CHAPITRE VII: LA COMPOSITION MUSICALE

À TRAVERS UNE CONCEPTION QUANTIQUE DU SON.

 

I.- La conception quantique dans la musique instrumentale.

"A ‘quantum aesthetics’ would allow necessarily for the possibility of many equally valid aesthetic styles, though we may find that there is a ‘constraint of the Natural’ which underpins all our aesthetic needs and which gives us an objective foundation for judging whether a given style or object meets them. If they express and cultivate the natural in us - the nature of our consciousness - they succeed; if not, they fail".

Danah Zohar, 1990

Parler d’une conception quantique dans la musique est peut-être risqué, autant qu’il est peut-être risqué de parler d’une vision newtonienne dans l’art. Mon but n’est pas ici d’établir les fondements solides d’une théorie esthétique quantique, car cette lourde tâche correspondrait plutôt au philosophe ou à l’historien de l’art. Mon objectif est plutôt de faire voir comment une vision scientifique du monde peut influencer énormément la pensée des intellectuels, ainsi que les idées esthétiques des artistes [1].

Beaucoup de philosophes, et même des physiciens tels que Leibniz, ont formulé des théories esthétiques à partir de sciences telles que l’arithmétique (l’esthétique pythagoricienne par exemple) [2]. D’autres théoriciens ont préféré privilégier l’aspect subjectif, l’intuition et l’expression dans l’art, des notions qui se trouvent à l’opposé de l’aspect objectif, de la logique et des concepts. Or, l’esthétique et la création artistique ne peuvent repérer uniquement sur l’un de ces deux pôles; elles ont besoin de leur interaction. Bien entendu, certaines visions vont privilégier davantage l’expression par rapport au conceptuel, et vice-versa; d’ailleurs, la lutte pour l’hégémonie entre ces deux notions a constitué l’éternel discussion des philosophes qui se sont posé la question: qu’est-ce qui est apparu d’abord, l’œuf ou la poule?. Pour certains théoriciens de l’esthétique du début du vingtième siècle, l’expression artistique est toujours la première, viennent ensuite les concepts (Croce, 1909) [3]; or, que pourraient-ils dire de la naissance de l’art conceptuel dans les années soixante?. Ici, les concepts étaient le but, alors que l’expression en était la conséquence naturelle.

La formulation d’une conception quantique de la musique et de l’art en général n’a pas pour but de placer dans le même panier toute une série d’artistes. Bien au contraire, la formulation de cette conception pourrait nous aider à mieux comprendre la diversité et la richesse des différents styles musicaux de ce siècle [4]. De plus, une conception quantique de l’art sera forcément ouverte grâce au principe quantique d’indéterminisme qui va conformer le noyau du jeu créatif d’un grand nombre d’artistes, et qui va en finir avec l’absolutisme "objectif" de la vision newtonienne de la causalité.

Dans ce chapitre, nous verrons comment une conception quantique de la musique peut être compatible avec la diversité des styles musicaux. Cependant, il y aura des compositeurs plus proches des principes quantiques que d’autres. Par exemple, mon travail théorique sur la conception quantique du son m’a fait découvrir un intérêt personnel de développer une esthétique quantique dans ma musique; pour cette raison, je voudrais achever ce chapitre en parlant de mes compositions et des idées esthétiques qui en dérivent; seulement ici, je peux m’aventurer à parler avec plus d’assurance d’une esthétique à caractère quantique [5]; toutefois, rappelons qu’une vision quantique n’est pas exclusive, et que divers styles musicaux pourront toujours émerger de cette vision ouverte et riche, grâce à son essence paradoxale.

 

1.- Antécédents.

Pour pouvoir établir les bases d’une vision quantique dans la musique instrumentale, il faut d’abord effectuer un parcours historique rapide de la musique contemporaine de la première moitié de ce siècle, afin de comprendre quelles ont été les motivations des compositeurs pour révolutionner un langage musical qui était cadré, trop satisfait de lui-même, et qui n’offrait plus d’issues pour la libération du son.

Depuis l'apparition de la notation musicale, la musique occidentale s’est surtout servie de deux paramètres du son: la fréquence et la durée. Ceci a permis la création d'un système musical où l’on peut définir ses moindres éléments - la note musicale avec une fréquence, une valeur rythmique et un tempo -, et donc, créer différents langages musicaux en partant de la même syntaxe de base. Cependant, on a simplifié le phénomène sonore et on a mis de côté le timbre qui constitue la principale qualité du son, peut-être parce qu'on avait mis l'accent sur les structures musicales globales, et non sur la structure du son lui-même (car également, le timbre est un élément plus difficile à représenter sur la partition musicale et plus difficile à contrôler pour l'instrumentiste) [6] (Rocha Iturbide, 1991). La simplification du phénomène sonore a été provoquée également par la structure de base de notre notation musicale où le registre sonore a été quadrillé [7], supprimant de cette manière le continuum du registre des fréquences. Ainsi, la musique a toujours été échelonnée et discontinue car l'abstraction qui nous a permis d'arriver à ce système de notation nous a également limités. Or, ce quadrillage a aussi affecté l’aspect du temps musical, qui est constitué par la durée des sons et par la combinaison de ces durées (c’est-à-dire le rythme), peut-être à cause de l’application du concept de la mesure du temps en tranches (ou durées) qui ont un rapport arithmétique, et du battement de ces tranches avec différents accents, qui a donné lieu aux différentes mesures[8]. Cette façon de discrétiser la durée des sons a également empêché d’établir un continuum dans le domaine temporel[9].

Certains compositeurs de la première moitié de ce siècle, tels que Luigi Russolo, Edgar Varèse et John Cage, ont ressenti le besoin impérieux de rompre avec la pensée musicale traditionnelle. Ils se sont approchés des phénomènes sonores dans la nature et leur ont concédé des qualités musicales; emportés par cet intérêt, ils ont utilisé des sons issus des nouveaux instruments, inclassables dans le système musical traditionnel[10]. Ces compositeurs se sont souciés du son en lui-même (c’est-à-dire, le timbre), et de la possibilité de nouveaux moyens de le déployer dans le temps et de l’intégrer à la forme musicale [11]. Or, la première grande révolution du langage musical de ce siècle avait été produite par Arnold Schoenberg, avec la création d’un nouveau système musical atonal basé sur les douze notes chromatiques de la gamme tempérée. L’intention principale de Schoenberg était de se passer du système musical tonal en décadence, ce qu’il a accompli; toutefois, son système a retrouvé le même problème de quadrillage dont l’ancien système souffrait: l’omission du déploiement des sons dans un continuum temporel et un continuum des fréquences.

 

2.- Musique et Science.

"One can achieve universality, not through religion, not through emotions or tradition, but through the sciences. Through a scientific way of thinking.....scientific thought is only a means with which to realize my ideas, which are not of scientific origin. These ideas are born out of intuition, some kind of vision".

Iannis Xenakis [12].

L’intérêt vis-à-vis de la complexité des phénomènes sonores naturels a poussé des compositeurs tels qu’Edgar Varèse à établir des analogies entre la musique et la science [13]. Cette comparaison n’est pas injustifiée. La musique a toujours eu un rapport naturel avec les mathématiques pures; par contre, elle n’a pas toujours été proche de la physique, science avec laquelle on explique certains phénomènes de la nature, dont les caractéristiques fondamentales du son. Les mathématiques pures, un langage abstrait qui n’est pas forcément relié aux phénomènes physiques naturels, ont été utilisées et développées par les sérialistes du début des années cinquante (avec Pierre Boulez en tête). La musique sérielle est alors devenue trop abstraite et s’est écarté de la véritable réalité physique du son.

Les sciences naturelles ont toujours influencé la pensée philosophique et esthétique de l’homme, et à certaines périodes de l’histoire, sciences et art ont marché côte à côte. Pourtant, au siècle dernier et au début de celui-ci, la musique s’est éloignée des sciences. Il a donc fallu atteindre le début des années cinquante pour que de jeunes compositeurs comme Iannis Xenakis critiquent le retard de la musique par rapport à la science:

"...ce qui a manqué à Schoenberg c’est une meilleure connaissance des sciences de son époque. S’il avait été mieux informé, au lieu d’essayer d’introduire un déterminisme rigoureux dans l’atonalité, il aurait peut-être entrevu la musique stochastique......Du temps de Rameau, la musique et la science faisaient bon ménage (Xenakis, 1972).

Les lois causales de la physique newtonienne ont été le centre de la pensée occidentale depuis le XVII siècle, et tous les arts (y compris la musique) ont été influencés; toutefois, au début du XX siècle, une nouvelle ère de la physique s’est annoncé avec la théorie quantique de Planck et la théorie de la relativité d’Einstein. Ces nouvelles visions du monde ont déséquilibré et altéré la logique occidentale, à cause de leurs caractéristiques d’indéterminisme (voir premier chapitre), et même sans être connues en détail par les compositeurs, elles ont modifié radicalement la pensée musicale traditionnelle qui avait subi comme surcharge, pendant plusieurs siècles, un raisonnement déterministe.

Le rapprochement entre musique et science se manifeste pleinement au début des années cinquante; peut-être l’une des causes les plus importantes a été le développement technologique des appareillages sonores analogiques, qui vont permettre le travail des compositeurs avec le son de façon directe. Le magnétophone [14] a été une des inventions à la portée des compositeurs. En 1948 Pierre Schaeffer (ingénieur de son et musicien) a établit un studio à la Radio, où plusieurs compositeurs ont eu la possibilité d’effectuer des expériences et de composer sur bande magnétique, sur la base du traitement d’enregistrements sonores [15]. Des expériences de manipulation de sons enregistrés sur disque avaient déjà été faites par plusieurs compositeurs dans le passé (tels que Cage, Milhaud, Hindemith et Varèse), mais la bande magnétique donnait une flexibilité infiniment supérieure, car on pouvait couper la bande en morceaux et effectuer des collages, mixer plusieurs bandes, etc. Schaeffer a nommé cette nouvelle technique musique concrète. Des années plus tard, il va même développer une théorie sur elle (Schaeffer, 1966) [16].

Au cours de 1952, une approche nouvelle et complètement différente commence à la radio de Cologne, où les compositeurs Herbert Eimert et Robert Beyer réalisaient des expériences avec des générateurs d’ondes sinusoïdales. Ce studio va donner lieu à un autre mouvement de musique baptisé: elektronische musik (musique électronique) (Eimert et Stockhausen, 1956). Une fois de plus, des compositeurs (tel que le jeune Stockhausen) eurent l’occasion de travailler dans ce studio, et d’avoir un rapport direct avec la nature physique du son. Karlheinz Stockhausen a eu la possibilité de réaliser plusieurs expériences de synthèse dans le studio grâce auxquelles il s’est familiarisé avec la nature physique du timbre [17]; par conséquence, il a pu développer une théorie de composition très proche du principe quantique, dont je parlerai plus loin [18].

 

3.- L’Influence de la théorie quantique sur la pensée musicale du XX siècle.

"Une ligne droite dans un espace à deux dimensions est équivalente au changement continu d’une dimension comparée à l’autre dimension. Le même phénomène arrive avec la fréquence versus le domaine du temps...mais dans la musique, fréquence et temps sont des étrangers naturels, liés seulement par leur structure qui ordonne." (Iannis Xenakis) [19].

Les compositeurs des années cinquante les plus influencés par les théories quantiques sont Iannis Xenakis et Karlheinz Stockhausen; curieusement, les deux sont parvenus en même temps à des conclusions semblables mais avec des moyens complètement différents [20]. Xenakis a développé la première théorie quantique appliquée à la synthèse sonore à la fin des années cinquante (voir premier et sixième chapitres) [21]. Néanmoins, depuis 1954, année où il a crée sa première composition instrumentale importante (Metastasis), il possédait déjà une conception quantique intuitive de la musique qu’il appliquera dans ses œuvres postérieures. Des années plus tard, Xenakis se pose toujours la question sur la nature du temps, de la fréquence, et de leur rapport:

"Qu’est-ce que le temps, qu’est-ce que la fréquence, et quel est leur rapport?. Les travaux de Piaget sur la perception du temps des enfants montrent qu’avant six ans ils n’ont pas une notion claire du processus; pourtant, après six ans, le temps acquiert pour eux une structure ordonnée et les intervalles de temps peuvent être additionnés et permutés, et par conséquent, obtiennent une structure de groupe" (Xenakis, dans Varga, 1996).

Xenakis conclut que si le temps peut être structuré, la fréquence doit aussi pouvoir être structurée, de même que ses intervalles et que son intensité. Toutefois, pour Xenakis, le timbre reste en dehors du cercle car il ne possède pas une structure ordonnée. Par exemple, si on a un timbre déterminé et que l’on veut obtenir du bruit blanc, il n’y a pas un chemin plus court, mais une infinité de chemins possibles [22]. Donc, le timbre restera toujours l’élément paradoxal de la théorie quantique du son. J’ai déjà mentionné plusieurs fois que le timbre possède une combinaison de fréquence (addition des composantes de fréquence du spectre), et de temps (variations temporelles des ces composantes), et que ces deux paramètres ne peuvent pas être définis en même temps, à cause de la théorie de l’indéterminisme de Heisenberg.

Une autre caractéristique quantique dans la pensée de Xenakis est la discrétisation de l’échelle de valeurs musicales perceptibles à un niveau plus universel. Xenakis a créé un système d’analyse musicale avec lequel il est possible d’étudier toute musique, qu’elle soit indonésienne, indienne, contemporaine, ou autre. Ce système à été construit avec une notion d’intervalle qui agit autant sur le domaine de la fréquence que sur le domaine du temps:

"...Mes propositions d’axiomatisation sont tellement élémentaires qu’elles ont une portée universelle. Tout le monde compte le temps et utilise des intervalles" (Xenakis, 1972).

Ces idées existaient déjà dans l’acoustique. On a étudié dans le premier chapitre les théories quantiques de Wiener, Gabor, et Moles, qui parlent de la perception psychoacoustique des éléments sonores discrets. En fait, ces idées existaient même avant l’apparition de la physique quantique. Au siècle dernier, Fechner a développé la loi de Weber-Fechner, une équation théorique sur l’intensité et la force d’une sensation au moyen d’une fonction logarithmique du stimulus de l’intensité. L’idée était de pouvoir mesurer les sensations de notre cerveau. Fechner croyait qu’il était possible de créer une échelle pour la force des sensations basée sur les fractions constantes de Weber, en utilisant une quantité (ou quantum [23]) minimale nommée J.N.D (Boring, 1942). Cette théorie n’a pu être vérifiée dans le laboratoire, mais Fechner a eu tout de même l’intuition de découvrir que nos sensations "psychophysiques" pouvaient être mesurées en quantités discrètes.

