma reconnaissance lui est acquise pour m'avoir épaulé une fois de plus.

Comment ne pas y associer nos enfants, Bruno, Gilles et Christine et petits-enfants puisque cet ouvrage leur est destiné. D'une façon plus large, c'est, j'espère, toute la famille qu'il intéressera. Peut-être, certains amis très proches comme Claude et Michel, également en quête d'histoire familiale, en trouveront la lecture profitable... Pierre n'est plus là, lui qui aurait été si heureux de m'épauler lorsque j'étais un peu perdu...

Peut-être même qu'un jour, un lointain "enfant de la Jeanne" découvrira ainsi l'origine de ses ancêtres.

C'est avec une grande joie que je remercie chaleureusement ce cher compagnon, Franco Padoan, qui a accepté d'en rédiger la préface en des termes qui me mettent dans l'embarras. La puissante et fidèle amitié qui nous lie depuis plus de quarante ans, nous a permis de tisser d'autres liens par delà les frontières de l'espace et du temps et, dans un autre cadre, d'y associer de plus en plus d'amis qui partagent nos valeurs.

Pour tout dire, je pense surtout à mes parents. J'imagine que ma mère aurait caché sa fierté derrière un "ronchonnement" de pseudo-indifférence (elle aurait "brontolé") et je crois que mon père en aurait éprouvé beaucoup d'intérêt et de joie profonde.

Ils méritaient, oh combien, ce dernier coup de chapeau, eux qui n'en n'ont pas reçu souvent !

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