Un autre aspect de la théorie quantique applicable à la musique est celui des bonds quantiques. On sait que les électrons bondissent d’un état d’énergie à l’autre de manière brusque et indéterminée:

"Les électrons sautent d’un état d’énergie à un autre par ‘bonds quantiques’ discontinus, la mesure du bond dépend de la quantité de quanta d’énergie qu’ils ont absorbée ou donnée...la transition d’un état d’énergie à un autre dans l’atome se fait de manière Random et spontanée...On peut alors avoir une transition d’un état d’énergie basse à un état d’énergie haute et vice-versa. Il y a une réversibilité temporelle au niveaux du quantum: les choses peuvent arriver dans n’importe quelle direction" (Zohar, 1990).

Dans la musique de Xenakis, mais aussi dans la musique en général, on a souvent des bonds discontinus et abrupts dans le temps (c’est-à-dire, des variations ou des altérations abruptes) qui nous paraissent parfois brusques et inattendus. D’ailleurs, c’est grâce à cette surprise qu’on peut soutenir l’intérêt sur l’information musicale perçue (Stockhausen, 1958). Toutefois, dans Xenakis, l’état musical issu du changement abrupt n’a pas de lien apparent avec l’état précédent, et cet effet va constituer un élément très important dans son esthétique [24].

Stockhausen a été également conscient de l’importance musicale de la variation ou de l’altération dans le temps, et en 1955 il a développé une théorie sur la structure et l’expérience du temps (Stockhausen, 1958). Avec cette théorie, il utilise la notion d’intervalle pour mesurer la distance entre les différents états ou processus qui ont souffert une altération dans le temps. Il utilise aussi les notions de degré d’altération, et de degré de densité des altérations. La sensation du temps qui passe va changer complètement selon la qualité des événements. S’il y a une surprise constante (c’est-à-dire, une altération abrupte et constante dans le temps), alors celui-ci passera plus vite, tandis que s’il y a une répétition constante des événements, le temps passera plus lentement. Pourtant, quand le degré d’altération se stabilise, on commence à perdre l’intérêt, et le temps passe à nouveau plus lentement. Pour maintenir l’intérêt avec un degré d’altération constante, il faudra augmenter la densité des altérations (plus d’altérations dans moins de temps). Enfin, il y a dans cette théorie un rapport complexe entre les éléments, où leurs différentes combinaisons donneront une perception du temps variable.

On pourrait dire que la théorie de Stockhausen est de caractère universel (comme celle de Xenakis pour l’analyse de la musique), car avec elle on peut mesurer la perception du temps par rapport à la structure des différentes musiques, et même des événements sonores dans l’environnement. D’autre part, la théorie de Stockhausen est issue de son intérêt pour la notion de la relativité du temps, avec laquelle on peut percevoir le son de plusieurs manières selon l’échelle temporelle où l’on se trouve. Ceci nous amène au continuum d’états temporels. Un son répété cent fois par seconde n’est plus un son isolé, mais une fréquence de 100 Hz avec un timbre déterminé; si on diminue cette répétition, il y aura un moment où l’effet de la fréquence (qui décroît) commencera à disparaître et on commencera à percevoir des changements d’intensité, puis de forts battements qui seront perçus comme un rythme périodique [25]. Ce phénomène sonore de vibration, qui établit un rapport entre le timbre et le rythme, a poussé Stockhausen à concevoir sa théorie sur le traitement de l’aspect rythmique aussi bien dans le micro-temps que dans le macro-temps (voir Le micro-temps et le macro-temps dans le sixième chapitre). Cette théorie va servir de base pour la création de ses compositions instrumentales et électroacoustiques des années cinquante [26].

Dans la théorie quantique, la particule fondamentale possède en même temps une qualité ondulatoire continue et une qualité de particule discontinue; c’est pour ceci qu’on l’appelle partonde (waveicle). Cette polarité paradoxale existe aussi dans la musique, où on a le domaine de la fréquence (l’aspect continu) et le domaine de la durée (l’aspect discontinu). Ces deux aspects sont difficiles à concilier; pourtant, leur rapport dialectique a constitué un facteur fondamental dans la musique depuis toujours, et l’on a fini par trouver différentes solutions pour les conjuguer. Par exemple, une solution consiste à établir un continuum entre des états discontinus et des états continus pour passer graduellement de l’un à l’autre, en utilisant un élément homogène unificateur (comme le rythme dans le cas de Stockhausen). Une autre solution est de superposer les deux états, de les déphaser constamment et de façon plus ou moins indéterminée, pour créer ainsi un intérêt et une tension constantes. Finalement, on peut simplement les séparer complètement, et avoir soit des processus continus, soit des processus discontinus [27]. Je donnerai des détails sur ce sujet dans la section suivante.

 

a) La polarité d’états musicaux et le continuum.

"Puisque les fonctions d’onde peuvent se chevaucher et s’entremêler, les systèmes quantiques peuvent ‘rentrer dedans’ l’un dans l’autre et former un rapport interne qui ne peut pas exister dans un système causal newtonien de boules de billard. Les systèmes quantiques ‘se rencontrent’, et à travers leur rencontres ils évoluent".

Danah Zohar, 1990.

La dualité d’états opposés, ainsi que les opérations que l’on applique dans leur jeu dialectique (comme leur superposition, ou la modulation continue de l’un à l’autre), ont été depuis toujours des facteurs intrinsèques de la musique en général. Cependant, dans la musique contemporaine de ce siècle, et surtout dans la musique postérieure à 1945, il y a eu une approche complètement différente par rapport à la polarité des différents états musicaux [28]; trois nouveaux éléments qui n’existaient pas auparavant vont intervenir pour rendre le jeu dialectique d’états opposés beaucoup plus complexe. Ces éléments ont été: le concept d’indéterminisme, celui de complémentarité, et celui du continuum.

 

a.1) Indéterminisme et complémentarité.

L’idée d’indéterminisme vient de la théorie quantique de Heisenberg [29], formulée dans le premier quart de ce siècle (voir premier chapitre). Avant cette théorie, la réalité pouvait être perçue grâce aux idées newtoniens de causalité; tout avait une explication et une cause; pourtant, un facteur d’imprécision est entré en jeu maintenant, ainsi qu’un certain degré de hasard. De plus, dans la physique quantique la notion chrétienne de lutte d’opposés (corps versus esprit) a disparu, car la théorie quantique a bénéficié du principe de complémentarité (Zohar, 1991), qui stipule que les qualités de particule et d’onde d’un élément sont complémentaires, et que seulement avec les deux qualités dans son ensemble on peut arriver à la description de cet élément [30].

À la fin de la première moitié de ce siècle, un facteur d’indéterminisme est intervenu pour enrichir le jeu d’opposés dans la musique. Pour donner un exemple, à la fin des années quarante, la technique de composition de John Cage consistait à définir la structure totale de l’œuvre avec des nombres qui représentaient des proportions; ces proportions étaient utilisées de manière rigide pour définir les sections de l’œuvre, mais dans une échelle plus petite, c’est-à-dire, au niveau des mesures et du rythme, le compositeur a bénéficié d’une certain liberté pour prendre ses décisions [31]:

"...le but d’une composition musicale est de mettre en jeu des éléments par nature paradoxaux,... des éléments de règles... avec des éléments de liberté,... ces deux groupes, ornés d’autres éléments (qui peuvent soutenir l’un des deux groupes d’éléments en opposition), le tout formant alors une entité organique" [32] (Cage, dans Kostelanetz, 1971).

Seulement trois années plus tard, Cage détermine encore la structure globale de sa composition music of changes au moyen des proportions [33]; pourtant, ici les événements rythmiques n’ont eu aucun lien avec les nombres de la séquence de base des proportions, car la structure du rythme a été composée par des événements hétérogènes issus des opérations de hasard [34]. Donc, ici le facteur d’indéterminisme a été encore plus important, mais l’équilibre entre les éléments de règles et les éléments de liberté a persisté. Toutefois, la pensée musicale de Cage allait très rapidement vers le hasard total, car il voulait effacer complètement son moi et laisser le son parler de lui-même [35]. Cage a pu ainsi se soustraire à la dialectique musicale, atteignant peut-être un autre type de complémentarité où il n’y a pas conflit entre les différents éléments sonores; ceux-ci existent isolés les uns des autres dans l’espace et dans le temps [36], et l’auditeur est chargé d’établir une connexion quantique entre eux [37].

À l’autre extrême de la pensé musicale de cette époque se trouvait Pierre Boulez, qui souhaitait avoir un contrôle total de tous les paramètres musicaux avec la technique sérielle. Malgré son attitude déterministe, où il y avait une absence totale de hasard, il ne s’est pas trouvé si loin des idées issues des théories quantiques, car il a critiqué le manque de cohérence entre l’organisation des fréquences et du rythme, ce qui l’a poussé a développer une technique sérielle totale où la même série devait être appliquée à tous les paramètres musicaux. Il a proposé alors une équivalence des douze durées de notes par rapport aux ratios des intervalles de la gamme chromatique [38]. Avec le temps, on a vu que cette équivalence n’était et ne pouvait pas être objective, ni d’un point de vue mathématique, ni d’un point de vue psychoacoustique; toutefois, ce qui nous intéresse ici est de montrer l’intérêt qu’ont manifesté Boulez et d’autres compositeurs [39] afin d’unifier les domaines de la durée et de la fréquence. D’autre part, même dans son sérialisme rigide, on peut trouver avec Boulez l’intérêt de créer un temps musical plus organique avec l’opposition d’éléments continus et d’éléments discontinus [40], et plus tard avec l’introduction d’un certain ‘degré de flexibilité’ [41].

La création de deux tendances extrêmes dans la musique contemporaine dans les années cinquante, par la main de Boulez (celle du déterminisme total), et par la main de Cage (celle de l’indéterminisme total) [42], a finalement bénéficié aux compositeurs qui se trouvaient entre les deux, et qui ont fait leur mélange personnel. Morton Feldman, par exemple, qui appartenait au groupe de Cage, a toujours été plus ou moins strict avec ses structures, mais il a habituellement laissé la détermination de certains paramètres au libre choix de l’interprète [43]; d’autre part, un compositeur comme Stockhausen qui appartenait au groupe de Boulez, s’est rapidement débarrassé des aspects rigides du sérialisme pour expérimenter avec le rapport entre le micro-son (timbre) et la macro-structure d’une œuvre (rythme, mélodie et harmonie) [44], ainsi qu’avec le facteur d’indéterminisme [45].

Mais il n’y a pas que ces deux tendances prépondérantes, il y a aussi un troisième type de compositeurs dont nous parlerons dans les prochaines sections, qui sont dans un certain sens plus proches des phénomènes sonores de la nature, et par conséquent de l’esthétique granulaire, car ils vont envisager l’utilisation de la notion de continuum pour effectuer l’évolution des amas, des agglomérats, et des masses sonores, composés par un grand nombre d’éléments non différentiés.

 

a.2) Le Continuum.

Continu (du latin, continuus): qui dure, qui agit, qui se fait ou qui s’étend sans interruption. S’applique aux choses qui ont un union réciproque.

"Dictionnaire de la langue Espagnole" [46].

La notion du continuum dans la physique quantique.

Dans le premier chapitre, j’ai parlé de la lutte historique entre la vision atomiste et la vision de la continuité de la matière. Au début de ce siècle, la physique quantique a découvert que la matière ne pouvait pas se diviser ad infinitum, et que dans le monde subatomique il y avait une quantité limitée de particules fondamentales, dont la combinaison produisait tous les processus existants dans la nature. D’autre part, Planck a vérifié que l’énergie émise par un corps chauffé se comportait de façon discontinue; pour mesurer l’intermittence résultant de la discontinuité de l’émission de l’énergie, il a trouvé la quantité minimale d’énergie possible qui a été nommée quantum d’énergie (voir premier chapitre). Toutefois, on a vu aussi que beaucoup d’entités subatomiques dans la matière (comme les électrons) ont une double nature, qu’elles se comportent comme ondes ou comme particules, mais qu’aucune de ces deux descriptions ne peut servir en elle même pour décrire leur comportement; il faut envisager la dualité onde-particule dans son ensemble pour pouvoir donner une explication des processus qui ont lieu dans le monde subatomique (Rae, 1986).

Le continuum est une notion qui n’a pas apparemment de place dans la vision quantique classique de la matière au niveau subatomique; or, dans le monde quotidien, on sait que si on lance une balle d’un point A vers un point B, la balle réalisera un parcours continu dans l’espace et dans le temps. A une échelle plus grande, on sait que la terre tourne de façon continue autour de son orbite, qu’elle voyage continuellement autour du soleil, que l’univers s’étend de manière graduelle et continue, etc. Bien entendu, la continuité parfaite n’existe pas [47], mais tous ces phénomènes témoignent de notre perception concrète de l’existence d’un continuum.

Je pense que la notion de continuum existe aussi dans le domaine du très petit. La dualité continu-discontinu est comparable à la dualité onde-particule. Le continu existe dans le monde subatomique, mais exprimé comme la complémentarité indissociable du discontinu, car une onde est continue, mais même si elle est parfaitement périodique, la création de cette onde se fait par une oscillation électromagnétique à caractère discontinue [48]. D’autre part, dans la physique quantique l’idée de discontinuité est intrinsèque, mais cette discontinuité est produite par des phénomènes intimement liés, car même avec des particules éparpillées dans l’espace il y a un principe unificateur qui les met en rapport, et donc, il y a un continuum [49].

La combinaison floue entre termes opposés peut aussi être trouvée dans la dualité physique matière-force. Dans la physique subatomique actuelle, on a étudié les particules constitutives du noyau de l’atome. Ces particules, (les protons et les neutrons) sont des éléments composés qui ont une masse déterminée; toutefois, les forces (incroyablement élevées) qui les tiennent ensemble sont créées par les hautes vitesses acquises par leurs parties. Puisque ces forces sont également constitués par de particules, la théorie de la relativité devrait être appliquée ici [50] (Capra, 1984):

"La distinction entre les particules constitutives du noyau et les particules qui créent les forces qui unifient devient floue, et l’approximation d’un objet arrangé des parties constitutifs s’effondre. Le monde des particules ne peut pas être décomposé en parties élémentaires" (Capra, 1984).

Enfin, il y a ici aussi un continuum qui lie deux états opposés, mais ce continuum existe dans la physique quantique en général à cause du principe de l’interconnexion d’éléments:

"..l’inséparable interconnexion quantique de tout l’univers est la réalité fondamentale (Bohm & Hiley, 1975) (voir pied de page 49).

Alors, ce continuum peut seulement exister dans l’unité.

 

Le continuum entre le continu et le discontinu dans la musique instrumentale.

"...ce qui obsède Xenakis, ce sont des "transformations graduelles" qui font passer subrepticement d’un état sonore à l’état contraire: par exemple le passage de la continuité (glissando) à la discontinuité (pizzicato), de l’immobilité au mouvement, ou encore d’un rythme régulier à un rythme aléatoire (de l’ordre au désordre)"

Durney, 1972.

Après cette introduction sur l’application de la notion du continuum dans le domaines micro et macro des phénomènes physiques, il faut aborder son influence dans le champ musical. Or, je dois pourtant souligner que la notion du continuum doit être contemplée à travers la dualité continu-discontinu.

Dans la musique contemporaine de la période qui va de 1950 à 1960, il y a eu un phénomène très particulier. Certains compositeurs ont découvert la notion de continuum et la possibilité subséquente de réaliser des transitions entre des états sonores continus et des états sonores discontinus, tandis que d’autres ont définitivement choisi de travailler sur l’un des deux extrêmes. La cause principale de ce phénomène (à tous ses niveaux) a été le besoin des compositeurs de se débarrasser de l’opposition contrastante entre les principes newtoniens de cause-effet, ainsi que des quadrillages du système de notation traditionnelle dans les domaines du temps et de la fréquence. Pour les compositeurs qui ont travaillé dans l’extrême de la discontinuité, on peut parler de la pièce Mode de valeurs et intensités, d’Olivier Messiaen (1949), qui a été la première œuvre à manipuler des paramètres non fréquentiels avec une technique analogue au sérialisme (un système de permutations) (Griffiths, 1981). Cette œuvre a influencé les compositeurs sérialistes tels que Boulez, grâce à la conception innovatrice de Messiaen du contrôle de tous les paramètres musicaux avec un même principe mathématique; cependant, du point de vue du résultat sonore, cette composition a eu aussi une grande répercussion sur des compositeurs tels que Stockhausen:

"...on écoute seulement des notes isolées qui pourraient exister presque seules, dans un mosaïque de son; elles existent au milieu d’autres, dans des configurations qui ne les transforment pas en composantes ou en formes qui se mélangent et se fusionnent de manière traditionnelle; elles sont plutôt de points qui existent pour eux mêmes et en liberté totale, formulés individuellement dans une isolation mutuelle considérable" (Stockhausen, dans Griffiths, 1981).

Pour Stockhausen, le Mode de valeurs de Messiaen est une musique des étoiles (macro-granulaire), à caractère pointilliste. Je suis certain que cette œuvre lui a donné aussi une impression de quelque chose d’éternel et de statique, car une discontinuité constante va donner l’impression d’un continuum d’équilibre stable. On pourrait dire la même chose des œuvres postérieurs de John Cage, où il a utilisé des opérations de hasard total. La non-connexion entre les sons crée une discontinuité constante, et il est curieux qu’il ait composé une œuvre (Atlas Eclipticalis) où il s’est servi de cartes d’étoiles pour déterminer les sons. Voici une musique aussi pointilliste, réalisée avec des moyens complètement différents, mais qui donne également une sensation de statisme et de continuum stable semblable à celui généré par l’œuvre de Messiaen.

À l’autre extrême, au début des années soixante des compositeurs ont travaillé avec le continu; c’est-à-dire, avec des éléments sonores tellement proches les uns des autres, que leur caractère individuel disparaît. Le résultat est un flux de la matière sonore qui coule et qui se transforme lentement [51]. Le changement lente et graduelle d’un état sonore à un autre représente un continuum, dans lequel on va introduire un nouvel élément, celui du processus [52]. Les compositeurs les plus importants qui ont travaillé avec les notions de continuité et de processus ont été György Ligeti, Giacinto Scelsi, Krzysztof Penderecki et Witold Lutoslawski. Toutefois, Iannis Xenakis a été le véritable innovateur du concept du continuum, car c’est lui qui a finalement éliminé le système de notation quadrillée de la musique occidentale (dans le domaine des fréquences et du temps), qui a développé la notion d’état massique sonore, et qui a imaginé la transition entre des états massiques de continuité et des états massiques de discontinuité.

En 1954, Iannis Xenakis avait déjà composé sa première œuvre importante, qui allait révolutionner beaucoup d’aspects musicaux extrêmement peu développés. La simple idée de créer une œuvre (Metastasis pour cordes, 1954) composée au moyen de processus dans le continuum des fréquences (c’est-à-dire, au moyen des glissandi) [53], a déjà constitué une forte réaction contre le sérialisme régnant basé sur l’ancien système quadrillé, et avec une notion musicale très lointaine de la réalité physique des processus sonores [54]. De plus, Xenakis ne s’est pas contenté de cet acte radical, car un an plus tard il a composé Pithoprakta (1955-56), pièce où il effectue des transitions entre des états continus (des amas de glissandi) et des états discontinus (des nuages de pizzicati), entre des états d’ordre et de désordre, des états denses et des états fluides [55]. En fait, la grande différence entre Xenakis et ses successeurs du début des années soixante, est qu’il a eu l’intuition et l’intelligence de réaliser des transitions, pas toujours lentes et graduelles, mais parfois brusques et drastiques; de plus, il a utilisé des processus statistiques semblables à ceux qui existent dans la nature pour déterminer le devenir des sons, facteur qui a donné à sa musique une qualité organique et élastique:

"L’évolution universelle d’une entropie minimale à une entropie maximale et... l’aspect esthétique du contrôle de la formation de nuages, ou de foules... peut être très régulière ou très irrégulière - la douceur ou la soudaineté avec lesquels l’on va de l’une à l’autre est un outil esthétique très puissant" (Xenakis, dans Varga, 1996).

L’idée d’introduire des opérations statistiques issues des comportements des phénomènes naturels dans la musique a permit le rapprochement entre musique et nature, c’est-à-dire, entre un art traditionnellement abstrait et des processus qu’on perçoit dans la vie réelle tels que le vol flexible et plastique des grandes bandes d’oiseaux. On verra dans la section suivante comment le concept de masse sonore est également issu de ces idées.

Il y a dans la musique une gamme assez riche de degrés de transition entre le continu et le discontinu, et qui peuvent être déployés sur différents paramètres musicaux. Par exemple, j’ai proposé dans ce travail la création de processus granulaires qui vont de la continuité fréquentielle (périodicité) à la discontinuité rythmique. Or, on pourrait aussi créer des processus entre des intervalles mélodiques continus (une série de deuxièmes mineures et majeures par exemple) et des intervalles discontinus, ou entre des harmonies chromatiques continues et des harmonies discontinues (où les voix individuelles changent de manière discontinue). On peut donner différents exemples dans la musique instrumentale de la deuxième moitié du XX siècle: Giacinto Scelsi a crée à la fin des années cinquante une œuvre pour orchestre très importante (Quattro pezzi per orchestra, 1959 ), où il a effectué des modulations chromatiques continues autour d’une seule note [56]. On trouve dans cette œuvre des transitions entre une note pure en fréquence et des clusters micro-tonaux autour de cette note, mais en outre, il y a parfois aussi des processus de répétition de la note à différentes vitesses qui vont de la périodicité régulière (fréquence) à la répétition irrégulière (rythme). Donc, ici la fréquence devient rythme et le rythme fréquence [57]. D’autres compositeurs comme Ligeti ont privilégié davantage l’aspect de la continuité. Dans ses premières œuvres, Ligeti a réalisé des processus toujours graduels [58]:

"There are specific predominant arrangements of intervals, which determine the course of the music and the development of the form. The complex polyphony of the individual parts is embodied in a harmonic-musical flow, in which the harmonies do not change suddenly, but merge into one another; one clearly discernible interval combination is gradually blurred, and from this cloudiness it is possible to discern a new interval combination taking shape" (Ligeti, dans Griffiths, 1981).

Nous ne sommes pas obligé d’avoir toujours une esthétique d’équilibre entre le continu et le discontinu, ainsi que des passages graduels entre un état et un autre; pourtant, la seule conscience de l’existence de ces deux états sonores a pu faire évoluer la musique contemporaine des années cinquante et soixante, même dans le cas des compositeurs qui ont décidé de travailler seulement avec l’un de ces deux états. De plus, le concept de continuité, développé par les compositeurs anti-sérialistes, a donné le coup de grâce à la vieille conception rigide de la musique qui envisageait seulement le discontinu (pause, événement, pause, événement, etc). Toutefois, je pense qu’un certain équilibre entre le continu et le discontinu devrait être toujours souhaitable pour ne pas arriver à des états de statisme, caractéristiques des musiques purement discontinues (le mode de valeurs de Messiaen et certaines œuvres de Cage par exemple) ou aux états de statisme des musiques purement continues (comme certaines œuvres de Ligeti, dont Atmosphères, et beaucoup d’autres de sa première époque) [59]. Dans ce sens-là, la musique de Xenakis présente un bon point d’équilibre, car ce compositeur a privilégié autant l’élément continu que l’élément discontinu, puisque il a mélangé ces deux éléments de manière assez organique.

Un des buts principaux de cet travail a été de trouver le moyen de faire converger les techniques de synthèse granulaire synchrones (domaine du continu) et les techniques de synthèse granulaire asynchrones (domaine du discontinu), et donc, d’envisager l’aspect duel quantique et complémentaire du son. Sur cette section on a vu qu’avant le développement de la synthèse granulaire il y a eu des efforts esthétiques dans la musique instrumentale pour retrouver un équilibré entre les états sonores de continuité et de discontinuité; on a vu aussi comment un des moyens (entre autres) de conjuguer ces deux états était à travers le principe du continuum. Les expériences menées dans la musique instrumentale dans les années cinquante et soixante vont constituer la base des conceptions ultérieures des différentes techniques de synthèse développées. Certaines de ces techniques vont privilégier le continu (synthèse additive, FM, etc), d’autres le discontinu (synthèse granulaire asynchrone, etc), et d’autres encore les deux états en même temps (la synthèse granulaire formantique par FOF par exemple). On verra au long de ce chapitre, comment dans chaque technique de synthèse granulaire on peut trouver des approches esthétiques analogues à l’esthétique issue des pièces instrumentales de la deuxième moitié de ce siècle qui ont été créées avec les notions de continuité et de discontinuité.

 

b) La masse, la densité et la texture.

"Sound masses seem to emerge out of the expansion of an idea - "the basis of an internal structure"- into the sonic space. The sense of projection of sound masses obviously depends on the source location of the emission as well as the independent movement of each sound-mass as opposed to the others. When such sound-masses collide, the interaction tends to bring about penetration, during which certain attributes of one sound mass are transferred to the other, thus causing transmutations to take place and changing the attributes of each sound-mass".

(Varèse dans Chow Wen-Chung, 1966).

 

b.1) Masse et densité.

"La masse aime la densité. Elle ne saurait jamais être assez dense. Rien ne doit s’interposer, rien ne doit y ouvrir un intervalle, il faut que tout soit autant que possible elle même".

Elias Canetti, 1966.

Edgar Varèse est le premier compositeur de ce siècle à avoir réfléchi sur la notion de la masse sonore, et le premier à s’être servi d’elle pour créer ses compositions [60]. Quand on entend Varèse parler sur les masses sonores, on ne peut pas s’empêcher d’imaginer des processus chimiques et subatomiques dans une grande échelle, comme c’est le cas, par exemple, des réactions furieuses qui ont lieu dans les étoiles et le soleil.

Pour créer une masse sonore, il faut imaginer des milliers d’éléments simples qui se combinent et qui ont un certain degré d’indépendance [61]. Or, Varèse s’est servi de la notion de masse en utilisant les conceptions de densité, d’intensité et de mouvement, mais en ayant toujours des éléments musicaux traditionnels de base tels que des lignes mélodiques linéaires. Alors, on pourrait dire que le vrai innovateur d’un travail sonore massique a été Iannis Xenakis, car il a utilisé des éléments (ou briques) de base complètement nouveaux et conçus spécialement pour ce type de composition. Xenakis a voulu se débarrasser tout à fait de toute conception musicale linéaire et déterministe. Au lieu de travailler avec des lignes mélodiques et polyphoniques, il a voulu privilégier un travail de composition avec des ensembles ou amas de sons et rompre ainsi avec l’esthétique de successions de sons isolés (des notes) caractéristique de la musique sérielle. Or, pour donner indépendance et flexibilité à chaque son, et pour créer des masses organiques non linéaires semblables aux phénomènes massiques dans la nature, la solution la plus simple a été d’utiliser des opérations statistiques capables de déterminer l’évolution globale d’une masse, et d’utiliser la notion de densité comme élément musical de base [62].

J’ai revu sur plusieurs chapitres de ce travail, les conceptions théoriques et esthétiques de Xenakis et son travail musical avec la notion granulaire. Or, on n’avai pas signalé ses premières compositions instrumentales, qui curieusement ont été à l’origine de sa théorie granulaire dans le domaine de la synthèse sonore. Xenakis utilise pour la première fois la conception massique du son dans sa composition Metastasis (pour orchestre de cordes, 1954), et il se sert des opérations statistiques issues d’un phénomène physique particulier: la théorie cinétique des gaz de Maxwell, qui donne la vitesse des molécules d’un gaz à une température fixe. Avec cette théorie, Xenakis a pu déterminer le devenir de 61 molécules de gaz pendant un temps donné, et il a traduit ces résultats en écrivant 61 différentes lignes de glissandi jouées par 61 instruments à corde (Figure 1). La raison principale de Xenakis pour utiliser une équation statistique a été d’économiser le travail d’écriture musicale [63], mais je pense que l’image métaphorique des molécules de gaz en mouvement a aussi influencé sa pensé musicale. Or, Xenakis a eu des expériences traumatiques lors d’une manifestation à Athènes pendant la deuxième guerre mondiale, où une foule de 100,000 personnes est entrée dans le chaos quand les tanks nazis ont commencé à faire feu. Les complexes événements sonores des cris de la foule et du chaos généré sont resté dans la mémoire de Xenakis, et selon lui, ces souvenirs ont sûrement généré la notion de masse dans sa composition Metastasis [64].

 

Figure 1.- Glissandi des cordes dans Metastasis, issus des opérations statistiques basées sur la théorie cinétique des gaz de Maxwell.

 

Immédiatement après avoir composé Metastasis, Xenakis a conçu une autre composition massique (Pithoprakta pour orchestre, 1955-56), mais cette fois avec l’intégration des états discontinus avec des amas de pizzicati. Cette discontinuité nous fait immédiatement penser aux sons granulaires. J’ai parlé de la naissance de la synthèse granulaire dans ce travail. La première technique développée a été celle de la synthèse granulaire asynchrone (AGS), précisément de la main de Xenakis. Pour lors, on peut trouver une approche esthétique analogue entre la AGS et les premières compositions instrumentales massiques de Xenakis.

Dans les années quatre-vingt, le compositeur Barry Truax a plaidé pour l’esthétique de la synthèse granulaire, avec l’argument que cette technique était plus proche des phénomènes sonores naturels. De plus, le mode de contrôle des grains se faisait à ce moment-là (et continue à se faire la plupart du temps) avec l’utilisation des opérations à caractère statistique. Donc, en un certain sens, la synthèse granulaire AGS a constitué une alternative pour ceux qui ont voulu composer avec des masses sonores, et qui n’ont pas eu la possibilité de travailler avec de grands orchestres.

D’autres compositeurs, successeurs de Xenakis, ont décidé également de travailler avec la notion de masse sonore comme une protestation contre le caractère toujours discontinu de la musique sérielle, mais ces compositeurs se différentient de Xenakis en ce qu’ils n’ont pas utilisé d’opérations statistiques. Seul Lutoslawski a décidé de donner un certain degré d’indéterminisme à l’écriture musicale au niveau local, pour donner ainsi une sensation élastique et organique dans le mouvement de la masse sonore. D’autre part, des compositeurs comme Ligeti ont décidé d’écrire toutes les notes d’une façon complètement déterministe [65]; toutefois, dans la musique massique de Ligeti, divers éléments musicaux (densités, amplitudes, micro-rythmes, micro-mélodies, attaques et accents, vibrato, multiphoniques, et effets instrumentaux) sont mélangés dans énormes tissus de lignes qui s’entremêlent, donnant comme résultat des évolutions sonores texturelles et complexes [66].

On pourrait dire que dans toute la musique instrumentale massique des années cinquante et soixante, les paramètres musicaux servent toujours le timbre (c’est-à-dire, des états sonores), de la même manière que ces paramètres ont servi à la structure harmonique ou mélodique dans d’autres esthétiques musicales (Alexander, 1991). Or, le timbre est pour moi l’élément central d’une esthétique quantique, car c’est un élément ambigu et paradoxal, composé par temps et fréquence. Aussi, le facteur d’indéterminisme joue un rôle fondamental dans le timbre; on sait par exemple que la quantité de souffle dans un instrument à vent comme la clarinette peut modifier complètement le son, et qu’il est impossible d’avoir un contrôle à 100% sur le résultat [67]. Pourtant, dans un niveau global on peut savoir le type de son qu’on aura comme résultat. Ce phénomène de timbre peut être élargi dans une masse sonore, où le mouvement élastique des éléments va toujours donner un résultat global prévisible, mais jamais identique.

 

b.2) La texture sonore.

Le travail avec la masse sonore a développé l’idée de texture sonore. Les compositeurs ont commencé à travailler comme alchimistes avec l’orchestre, et ils ont commencé à découvrir différentes qualités de la matière sonore. Ici, le facteur d’un certain degré d’indéterminisme mais aussi l’exploit des transitions entre différents états massiques, ont contribué à la création de régions claires et de régions chargées; la technique musicale tonale de tension-résolution a été donc transférée à d’autres paramètres musicaux [68]. On peut établir des ressemblances entre cette nouvelle technique et le développement postérieur de la synthèse granulaire presque synchrone (QSGS), où la variation entre le déclenchement de grains de manière continue et discontinue crée des régions d’un degré diffèrent de texture sonore. Or, Ligeti avait déjà expérimenté avec ce phénomène dans le champ instrumental avec ses compositions Continuum pour clavecin (1968), et Coulée pour orgue (1969). Dans Continuum, par exemple, il a travaillé avec des motifs mélodiques et rythmiques répétitifs, très rapides (la même durée de note est utilisée dans toute la composition pour les deux mains) et qui varient lentement (Figure 2). Or, ici il n’y a pas un mouvement discontinu, mais l’excessive rapidité du jeu produit de petites erreurs ou déphasages entre la synchronisation des deux mains, et ceci créé des effets de texture sonore qui varient constamment [69]. De plus, la vitesse du jeu (l’indication de tempo est Prestissimo) fait disparaître l’individualité de chaque note, le tout devenant alors un ensemble, une texture sonore qui existe dans un "continuum" [70]. Voici un phénomène aussi proche du paradoxe quantique entre la complémentarité de deux états opposés, car ici le continu devient discontinu en un certain sens. Ligeti parle de sa technique de la manière suivante:

"Un état sonore est représenté, non de façon lisse, mais dans une continuité de ‘grain-fin’, de manière que la musique soit perçue à travers un nombre de couches superposées" (Ligeti, 1983).

 

Figure 2.- Huit mesures de continuum pour clavecin, de György Ligeti.

 

Il y a, de nos jours, une diversité énorme de manières de travailler avec la texture sonore dans la musique instrumentale; malheureusement, je ne peux pas m’étendre sur ce sujet dans cette thèse. Le but de cette section a été de montrer comment la notion de texture sonore a été développée à partir d’un travail de composition relié à la masse sonore, ainsi comme qu’au nouveau facteur du continu et à l’établissement d’un continuum entre ce continu et le discontinu. Finalement, j’ai aussi essayé de montrer comment le travail avec la matière sonore dans la musique instrumentale des années cinquante et soixante a constitué la base esthétique du développement postérieur des techniques de synthèse, et notamment, de la synthèse granulaire [71].

 

II.- La composition électroacoustique au moyen des techniques granulaires.

"... Le compositeur n’est pas tant l’allié du physicien que le successeur de l’alchimiste, il sait que tout transformation du monde extérieur est aussi une transformation de l’esprit, et que provoquer l’une sans contrôler l’autre est une dangereuse imprudence...."

F.B. Mâche, 1972.

Tout au long de ce travail, l’étude approfondie des différentes techniques de synthèse granulaire a touché en permanence le sujet de l’esthétique musicale. Chaque technique de synthèse possède une esthétique définie; chacune possède des avantages et des limitations, et il faut être bien conscient de ceci. Or, j’ai proposé l’unification (peut-être utopique?) des différentes techniques de synthèse granulaire, pour arriver à une technique globale qui rende possible un travail de composition avec différents types d’esthétiques en même temps [72]. Malheureusement, pour l’instant le compositeur s’est contenté de travailler avec les différentes techniques granulaires de façon séparée, soit pour réaliser des compositions dans une esthétique définie, soit pour mélanger les différentes techniques et créer ainsi une composition avec une esthétique plus riche et plus contrastée.

Dans cette section, j’ai l’intention d’aborder quelques compositions électroacoustiques pionnières qui ont utilisé les techniques granulaires, mais je ferai surtout une analyse de mes compositions électroacoustiques dans lesquelles j’ai utilisé plusieurs techniques granulaires [73]. Mon but principal est d’exemplifier les différentes esthétiques musicales issues de différentes techniques granulaires, mais aussi de parler des diverses possibilités musicales et de la richesse du champ sonore granulaire qui couvre toute la gamme de possibilités de la synthèse en général [74].

 

1.- Commentaire sur certaines œuvres électroacoustiques pionnières qui ont utilisé la synthèse granulaire ou des sons de type granulaire effectués par d’autres moyens.

a) Les premières œuvres électroacoustiques de Iannis Xenakis.

En 1957, Xenakis commença à réaliser des expériences dans le GRM (Groupe de recherches musicales), le laboratoire de musique électroacoustique à Radio France dirigé par Pierre Schaeffer. Sa première œuvre réalisé dans ce studio a été Diamorphoses pour bande seule (1957) [75], œuvre dans laquelle il a développé ses préoccupations musicales concernant le continuum sonore et le travail avec la densité sonore. Le studio de Schaeffer était consacré au travail avec des sons concrets, tandis que l’utilisation de générateurs d’ondes sinusoïdales n’était pas bien vue. Or, Xenakis s’intéressait aussi bien aux sons sinusoïdaux qu’aux sons concrets denses, tels que diverses nuances de bruit blanc [76]. Dans Diamorphoses, on ne trouve pas de sons de type granulaire, mais on rencontre déjà le concept de densité et de masse sonore, développé aussi bien avec des sons continus (des glissandi sinusoïdaux aigus et des bruits avec une large bande de fréquence dans le registre grave) qu’avec des sons discontinus (des sons apparemment instrumentaux tels que de frappements de cordes avec un arc) qui pourraient cependant être considérés comme des sons macro-granulaires [77]. Enfin, toute l’esthétique instrumentale de Xenakis développée antérieurement dans Metastasis et Pithoprakta a été dans un certain sens utilisée dans cette œuvre électroacoustique.

Plus tard, en 1958, Xenakis réalise au GRM son œuvre pour bande seule, Concret PH, destinée à être jouée comme une espèce d’interlude de l’œuvre Poème électronique de Edgar Varèse, qui avait été créée pour le Pavillon Philips [78] à la foire Internationale de Bruxelles en 1958. Dans Concret PH, Xenakis a travaillé à nouveau avec les notions de continuité et de masse sonore, mais ici il a décidé de se centrer sur un phénomène sonore issu de la nature et très proche d’une esthétique granulaire; Xenakis a enregistré des crépitements de braises, dont il a extrait des sons très brefs, puis il les a rassemblés en très grandes quantités, faisant varier à chaque fois leur densité. Dans cette œuvre, Xenakis va encore rapprocher ses préoccupations instrumentales portant sur des "nuages sonores" de sa nouvelle esthétique électroacoustique [79], mais dans Concret PH, Xenakis va matérialiser pour la première fois des textures de type granulaire inexistantes autant dans le monde instrumental que dans la nature. Avec la réalisation de cette composition, Xenakis s’aperçoit peut-être pour la première fois du potentiel des sons à caractère granulaire, et je pense que cette expérience a été fondamentale pour la conception postérieure de sa théorie granulaire.

Les techniques électroacoustiques du laboratoire de Pierre Schaeffer n’ont pas été à la hauteur des idées musicales de Xenakis, qui avaient besoin d’un contrôle beaucoup plus précis du son au niveau de la particule sonore. D’autre part, le studio de musique électronique de Cologne offrait peut-être un contrôle plus précis du son au moyen de générateurs sinusoïdaux, mais cette musique était trop froide et d’un résultat pauvre au niveau du timbre [80]. Xenakis avait alors besoin de développer une technique de synthèse beaucoup plus puissante du point de vue du timbre, et avec un contrôle algorithmique au niveau de la particule sonore. Il savait que seul l’ordinateur pouvait lui donner la solution à son problème, mais à cette époque il ne disposait pas de moyens pour développer cette technique.

"J’étais d’accord avec l’idée que les ondes sinus ne pouvaient pas produire des résultats satisfaisants. En même temps, je voulais m’approprier du son d’une manière plus consciente et approfondie et de le créer moi-même. C’est pour cette raison que je m’intéressais aux ordinateurs. Je voulais produire des sons à l’aide des théories que j’avais appliqué auparavant dans le terrain de la musique instrumentale" (Xenakis, dans Varga, 1996).

En 1958, Xenakis a décidé de composer une pièce instrumentale pour orchestre de cordes (Analogique A), dans laquelle il a appliqué ses théories mathématiques stochastiques. Pour cette composition, il a décidé d’utiliser les chaînes de Markov (voir chapitre VI). Un an plus tard, Xenakis a décidé de composer une nouvelle pièce électroacoustique (Analogique B) en utilisant les mêmes techniques markoviennes, et conçue pour être jouée avec Analogique A.

Analogique B , pour bande à quatre canaux, a été composée en 1959 au studio GRM. Dans cette pièce, Xenakis a utilisé des processus stochastiques markoviens en partant des quanta sonores sinusoïdaux. Avec cette composition, Xenakis a appliqué pour la première fois sa théorie granulaire. Or, Xenakis n’avait pas le moyen d’utiliser un ordinateur pour générer les particules sonores, et pour cette raison, il a réalisé les grains à partir des sons sinusoïdaux enregistrés sur bande magnétique et dont la durée était constante (40 msecs). Par le mixage de tronçons de la bande sur elle-même, Xenakis a obtenu des densités variant géométriquement avec comme raison 1,2,3...suivant le nombre de pistes dont il disposait (Xenakis, 1972) [81]. Analogique B a été donc la première composition réalisée avec une technique granulaire, et elle a établit l’antécédent pour le développement postérieur de la synthèse granulaire par ordinateur.

Après Analogique B, Xenakis n’a plus réalisé de compositions électroacoustiques granulaires, mais il a continué son travail électroacoustique avec la masse et avec la texture sonore [82]. Pourtant, Xenakis a décidé de développer des techniques de synthèse par ordinateur capables de créer des sons autant dans le macro-domaine formel de la composition, que dans le micro-domaine du timbre. Par ailleurs, Xenakis avait eu de graves problèmes avec Pierre Schaeffer qui ne s’intéressait pas à ses idées esthétiques; il a dû partir du GRM et chercher d’autres moyens pour développer ses idées. Xenakis fonde alors le centre de recherche EMAMu (Équipe de Mathématique et Automatique Musicales) en 1966, qui deviendra le CEMAMu (Centre d’Études de Mathématique et Automatique Musicales) en 1972. Au CEMAMu, Xenakis a pu finalement développer un ordinateur capable de réaliser une composition électroacoustique dans le micro et le macro-domaine au même temps, mais cet ordinateur, nommé UPIC, ne s’est pas basé sur une vision granulaire discrète, mais plutôt sur l’aspect du continuum sonore, c’est-à-dire, sur l’idée des sons continus (créés à partir d’oscillateurs digitaux) qui effectuent des glissandi [83]. Au CEMAMu, Xenakis a développé une autre technique de synthèse par ordinateur, capable d’effectuer toute une composition de manière automatique (autant dans le micro-domaine que dans le macro-domaine) en partant seulement de quelques données algorithmiques. Cette technique, nommée synthèse dynamique stochastique [84], est basée sur un programme algorithmique qui dessinait la forme d’onde d’un son et la faisait évoluer ensuite constamment en introduisant des "variations polygonales" à l’aide de procédés probabilistes. La synthèse dynamique stochastique s’est également basée sur une conception de continuum, c’est-à-dire, sur la variation d’une onde sonore [85]. Or, pour une raison inconnue, Xenakis abandonne complètement sa conception granulaire discrète de la fin des années cinquante et du début des années soixante; toutefois, sa théorie granulaire restera à la base des techniques de synthèse granulaire postérieures. D’autre part, l’idée de Xenakis de conjuguer le micro-son avec le macro-son dans une même technique de synthèse, est encore aujourd’hui une proposition essentielle d’un point de vue esthétique, et compatible avec la vision quantique musicale que j’ai décrite au début de ce chapitre.

 

b) La composition électroacoustique avec des grains synthétiques.

Le compositeur Canadien Barry Truax, précurseur du développement de la synthèse granulaire en temps réel, a critiqué depuis les années quatre-vingt les différentes méthodes de synthèse basées sur des modèles instrumentaux qui ont établit une séparation entre son et structure. On peut donner comme exemple le langage informatique musical MUSIC V, qui était divisé en orchestre et partition, ou le système informatique musical MIDI, qui utilisait la notion de "note on note off" en opposition à l’emploi d’un instrument musical (l’instrument étant le synthétiseur) possédant la plupart du temps des timbres arbitraires (Truax, 1990a). Selon Truax, la seule possibilité d’évolution pour les techniques électroacoustiques est de supprimer l’esthétique instrumentale qui se sert du vieux concept de "la composition avec le son", pour incorporer alors une nouvelle esthétique globale capable de relier le son à la structure. Dans cette nouvelle esthétique, le concept de base serait la composition "à travers" le son.

Avec ses programmes informatiques POD et PODX (Truax, 1985), Truax a essayé de rapprocher le son de la structure pour bénéficier autant le niveau sonore micro comme le niveau sonore macro, et pour créer un processus de composition qui transite aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du son (Truax, 1990a). Or, ces idées ont trouvé leur véritable expression seulement quand Truax commença à travailler avec la synthèse granulaire en 1986.

Dans les divers chapitres de cette thèse, j’ai beaucoup parlé du potentiel d’une conception granulaire discrète, qui permettrait de créer des méthodes de synthèse capables de conjuguer le domaine micro du timbre avec le domaine macro de la forme musicale; donc, je ne vais pas approfondir ce sujet. Par contre, ce qui m’intéresse maintenant, c’est d’analyser l’application de ces idées dans l’esthétique musicale électroacoustique.

La vision micro-macro (son-structure) de Truax est très similaire à celle de Xenakis (Xenakis 1972, 1996). Truax n’a rien découvert dans ce sens-là, mais il a par contre développé de nouvelles idées musicales grâce à son travail informatique de développement des techniques de synthèse granulaire (voir deuxième chapitre), et grâce aussi à ses expériences concrètes dans le champ de la composition électroacoustique. Or, l’intérêt de Truax envers l’environnement sonore (Truax, 1984), ainsi que la capacité de la synthèse granulaire pour simuler ou pour exploiter des sons issus de la vie quotidienne, ont donné à sa musique une perspective très particulière et originale dont je parlerai tout à l’heure.

On a commenté plusieurs fois dans ce travail le rapprochement entre les techniques granulaires asynchrones et presque synchrones (AGS et QSGS), et certains phénomènes sonores dans la nature à caractère bruiteux. Même avec l’utilisation des grains synthétiques sinusoïdaux, on peut créer des sons complexes, alors que ceci serait très difficile avec certaines techniques comme la synthèse additive et la FM, qui sont plus appropriées pour le domaine spectral des fréquences pures. La première composition remarquable de Barry Truax où il a utilisé des grains synthétiques a été Riverrun (1986), où il a crée des processus sonores analogues au flux d’une rivière, sur la base de particules sonores possédant une forme d’onde simple:

"..malgré la simplicité des formes d’onde, les textures de la synthèse granulaire résultantes changent toujours de façon dynamique et ont une portée qui varie entre des essaims d’événements sonores relativement isolés et la fusion des masses sonores d’une grande complexité; ces textures dynamiques sont semblables aux sons de l’environnement tels que le bruit de l’eau. Le paradoxe fondamentale de la synthèse granulaire - qu’elle produit des textures sonores riches et complexes en partant de grains sonores simples et triviaux - m’a suggéré le rapport métaphorique avec une rivière dont le pouvoir repose sur l’accumulation d’une infinité de gouttes d’eau "insignifiantes" (Truax, 1990a).

Riverrun est sans doute une des meilleurs compositions faites à partir d’une technique de synthèse granulaire. Dans cette pièce, on peut apercevoir clairement l’intérêt de Truax pour la création d’un continuum sonore massique qui évolue dans le temps, et qui nous fait penser par exemple à la première musique massique instrumentale de Ligeti. Toutefois, ici Truax ne se contente pas du jeu entre différentes textures sonores, différents types de bruit blanc, et entre divers éléments morphologiques que l’on peut distinguer à l’intérieur de ces masses; Truax va aussi établir des processus et des juxtapositions entre des états sonores continus et des états sonores discontinus, entre des états sonores bruiteux et des états sonores spectraux [86]. Dans cette composition on retrouve donc un bon équilibre entre les différents états complémentaires du son (continu-discontinu, fréquence-bruit, etc) qui nous font penser à l’esthétique quantique musicale, dont j’ai parlé au début de ce chapitre.

 

c) La composition électroacoustique avec la granulation temporelle.

Le plus grand apport de Barry Truax au développement des techniques granulaires a été la création d’un système de "granulation temporelle" [87] (Truax, 1987, 1991, 1992b, 1993, 1994), technique de laquelle j’ai parlé dans le deuxième chapitre. Truax a découvert plusieurs phénomènes psychoacoustiques issus du changement temporel d’un son par granulation [88]. Par exemple, les changements microscopiques du timbre d’un son échappent facilement à notre écoute; or, la granulation temporelle de ce son a comme effet l’amplification de ces micro-variations du timbre [89]. D’autre part, le volume du son à partir duquel on réalise la granulation est augmenté à cause de la densité granulaire. Finalement, Truax a découvert aussi l’émergence des résonances momentanées à caractère souvent vocal qu’il appelle: inner voices (voix internes). Tous ces effets psychoacoustiques ont été exploités par Truax pour réaliser plusieurs compositions électroacoustiques.

Dans son travail de composition, Truax a souvent utilisé des sons issus de l’environnement sonore. Alors, même quand il les a manipulés à l’aide des techniques granulaires (ou par d’autres moyens), il a toujours été préoccupé par le problème du contexte, et par toutes les caractéristiques méta-musicales de ces sons (telles que leur symbolisme) qui nous mettent irrémédiablement en rapport avec notre paysage sonore (soundscape) [90]. Pour Truax, utiliser des sons de la vie réelle et composer avec eux pourrait devenir un acte abstrait et squizo-phonique [91], et pour cette raison, il s’intéresse à la composition "à travers" le son, qui permet d’aller de l’abstraction du timbre au contexte originel duquel le son a été extrait. Ainsi, il propose par exemple la réalisation de transitions entre un son étiré dans le temps (par granulation), et ce même son dans son état d’origine. D’autre part, il est conscient des transformations du timbre occasionnées par la granulation temporelle et il les exploite de manière métaphorique. Par exemple, dans le premier mouvement de sa composition Pacific (1990), la granulation d’un son des vagues de l’océan produit des voix internes qu’il renforce par filtrage; ces voix presque humaines qui émergent de l’eau de la mer symbolisent pour lui une descente à l’inconscient collectif [92] (Truax, 1991).

L’utilisation du symbolisme des sons et des métaphores issues des transformations sonores au moyen des outils informatiques est fort intéressante (Wishart, 1985. Rocha Iturbide, 1992, 1995a, 1995b), mais il ne faut pas devenir extrémiste; certains compositeurs ont utilisé des sons issus de l’environnement sonore et ont réalisé des abstractions sonores complètement hors de contexte, et cependant, le résultat a été musical. Or, ces compositeurs sont devenus aussi extrémistes [93] quand ils ont voulu interdire l’utilisation méta-musicale [94] du symbolisme sonore (Rocha Iturbide, 1991). À mon avis, il est plus intéressant de profiter du continuum entre le son abstrait hors de contexte et le son dans son état d’origine, mais ceci constitue mon choix esthétique personnel.

La granulation temporelle [95] permet la création de compositions entières à partir de quelques millièmes de seconde d’un échantillon seulement. Ceci est le cas de la composition The Wings of Nike (1987) pour bande magnétique, où Truax a utilisé uniquement deux phonèmes de 150 msecs chacun (l’un masculin et l’autre féminin). Cette faculté, plus tous les effets psychoacoustiques offerts par la granulation temporelle, nous offrent de riches possibilités sonores avec des moyens informatiques de composition assez simples. Or, un grand problème de la granulation temporelle [96] pourrait être la complaisance du compositeur pour découvrir les caractéristiques internes d’un son au moyen de processus lents. Ceci donne irrémédiablement une forme musicale monolithique. Donc, le fait de rapprocher le son et la structure comporte des risques. Quand on compose "à travers le son", il faut faire attention de ne pas s’esclaviser vis-à-vis du son, et de le déployer dans le temps pour le libérer d’accord avec ses souhaits. Je crois qu’il faut aussi soumettre le son et le façonner à notre manière, en lui donnant parfois des caractéristiques contradictoires ou éloignées de son essence (Rocha Iturbide, 1995a); or, selon moi, il doit y avoir une interaction entre la composition "avec" le son et la composition "à travers" le son [97] pour arriver à un équilibre convenable; toutefois, la granulation temporelle aura irrémédiablement la caractéristique de créer des processus massiques sonores assez lents. Une des solutions esthétiques musicales pour résoudre ce problème est l’utilisation de ce type de processus dans une partie d’un mouvement musical seulement (comme un état sonore transitoire); une autre est la juxtaposition du continuum granulaire temporel avec des états sonores discontinus, mais ici, le continuum peut devenir une toile de fond, et ceci risque de produire un manque d’intégration entre les deux éléments contrastants: le continu et le discontinu.

 

d) Remarques.

La granulation temporelle d’un son alimenté à l’entrée (c’est-à-dire, le système de Truax) est une technique puissante et riche, de la même manière que la synthèse granulaire asynchrone qui utilise des grains synthétiques, ou que la granulation temporelle asynchrone qui utilise plusieurs échantillons. Or, pour créer une composition électroacoustique complexe, variée et contrastée, il ne faut pas se restreindre à l’utilisation d’une seule technique granulaire; il faut plutôt utiliser plusieurs techniques granulaires et d’autres techniques de synthèse (s’il est nécessaire), et puis combiner les résultats dans le mixage de la composition; ou alors, il faut concevoir une technique granulaire nouvelle capable de conjuguer tous les différents états sonores possibles (Eckel et Rocha Iturbide, 1995).

Des compositeurs tels que Xenakis et Truax ont fait des expériences avec les techniques granulaires traditionnelles [98], qui se sont peut-être excessivement concentrées sur les concepts de masse et de texture sonore. Ces compositeurs ont certainement crée des transitions entre différents états sonores, et ils ont établi un pont entre le micro-son et la macro-forme, mais ils ont laissé un peu de côté les états sonores spectraux, harmoniques, et mélodiques, des états où l’aspect fréquentiel joue un rôle fondamental. Or, tout compositeur est libre de choisir les aspects sonores qui conviennent le plus à son esthétique musicale, et on n’est pas forcé d’inclure tous les aspects sonores dans une même composition. Les compositeurs en général ont développé souvent des aspects non fréquentiels dans la musique électroacoustique, car les qualités bruiteuses du son sont ici plus reproductibles que dans la musique instrumentale; pourtant, l’harmonie et la mélodie constituent aussi des éléments importants qui ont été exploités dans la musique électroacoustique; or, il paraît que les méthodes granulaires qui ne contemplent pas l’analyse n’ont jamais été adaptées pour le développement de ces éléments [99].

Au long de ce travail, j’ai proposé la globalisation des techniques granulaires (avec l’inclusion des techniques d’analyse synthèse) dans un même programme de synthèse. Une des solutions que j’ai proposées - mais qui ne comporte pas l’aspect de l’analyse - a été le développement du logiciel de synthèse granulaire formantique GiST (Eckel et Rocha Iturbide, 1995) (voir quatrième chapitre), mais même ici, je n’ai pas eu le temps de développer de façon adéquate le contrôle de l’aspect harmonique et mélodique [100]. Mon idée d’une technique de synthèse globale a été à l’origine de mes besoins esthétiques comme compositeur, c’est-à-dire, d’une nécessité de combiner tous les états sonores possibles, en privilégiant parfois les uns, ou en privilégiant parfois les autres [101]. Cependant, mes expériences personnelles avec les techniques granulaires qui ne contemplent pas l’analyse ont aussi souffert d’une absence d’états sonores spectraux, harmoniques et mélodiques, absence que l’on trouve dans la plus grande partie de la musique granulaire traditionnelle réalisée par d’autres compositeurs [102]. Par conséquent, est-il possible que le développement de l’aspect spectral soit seulement faisable avec des techniques granulaires d’analyse-synthèse; ou peut-il se faire avec d’autres techniques de synthèse?. Ou bien, y a-t-il véritablement une possibilité d’établir des ponts entre l’aspect fréquentiel et l’aspect bruiteux du son, au moyen d’une technique globale à caractère quantique?.

Dans la dernière partie de ce chapitre je vais décrire mes expériences personnelles avec la composition au moyen des techniques granulaires. Je peux maintenant me rendre compte que mes idées théoriques développées sur cette thèse ont beaucoup dépassé mes expériences comme compositeur; malheureusement, la recherche et le développement pratique de nouvelles techniques plus adaptées à nos besoins prennent beaucoup de temps. Donc, pour pouvoir réussir la création d’une méthode de composition électroacoustique-informatique globale, il faut forcément s’associer avec des ingénieurs pour conformer un équipe capable de combiner esthétique musicale et technique acoustique-informatique. Pourtant, j’ai eu certaines expériences pratiques qui ont rejoint quelques-unes de mes idées esthétiques "quantiques" développées dans cette thèse, grâce à mon travail avec le logiciel GiST [103]; malheureusement, je n’ai pas eu l’occasion de réaliser une composition avec ce logiciel, mais seulement des exemples sonores (voir cinquième chapitre).

Il reste maintenant à traiter les divers aspects esthétiques issus de mes compositions, où j’ai utilisé certaines techniques granulaires. Ces compositions ont été créées bien avant la conformation finale de mes idées techniques et esthétiques développées dans ce travail; j’ai contemplé donc, pour la conformation de ces compositions, seulement certains aspects de mes idées théoriques. Cependant, j’espère pouvoir appliquer plus tard une esthétique globale quantique à mes compositions électroacoustiques, en utilisant un logiciel capable de rassembler les différentes états sonores possibles, aussi bien dans le micro-domaine que dans le macro-domaine.

 

2.- Développement d’une conception quantique pour ma composition électroacoustique.

a) Antécédents.

Après avoir achevé mes études de composition à l’École Nationale de musique de l’Université de Mexico, j’ai décidé de faire une maîtrise à l’université de Mills College aux États Unis. Là, j’ai découvert la musique électroacoustique, et j’ai finalement pu développer un langage musical personnel. D’autre part, pendant cette période (1989-91), j’ai découvert la musique de certains compositeurs tels que György Ligeti et Giacinto Scelsi, qui a eu une influence importante sur mon travail. Or, j’ai développé dans ma composition des idées associés avec les notions de processus, texture, masse et densité, statisme, intégration et désintégration, simultanéité et synchronisme [104], etc, pas seulement au moyen d’un langage instrumental pur, mais aussi dans le domaine électroacoustique (autant dans la mixité instruments-électronique, que dans la musique pour bande seule). La raison principale de ceci a été le fait que la manipulation des sons à l’aide de la technologie analogique (studio multi-pistes) et de l’ordinateur, m’a permis de façonner le son et de découvrir les différentes qualités du timbre.

Au niveau de la structure et de la forme musicale, j’ai commencé à développer des idées concernant le lien entre le domaine micro (timbre) et le domaine macro (rythme, mélodie, harmonie). Pour donner un exemple, en 1990 j’ai composé ma pièce pour bande seule ATL, réalisée à partir de la manipulation d’un échantillon d’un ruisseau (sept secondes de durée). Dans cette composition, j’ai créé plusieurs sons à partir du son du ruisseau, et je les ai déployés dans le temps en créant ainsi la structure totale de la pièce (Rocha Iturbide, 1995). Plus tard, en découvrant la théorie du Chaos je me suis aperçu que ma composition ATL avait des caractéristiques fractales, car le travail sur le timbre d’un même échantillon a fait ressortir, par exemple, des éléments micro-rythmiques qui ont été disposés sur différentes échelles temporelles [105] (Rocha Iturbide, 1995).

Ma connaissance de la théorie quantique du son et de la synthèse granulaire est venue plus tard [106]. En 1992 j’ai lu un article de Barry Truax sur la synthèse granulaire; je me suis alors aperçu que dans certaines de mes compositions électroacoustiques réalisées aux États-Unis, j’avais déjà développé des idées en rapport avec une esthétique granulaire. Dans ma composition Bandas de Pueblo, pour quintette à vent, percussion et bande (1991), j’ai créé un processus entre un état de désintégration et un état d’intégration en partant de la manipulation d’échantillons de fanfares mexicaines. J’ai commencé par désintégrer complètement les sons des fanfares au moyen de l’extraction de petits sons d’une durée de 30 millièmes de seconde. Puis j’ai effectué un processus avec ces petits sons [107] (en utilisant de longs délais entre eux), qui peu à peu sont devenus plus longs. En même temps, j’ai raccourci les délais entre les sons, jusqu’à obtenir des sons d’une seconde de durée qui ont été joués de manière complètement continue. Or, je réalisais là un processus granulaire entre le discontinu et le continu, et j’établissais une connexion entre le micro-grain et le macro-son; pourtant, je n’avais à ce moment-là aucune notion quantique de ces phénomènes. Toutefois, j’étais conscient des caractéristiques acoustiques de ces petits sons, que j’ai décrit dans mon mémoire de maîtrise comme "bruiteux et sans fréquence" (Rocha Iturbide, 1991). L’intégration totale dans Bandas de Pueblo est atteint à la fin, au moment où l’on entend les fanfares mexicaines dans leur état d’origine [108].

Dans mon travail de composition aux États-Unis, j’ai beaucoup développé les notions de masse, de texture et de densité. Mes expériences électroacoustiques m’ont alors permis de découvrir différents aspects de la perception psychoacoustique issue des processus sonores associés avec ces idées. Dans ma composition Avidya par exemple, j’ai crée un continuum avec le mixage de l’émission de toutes les stations radio AM et FM, en commençant par une seule station et en finissant avec une centaine de stations radio (Figure 3). Plusieurs expériences psychoacoustiques ont surgi de ce processus dans lequel la diversité d’information sonore des stations a créé une série de textures sonores se transformant peu à peu en une grande masse sonore de bruit couvrant une grande largeur de bande [109]. Une de ces expériences a été très proche des phénomènes sonores granulaires:

"Dans Avidya il y a un processus sur la destruction graduelle de l’information sonore de chaque station radio; dans cette destruction on peut entendre de petits fragments déchirés. Cet effet est analogue à une mosaïque pompéienne cassée en mille morceaux, et où l’on découvre une nouvelle peinture abstraite issue du réarrangement de la mosaïque brisée" (Rocha Iturbide, 1991).

 

Figure 3.- Diagramme structurel de Avidya, pour bande seule.

 

En analysant ma musique et mes idées de la période de Mills College (1989-91), je peux maintenant m’apercevoir que j’avais déjà des idées proches des principes quantiques, même si je n’en avais pas à l’époque des notions claires. Dans mon mémoire de maîtrise "Contemplation and Action", j’ai écrit, au sujet des états sonores continus et discontinus sur ma composition Frost Clear (pour frigidaire, contrebasse et bande, 1991):

"Dans Frost Clear, il y a des états sonores continus et des états sonores discontinus issus de la même source sonore. Il me plaît beaucoup d’aller d’un pôle à l’autre, de l’unité à la multiplicité, de l’intégration à la désintégration, de la continuité à la discontinuité, de la construction à la déconstruction" (Rocha Iturbide, 1991).

On peut voir que le principe de complémentarité quantique était déjà présent sur cette composition. À partir du son d’un frigidaire - un son à caractère continu -, j’ai créé des sons discrets discontinus avec lesquels j’ai construit des motifs mélodiques que j’ai juxtaposés à un continuum spectral statique également issue du son du frigidaire.

À part mon travail avec les notions de continuité et de discontinuité, et avec le concept du continuum qui unit ces deux états complémentaires du son, ma connaissance approfondie de l’œuvre et des idées de John Cage m’a beaucoup fait réfléchir sur la connexion des sons dans un état de hasard total. D’autre part, j’ai découvert à l’époque un essai de Carl Jung sur le phénomène de la synchronie (Jung, 1988), où j’ai trouvé des idées éclaircissantes sur le lien d’événements dans notre inconscient. Ces idées m’ont fait comprendre la nature du processus de la composition musicale:

"Pour Carl Jung, les événements synchroniques ne doivent pas avoir lieu forcément dans un même instant; notre esprit est capable d’établir le lien entre deux événements dans un espace relatif de temps, et de cette manière, il est capable de comprendre le rapport qu’il y a entre les choses. Alors, la théorie de Jung est basée sur le rapport entre différents événements dans notre esprit inconscient, et le processus de composition est dans un certain sens très proche de ce phénomène. Même quand on compose quelque chose sans savoir comment seront les rapports internes des éléments dans la structure finale, il y a des liens qui se font dans notre inconscient, et ces liens n’existent pas dans le domaine du hasard, mais dans le domaine de la synchronie. Si on découvre ces connexions plus tard, on peut les souligner et les faire sortir du "chaos" et donner ainsi à la composition une logique issue de notre esprit inconscient" (Rocha Iturbide, 1991).

Il est très intéressant de voir comment ces idées sont compatibles avec la théorie de l’interconnexion d’éléments dans la physique quantique (que j’ai pourtant découverte beaucoup plus tard). Or, la musique du hasard total de Cage se trouve dans le pôle opposé de la synchronie [110], mais il y a un rapport entre hasard et synchronie, c’est-à-dire que dans la musique aléatoire de Cage, l’auditeur est le responsable d’établir le lien synchronique entre les sons. Il y a parfois des musiques qui se trouvent entre le hasard et la synchronie; dans ce cas, le compositeur, l’instrumentiste, et l’auditeur, ont un rôle de participation actif et organique qui va produire une œuvre de caractère ouvert. Cette œuvre aura une structure élastique, mais avec certains traits fixes qui lui donneront un certain cachet.

Le concept d’œuvre ouverte s’adapte très bien à une vision quantique musicale, mais ce sujet n’a pas de place dans cette section, car je n’ai pas développé une esthétique ouverte dans ma composition électroacoustique. Toutefois, dans mon travail sonore dans les arts plastiques j’ai créé des œuvres conçues pour des espaces où le public circule; là, j’ai dû imaginer des structures ouvertes et parfois interactives qui donnent toujours une même sensation auditive. Je parlerai de ces œuvres à la fin de ce chapitre.

 

b) Analyse des pièces électroacoustiques où j’ai utilisé la synthèse granulaire.

b.1) Transiciones de Fase.

En 1992 j’ai eu l’occasion de suivre le cursus de composition et d’informatique musicale à l’IRCAM (L’institut de recherche et de coordination acoustique musique à Paris), un centre de recherche et de création musicale où se sont beaucoup développées les techniques d’analyse-synthèse telles que le Super Vocodeur de Phase (Depalle, P. & Poirot, G. 1991), et d’autres techniques de synthèse telles que la synthèse par fonction d’onde formantique qui utilise des FOF (grains avec une fonction d’onde formantique) (Rodet, 1980). Or, les chercheurs à l’IRCAM n’étaient pas trop intéressés par les techniques granulaires traditionnelles, puisqu’elles ne contemplaient pas l’analyse des signaux sonores.

Le travail avec les techniques d’analyse-synthèse et avec la synthèse formantique m’a permis d’approfondir ma connaissance du timbre dans le domaine spectral. À l’IRCAM, j’ai découvert que l’ordinateur est un outil incroyablement précis et puissant; cependant, dans ce centre on n’avait développé aucune technique de synthèse capable de créer des masses sonores riches et complexes. Je voulais continuer mon travail sur l’aspect fréquentiel du son, mais j’avais également besoin de trouver de nouvelles techniques qui me permettraient de créer des sons plus organiques et proches des phénomènes sonores de la nature. Or, j'ai eu la chance de rencontrer Curtis Roads, un compositeur et chercheur américain qui réalisait un travail dans le département de la documentation de l’IRCAM. Comme je l’ai déjà dit, Roads a été un des pionniers du développement des techniques granulaires asynchrones, mais aussi des aspects théoriques de la synthèse granulaire en général. Grâce à Roads, j’ai pu travailler avec des orchestres de Csound (Vercoe, 1986) qu’il avait conçus, et développer moi-même un contrôle des grains au moyen d’algorithmes chaotiques et stochastiques, avec le logiciel Patchwork (Laurson, Rueda, Duthen, 1993) [111]. J’ai fait alors plusieurs expériences avec des grains synthétiques et avec la granulation de plusieurs fichiers sonores gardés dans la mémoire, [112] et j’ai obtenu des résultats très intéressants (voir deuxième chapitre).

Au cours de cette période d’études à l’IRCAM (1992-1993), le projet final était la réalisation d’une composition électroacoustique mixte à l’aide de différentes techniques informatiques. Or, à cette époque-là, j’avait découvert la théorie du Chaos, qui étudie et qui explique la complexité du comportement de divers phénomènes dans la nature. Cette théorie m’a alors inspiré, et j’ai réalisé une composition interactive pour quatuor de cuivres (Trompette, Cor, Trombone, Tuba) et ordinateur. Le titre de cette composition: Transiciones de Fase (Transitions de Phase), se réfère au phénomène chaotique qui a lieu quand on fait passer un état solide à l’état liquide [113] avec l’augmentation d’énergie:

"Quand un solide est réchauffé, ses molécules vibrent à cause de l’augmentation d’énergie. Elles poussent à l’extérieur contre leurs liens et forcent la substance à se dilater. Avec plus d’énergie il y aura plus de dilatation; pourtant, à une certain degré de température et de pression, le changement devient brusque et discontinu" (Gleick, 1987).

En imaginant des analogies entre des processus physiques chaotiques et des phénomènes sonores musicaux, dans Transiciones de Fase j’ai voulu faire une recherche sonore sur des sons d'instruments de cuivre, et représenter dans la composition les différents états matériels de ces sons tel qu'un élément naturel comme de l'eau peut se trouver à l’état gazeux, liquide ou de congélation. Les transitions d’un état à l'autre dans la pièce constituent une métaphore des processus chaotiques où l'on va de la régularité à l’irrégularité, de la certitude à l'incertitude, de la stabilité à l'instabilité, de l’ordre au désordre. Les théories du chaos m'ont aussi inspiré pour créer la structure totale de la pièce qui est une sorte de fractalisation du ratio 3:2 représentée par la durée des sections, des phrases, de cellules rythmiques, etc. Le matériel mélodique, par contre, m'était suggéré par l'analyse spectrale des slaps de Tuba et Trombone [114].

Mes idées musicales développées dans Transiciones de Fase (issues de la théorie du chaos ) sont compatibles avec certains principes quantiques. Par exemple, les transitions de phase abruptes et discontinues entre les différents états sonores de la pièce sont curieusement analogues au phénomène des bonds quantiques discrets des électrons dans le monde subatomique de la matière. D’autre part, l’idée de conjuguer et de juxtaposer des états musicaux opposés au moyen d’un continuum, ainsi que l’idée de créer une structure globale fractale unissant la micro-structure du son (le timbre) avec la macro-structure de la pièce (tantôt au niveau fréquentiel: timbre = mélodie et harmonie [115], tantôt au niveau temporel: le ratio 3:2 appliqué à toute la gamme des durées) [116], sont des idées aussi analogues à certaines notions quantiques comme celui-là de la complémentarité (Figure 4).

 

 

Figure 4.- Plan structurel de Transiciones de Fase. Dans cette composition le micro-domaine est connecté avec le macro-domaine.

 

Dans Transiciones de Fase j’ai utilisé la synthèse granulaire dans seulement une des cinq sections de la pièce. Cette section (l’avant-dernière) constitue le climax de la composition, et c’est le seul endroit où la partie électronique joue toute seule. Mon idée principale était de créer un état sonore massique à partir des attaques des instruments à cuivre, et la seule façon de le faire (ou la plus simple), à été en créant plusieurs nuages granulaires asynchrones que j’ai ensuite mixés. Or, le plan formel des évolutions des nuages a été dessiné depuis le début, selon un processus très particulier que je voulais effectuer entre les sons instrumentaux et les sons granulaires. Ce processus commence à la fin de la troisième section, qui constitue la partie la plus chaotique et la plus complexe de la pièce. De ce chaos (ou ordre complexe) où les quatre instruments de cuivre jouent plusieurs intervalles et plusieurs rythmes, ils commencent alors à converger sur une même note. De cette note, qui est jouée avec des rythmes à caractère stochastique et ponctuels (et avec des attaques courtes), émerge une note de synthèse (ou macro-grain) avec la même fréquence et qui joue de façon semblable; ensuite, les instruments commencent à disparaître en faisant des bruits de souffle combiné avec des slaps, et les attaques synthétiques macro-granulaires commencent alors à devenir plus continues et denses. Alors, d’autres nuages granulaires avec des grains plus courts commencent à entrer en jeu, et ils deviennent peu à peu plus denses, tandis que leurs grains deviennent plus courts à chaque fois; en même temps, les grains des différents nuages vont monter peu à peu en fréquence [117] jusqu’à atteindre le point culminant.

Une des caractéristiques intéressantes de ce macro-processus granulaire [118] (Figure 5) est que sa texture est très contrastée. La raison est que certains sons granulaires ont été créés à partir de la convolution entre des nuages granulaires (conformés par de grains synthétiques) et différents sons cuivrés (attaque normale, souffle dans l’instrument, etc). Ces sons sont parfois "aquatiques", et parfois ils deviennent presque du bruit blanc [119]. Or, les autres nuages granulaires ont été créés à partir des attaques de sons cuivrés effectués par les différents instruments, mais chaque nuage a eu comme source sonore un seul échantillon dont le spectre a été transposé plusieurs fois vers l’aigu au moyen d’un algorithme de pitch shifting [120]. À partir des échantillons résultants, j’ai pu alors effectuer des processus granulaires vers le haut pour ensuite les faire descendre [121]. Il faut tenir compte que ceci ne constitue pas la même chose qu’effectuer la transposition d’un son vers l’aigu en modifiant son taux d’échantillonnage. Métaphoriquement, la transposition spectrale du processus global que j’ai réalisée est analogue à la variation des partiels dans la technique du chant mongolien, où le mouvement de la bouche réalise un filtrage formantique en accentuant les harmoniques aigus ou les harmoniques graves. Pourtant, dans le processus de transposition par pitch shifting, on modifie toutes les fréquences et on altère le spectre du son d’origine en le rendant inharmonique.

 

Figure 5.- Plan structurel pour la création du macro-processus granulaire de la quatrième section de Transiciones de Fase.

 

Pour en finir avec la description de ce macro-processus granulaire, une fois que la transposition spectrale des grains descend vers le bas, alors les instruments entrent encore avec le bruit du souffle et les slaps, et finalement avec des attaques qui commencent à devenir plus claires et fortes [122] et qui se transforment peu à peu en cellules rythmiques compactes (mais toujours séparées par des espaces de silence). Pourtant, il y a un moment où ces motifs rythmiques sont enregistrés par l’ordinateur et puis joués et répétés dans différents haut-parleurs et avec différents délais, créant ainsi une espèce de nuage instrumental conformé par des petites cellules rythmiques-mélodiques (et non par des notes isolés). Ce nuage devient chaque fois moins dense, jusqu’à la fin de la pièce.

Dans l’enchaînement du macro-processus granulaire synthétique avec le "nuage" instrumental de la dernière section, on peut voir que le micro-grain synthétique devient macro-grain instrumental. De cette manière, j’ai pu établir un pont entre l’électronique et l’instrumental, car une esthétique quantique de la complémentarité ne peut se limiter à exister dans un seul domaine (l’électronique ou l’instrumental); il faut qu’elle établisse des ponts entre deux champs aussi différents.

Transiciones de Fase est une pièce intégrale, dont tous les aspects sont cohérents; elle est organique, basée sur les théories du Chaos, et je m’aperçois maintenant qu’elle est également quantique. Cette pièce est une fondation importante pour ma musique actuelle et future, car le dialogue entre électronique et instruments, ainsi que le dialogue entre une grande diversité d’états sonores opposés mais complémentaires, a constitué mon premier exercice quantique intuitif [123]. Or, mes prochaines compositions électroacoustiques mixtes n’auront pas une ressemblance formelle avec celui-ci, car l’ordre dans le temps de tous ces éléments, leur juxtaposition, leur superposition, ou leur union, auront toujours des caractéristiques différentes. De plus, il y a d’autres idées dans la théorie quantique que je n’ai pas développé ici. J’espère pouvoir m’en servir dans mes prochaines compositions.

 

b.2) SL-9.

Après avoir fini le cursus de composition et d’informatique musicale à l’IRCAM, j’ai commencé à travailler sur mon doctorat. Un des buts de mes premières recherches a été celui de me familiariser avec les différentes techniques de synthèse granulaire [124]. En août 1993, j’avait rencontré Barry Truax à la conférence internationale d’écologie acoustique [125], qui a eu lieu à Banff, Canada. Je lui avait manifesté mon intérêt de travailler avec son système de synthèse granulaire qui était localisé à l’université de Simon Fraser (SFU) à Vancouver; Truax m’a alors invité à réaliser une composition dans le studio électroacoustique de SFU pendant l’été de 1994; là, j’ai pu travailler avec différents programmes de synthèse granulaire qu’il avait développés (voir deuxième chapitre), et en même temps, réaliser une composition pour bande que j’ai nommée SL-9.

L’idée de départ de SL-9 a été celle de créer une composition complètement granulaire à partir de sons issus de l’environnement sonore. Sl-9 est le nom de la comète qui s’est écrasée contre Jupiter en 1994. Dans cette pièce, j’ai utilisé les programmes de granulation temporelle de Truax basés sur le système de traitement du signal DSP DMX-1000 (qui est contrôlé par un système informatique PDP Micro 11). Les échantillons utilisés pour la granulation temporelle sont issus des sons de crépitement de braises, de gouttes d’eau et de l’océan. La structure de la pièce s’est basée sur l’idée programmatique suivante: l’origine de la vie dans une planète peut être causée par l’écrasement d’une comète sur sa surface, car la matière des comètes contient de l’eau, et l’eau est l’élément essentiel pour l’émergence de la vie. Les sons de crépitement du feu (qui évoquent l’explosion), et les sons des gouttes d’eau, ont été très courts (entre 100 et 300 msecs). Ces sons ont été dilatés par granulation temporelle pour créer des processus où l’on peut découvrir leur micro-structure interne. Les micro-processus des sons sont utilisés comme une métaphore sonore des processus chimiques déclenchés par l’explosion de la comète sur la planète (des processus qui sont à l’origine de la vie organique).

Dans les micro-processus granulaires de SL-9, j’ai trouvé des textures sonores très intéressantes, qui changeaient dans le temps organiquement et avec plasticité. Or, pour créer ces textures, il a fallu produire des sons granulaires de longue durée et à caractère statique. En ayant plusieurs sons longs comme résultat, et en les mélangeant (à l’aide d’une magnétophone à 8 pistes), j’ai pu alors générer un continuum complexe et captivant, mais au détriment de la structure musicale globale qui est devenue monolithique [126].

J’ai déjà mentionné plusieurs fois dans ce travail que dans chaque technique de synthèse on peut trouver des tendances esthétiques musicales. Aussi, j’ai déjà signalé le danger de la granulation temporelle qui explore la micro-structure du timbre d’un son: avec cette technique on risque de devenir esclaves du son et de créer de longues textures statiques et monolithiques. Or, cette remarque a été à l’origine de mon expérience personnelle avec la technique de granulation temporelle en temps réel d’un son alimenté à l’entrée de Truax [127], et ma composition SL-9 en est la preuve. L’existence de pièces avec une structure monolithique est valable, mais je pense que dans la musique instrumentale aussi bien que dans la musique électroacoustique, on cherche des esthétiques avec des éléments divers et contrastés, des esthétiques ouvertes qui peuvent nous permettre de créer différentes formes et différents styles musicaux. Toutefois, on pourrait combiner dans un même discours musical une section monolithique à caractère texturel, avec une section contrastée où on exploite l’aspect rythmique et fréquentiel; à ce moment-là, on retrouverait peut-être l’équilibre quantique perdu. En fait, dans mon premier plan de composition pour la réalisation de SL-9, je voulais deux mouvements différents. L’idée centrale d’un deuxième mouvement a été celle de créer de sons granulaires à partir de sons d’animaux [128]. J’avais pensé d’utiliser d’autres techniques de synthèse granulaire pour ce mouvement, car je voulais réaliser des états sonores discontinus, ainsi que des processus entre le continu et le discontinu. Malheureusement, ce mouvement ne s’est jamais fait.

 

b.3) Móin Mór.

En 1995, pendant que je réalisais un travail de recherche à l’IRCAM sur le logiciel GiST, j’ai reçu une commande pour l’exposition Distant Relations qui a eu lieu dans deux galeries en Angleterre, et au Musée d’Art Moderne de Dublin en Irlande. L’objet de cette commande était une composition électroacoustique basée sur le rapport entre le Mexique et l’Irlande, car cette exposition présentait le travail des artistes de ces deux pays. Une des idées de la conservatrice de l’exposition (Trisha Ziff) a été de confronter le Mexique et l’Irlande avec leurs pays voisins (les États Unis et l’Angleterre). J’ai décidé de réaliser une composition sur l’Irlande et de parler métaphoriquement du drame de ce pays divisé en deux, un pays qui a perdu une partie de son identité suite au colonialisme anglais. Voici le texte que j’ai écrit à propos de cette pièce:

"Travailler la musique en utilisant des concepts ou des idées qui appartiennent à d’autres domaines est un artifice qui a été utilisé par les compositeurs depuis toujours. Ces idées peuvent être traduites directement en musique, ou bien elles peuvent être utilisées seulement comme source d’inspiration, avec un rapport indirect avec la musique. L’élément central de ma composition est la langue, substance de communication qui caractérise une culture déterminée. Le langage est construit à partir de sons et de significations, à partir de la syntaxe (rythme) et à partir des mots (signes); ceci constitue la question principale dans cette œuvre....Le titre de ma composition: Móin Mór, a été pris d’un poème gaélique anonyme du VIII siècle. Certains sons que j’ai utilisés dans cette pièce ont été enregistrés pendant mon séjour en Irlande en 1993 [129], tandis que les autres sons ont été enregistrés à Paris chez un poète Irlandais qui a récité le poème anonyme du VIII siècle [130], ainsi que ses propres poèmes gaéliques".

"En mélangeant les sons de la nature, la parole, et les sons enregistrés de la vie quotidienne, j’ai créé une œuvre qui rassemble les problématiques de l’Irlande contemporaine. La pièce commence avec la voix déconstruite du poème Móin Mór. Les sons des consonnes des mots ont été coupés (la langue perdant toute identité) pour être ensuite granulés et transformés en sons qui se rapprochent des phénomènes sonores dans la nature, un élément central dans la culture Irlandaise. La voix revient alors sous une nouvelle forme - avec une résonance rocheuse -, pour représenter l’esprit de l’ancienne culture celtique; en même temps, d’autres sons granulés de la vie quotidienne sont entendus (des violons irlandais). Quand l’œuvre arrive à un climax, la voix déconstruite revient en articulant des phonèmes en désordre, et le gaélique devient alors un peu plus reconnaissable. Une nouvelle voix apparaît: un enfant irlandais qui parle en anglais, ‘tu es un bon à rien, un petit bon à rien’, rit-il. L’enfant représente une nouvelle génération de jeunes, dont la plupart ne parle plus le gaélique et ne s’intéresse pas au passé. L’œuvre finit avec la granulation des mots déconstruits du poète (à partir des voyelles, maintenant), mélangés au bruit de l’océan. Un vieillard de l’île Aran, un homme que j’ai rencontré et qui ne parlait presque pas l’anglais, récite son propre poème en gaélique, presque en chantant. Pour moi, ceci représente l’espoir que la langue originaire de l’Irlande ne disparaîtra pas dans la modernité" (Rocha Iturbide, 1996a).

On peut voir que cette composition est à caractère programmatique. Je n’ai pas dessiné un plan structurel préalable; la structure s’est faite toute seule au cours du développement des éléments de l’histoire qui se construisait. Toutefois, l’idée de réaliser la composition à partir d’une langue déconstruite, mais surtout, les techniques que j’ai décidé d’utiliser pour transformer ces sons, ont été des éléments déterminants pour la génération de la structure de la pièce [131]. Comme j’avais beaucoup travaillé avec plusieurs techniques de synthèse granulaire, et comme je développais un nouveau logiciel de synthèse granulaire formantique à l’IRCAM , j’ai décidé de me servir de tous ces outils informatiques. De plus, la granulation de la parole a été la technique idéale pour effectuer sa désintégration, et d’autre part, les sons de la granulation résultante m’ont permis de rapprocher langue et nature [132].

Le rapport entre technique et esthétique est étroit; quand on veut créer un processus sonore de certaines caractéristiques, on doit chercher la technique adéquate. Pour donner un exemple, afin de créer les sons du début de la pièce, où il y a des consonnes granulées qui évoluent et qui ressemblent aux bruits de la nature, j’ai dû utiliser une granulation asynchrone à partir de plusieurs échantillons [133]. J’ai coupé les différentes consonnes de la parole, et je les ai groupées ensuite: les différents s dans un groupe, les différents sh dans un autre groupe, puis les ch , les c, les q, les r , etc. Ensuite, j’ai effectué des processus granulaires avec mon programme de synthèse granulaire à partir d’échantillons [134], en créant des interpolations entre les différents groupes. Finalement, j’ai mixé les différents processus afin de produire la première section de la pièce, qui ressemble au phénomène sonore naturel du bruit du vent contre les arbres, et qui finit avec les r répétés à chaque fois de manière plus continue, devenant alors un bruit analogue au son d’un hélicoptère (ou d’un avion) qui décolle pour voler comme un oiseau (voir figure 6).

Or, j’ai utilisé aussi d’autres techniques de synthèse granulaire car j’avais besoin d’exploiter d’autres aspects sonores. Pour en donner un exemple, quand j’ai séjourné à l’Université de SFU à Vancouver Canada, pour travailler avec le système de synthèse granulaire de Barry Truax, j’en ai profité pour commencer à créer quelques sons pour Móin Mór. Une des techniques de Truax, qui était très simple dans sa conception, m’a pourtant paru très intéressante, car elle permettait la création de sons continus avec une certaine modulation d’amplitude. C’est-à-dire, ce programme congelait le point de lecture de l’échantillon dans un endroit fixe pendant que la lecture des grains (ou macro-grains, car la période de lecture était assez longue) se faisait de façon complètement synchrone et continue [135]. J’ai granulé de cette manière des sons du violon traditionnel Irlandais, qui j’ai ensuite utilisé dans ma pièce. Quand on entend ces sons dans la composition, on imagine un violoniste jouant un trémolo, car les grains (ou macro-grains) sont à peu près d’une durée de 100 msecs. Pourtant, la qualité du timbre produite par l’amplitude modulée [136] donne un timbre riche et résonnant très différent du timbre du trémolo d’un violon réel.

 

 

 

Figure 6.- Macro-processus granulaire du début de Móin Mór en utilisant les différents sons de consonnes extraits de la parole gaélique.

 

Ces sons synchrones et continus dont je viens de parler sont très statiques; cependant, ils deviennent un fond riche et intéressant quand on superpose des événements sonores dynamiques et vivants (tels que, dans un bar irlandais, les cris de personnes, les verres et les assiettes qui s’entrechoquent). Une autre technique granulaire utilisée dans cette pièce a été la lecture granulaire d’un son alimenté à l’entrée, avec l’application de la granulation temporelle de Truax sur une boîte de DSP contrôlée par une Atari (voir deuxième chapitre). Ici j’ai granulé le chant a capella d’un troubadour Irlandais, en gardant un contrôle stochastique sur la lecture des grains. Le résultat a été également très statique et continu, mais ici la texture et le rythme sont devenus plus riches. Le mélange stochastique et continu entre les voyelles et les consonnes du chant, nous donne l’impression d’écouter un paysage de collines humaines. Une fois de plus, ce son à lui seul serait peut-être trop ennuyeux; toutefois, j’ai utilisé ces "collines humaines" pour effectuer la transition entre la deuxième et la troisième section de la pièce. Métaphoriquement c’est comme si l’on croisait des montagnes en avion, et comme si le paysage d’un côté était complètement différent de celui de l’autre côté.

Malgré son aspect programmatique, Móin Mór est une pièce intéressante du point de vue de la structure musicale, car elle contient des états sonores divers (de texture et de fréquence), des passages du discontinu au continu, et des sons de l’environnement sonore presque à leur état d’origine et complètement transformés. Móin Mór est une pièce organique où diverses couches sonores et divers signes se superposent, créant ainsi des états d’ambiguïté (aussi bien dans la sonorité que du point de vue symbolique) qui permettent plusieurs interprétations de la part de l’auditeur. Cette ambiguïté existe dans le domaine sonore lorsque les sons du langage se confondent avec la nature sauvage, mais cette ambiguïté existe aussi dans le symbolique. Pour en donner une preuve, j’ai demandé un jour à un ami qui ne connaissait cette pièce de l’écouter, et je n’ai rien dit de son histoire programmatique. Il m’a alors fait un récit sur ce que la composition avait évoqué pour lui, et à laquelle il s’était senti fortement identifié. Il a imaginé un homme en conflit permanent, et la lutte interne entre les visages contradictoires de sa personnalité. Finalement, l’enfant a pu sortir du subconscient en criant, ‘cela suffit, arrête’. L’homme s’est alors détendu, et s’est finalement libéré (le bruit de l’océan intervient à ce moment-là). À la fin, une nouvelle voix (sa véritable voix) commence à chanter.

L’ambiguïté est un élément riche et fondamental dans l’art. L’ambiguïté est quantique, car un électron est particule, mais il est aussi onde. Les deux qualités de la matière se confondent, le continu est discontinu et le discontinu est continu [137]. Enfin, en composant Móin Mór je ne me suis inspiré à partir d’aucune théorie scientifique, mais en analysant la pièce aujourd’hui, je peux retrouver toutes mes obsessions quantiques et chaotiques, non seulement dans la structure sonore, mais aussi du point de vue symbolique.

 

III.- L’art sonore et l’esthétique quantique.

Depuis les années quatre-vingt, j’ai participé à des collaborations multidisciplinaires avec différents artistes, et je suis également intervenu dans le domaine de l’art en réalisant des sculptures et des installations sonores. L’art sonore est une discipline très particulière. Il y a des artistes plastiques qui travaillent avec le son, et il y a des musiciens qui construisent des objets ou des espaces sonores. Je crois que pour créer de l’art sonore il faut être à moitié artiste plastique et à moitié musicien [138].

La création des objets ou des espaces sonores a lieu dans un endroit public, tels une galerie, un parc, un musée, etc. Les personnes qui visitent ces lieux décident quel temps elles passeront devant chaque œuvre. Or, l’artiste doit être conscient de ce fait, surtout quand il s’agit d’œuvres où le temps constitue l’élément central, comme c’est le cas pour les œuvres sonores. En général, la structure de ce type d’œuvres doit avoir un facteur temporel de relativité [139], c’est-à-dire que l’esthétique de l’œuvre doit pouvoir se manifester aussi bien si l’on passe devant elle un instant, que si l’on passe plusieurs minutes.

Il y a des œuvres sonores qui sont fixes et qui se répètent en boucle constante, mais il y a aussi des œuvres où l’on a préféré utiliser une esthétique ouverte (Eco, 1967), et où parfois la participation du public est essentielle [140]. Or, il y a plusieurs types d’interaction entre œuvre et public. Il y a des pièces où les individus créent le résultat, tandis qu’il y en a d’autres où l’on trouve un équilibre interactif. Le développement de la technologie musicale informatique au cours de ces dernières années, a permis la création de programmes interactifs puissants (tels que Max), ainsi que des interfaces sophistiquées qui comportent différents types de senseurs. Cette technologie est maintenant à la portée du grand public, et certains artistes ont déjà commencé à s’en servir. D’autre part, dans le milieu international de la musique par ordinateur, beaucoup de chercheurs ont développé des programmes interactifs pour créer des œuvres d’art sonore; malheureusement, la plupart du temps, les aspects techniques de ces œuvres ont été plus importants que les idées artistiques. Or, d’autres chercheurs ont développé des applications informatiques musicales non interactives, et cependant très intéressantes, car elles génèrent les œuvres de manière automatique au moyen de processus auto-génératifs [141].

Je ne peux pas développer ici une étude théorique sur l’art sonore par ordinateur, car ceci représente une recherche en elle même (par ailleurs très intéressante). Pourtant, il faudra expliquer les bases de cette discipline pour pouvoir comprendre les avantages que les techniques granulaires pourraient avoir ici. Dans la création d’une œuvre d’art sonore par ordinateur, il faut envisager l’essence des processus génératifs, c’est-à-dire, le type d’algorithmes et de sons que l’on va utiliser, mais aussi le degré d’interaction avec le public. La gamme de ce type de processus va de l’œuvre auto-générative, qui utilise des algorithmes évolutifs (automates cellulaires, neural networks, etc), de chaos, et d’autres, aux processus qui peuvent être transformés par un agent externe, et où la réponse du programme va influencer la transformation suivante de l’agent [142] (Row, 1992). Finalement, quand on utilise l’ordinateur pour créer une œuvre d’art sonore, il faut être bien fixé sur l’équilibre que l’on souhaite entre le processus d’interaction et le produit final (Dannenberg & Bates, 1995) [143].

L’emploi d’un outil informatique dans un espace public pour la génération d’une œuvre d’art sonore, demande naturellement une esthétique à caractère ouvert [144]. Or, il est parfois très difficile de laisser un ordinateur sophistiqué dans un musée pendant un mois [145]; les artistes sonores se voient alors obligés d’utiliser d’autres artifices plus simples pour créer leurs œuvres. Par exemple, pour réaliser une œuvre sonore ouverte sans ordinateur, on pourrait enregistrer plusieurs C.D. avec plusieurs pistes (indexes) chacun, et activer ensuite la fonction Random Play des lecteurs de C.D.. On pourrait aussi enregistrer plusieurs cassettes en boucle et les laisser se déphaser peu à peu, en créant ainsi une œuvre qui change continuellement. [146]

Je n’ai pas encore créé une œuvre d’art sonore interactive en me servant d’un ordinateur; cependant, j’ai voudrais aborder dans cette dernière section des possibilités d’utilisation des techniques granulaires dans ce domaine. Or, j’ai créé plusieurs œuvres sonores "ouvertes", et même quelques-unes où il y a un certain degré d’interaction avec le public (sans l’aide d’un ordinateur) [147]; je crois donc avoir acquis une certaine expérience esthétique dans ce domaine. Cette expérience m’a conduit à croire que l’œuvre ouverte a un caractère quantique, d’une part, à cause du rapport entre les éléments déterministes et les éléments d’indéterminisme, et d’autre part, à cause de l’interconnexion de ces éléments, car leur ordre dans le temps n’aura aucune importance quand la structure ouverte de l’œuvre aura été réussie [148]. Je finirai ce chapitre avec la description de ma sculpture sonore Ping-Roll, une œuvre qui n’est pas interactive, mais qui est en rapport avec certains principes chaotiques qui la rendent ouverte, et dont la conception constitue le meilleur exemple de l’application de mes idées esthétiques issues des théories quantiques.

 

1.- L’art sonore et la synthèse granulaire.

a) Les installations sonores au moyen des applications granulaires.

D’un point de vue esthétique, les sons granulaires sont très puissants car ils provoquent dans l’auditeur des sensations en rapport avec des organismes vifs unicellulaires, avec des processus issus des transformations physiques de la matière, avec de grands groupes d’entités vivantes (tels une horde humaine, des essaims d’insectes, des troupeaux d’animaux), mais aussi avec des états suspendus et statiques (au moyen de la synthèse granulaire synchrone). D’autre part, la granulation des sons de la vie réelle nous permet de jouer avec l’espace métaphorique qui se génère avec le continuum entre le son dans son état d’origine et sa transformation (Rocha Iturbide, 1995a. Wishart, 1985).

Pendant l’été 1994, j’ai connu à l’université de SFU un groupe de personnes qui prenait un cours sur l’application de la technologie dans l’art. L’un des artistes, Ken Gregory, m’a montré la documentation en vidéo d’une installation sonore qu’il avait réalisée dans une galerie au Canada. Il avait lu un article sur la synthèse granulaire (écrit par Barry Truax) dont il s’était inspiré pour développer une application granulaire avec le logiciel MAX Opcode. Avec ce programme, il a contrôlé via MIDI un échantillonneur EPS pour effectuer la granulation temporelle en temps réel d’un son; ceci a été possible grâce à la capacité de l’échantillonneur de faire varier le point de lecture (l’offset) sur l’échantillon. Or, cette application rudimentaire de granulation avait certaines limitations à défaut d’une enveloppe approprié pour les grains, et à cause de l’insuffisante vitesse du système MIDI au moment d’effectuer la lecture de dizaines de grains par seconde; pourtant, du point de vue technologique, on avait l’avantage d’avoir un système économique et personnalisé [149], et d’autre part, le résultat sonore était assez satisfaisant.

L’installation sonore de Gregory consiste en une salle obscure où il y a plusieurs senseurs optiques qui réagissent à la lumière et qui sont placés sur un mur. À l’entrée de cet espace, le public prend une lampe de poche pour illuminer différents endroits du mur; ce jeu crée une interaction avec le programme de l’ordinateur, qui contrôle en même temps la granulation du son dans l’échantillonneur. Or, le résultat sonore est très particulier, car Gregory a utilisé l’aboiement d’un loup avec des caractéristiques de fréquence qui ont rendu la granulation continue et statique, et d’un timbre agréable. Le concept principal de Gregory a été de recréer des états psychologiques reliés à notre mémoire de l’enfance. Je crois que grâce à l’interaction du jeu des lumières avec les sons granulaires, Gregory a réussi à créer une œuvre artistique énigmatique et belle.

Quand on a un concept de base clair et fort, on peut réaliser une œuvre riche du point de vue esthétique. Avec l’exemple précèdent, on peut voir que même avec une technique simple et peu développée, on peut créer des œuvres artistiques intéressantes. Or, on a des systèmes informatiques très puissants qui font la synthèse granulaire en temps réel, et avec lesquels on pourrait avoir une infinité de possibilités pour le contrôle des paramètres. C’est le cas de GiST, un logiciel de synthèse granulaire formantique développé sur un ordinateur NEXT avec une carte ISPW de l’IRCAM (Eckel, Rocha Iturbide, 1995). En revanche, ces systèmes sont chers, et ni les musées ni les individus peuvent y accéder facilement pour travailler avec eux. Heureusement, au cours des dernières années, on a développé des logiciels et des ordinateurs à la portée de tous, et qui nous offrent la possibilité de réaliser la synthèse granulaire en temps réel. C’est le cas de Super Collider (McCartney, 1995) [150], un logiciel conçu pour être utilisé avec un ordinateur Macintosh PC.

Super Collider (SC) est un langage de programmation qui combine traitement des signaux sonores et des signaux MIDI en temps réel. De plus, il possède une structure d’orientation d’objets à caractère graphique, qui permet de construire des interfaces interactifs pour les instruments programmés (Pope, S.T. 1997). James McCartney (le créateur de ce logiciel) a développé une application pour la granulation temporelle d’un son qui est enregistrée dans la mémoire de l’ordinateur. Cette application se sert des sliders qui déterminent la portée des valeurs utilisées pour la granulation randomisée du son; elle possède trois paramètres essentiels: le taux de lecture de grains (c’est-à-dire, la vitesse de progression de lecture de l’échantillon), la transposition des grains, et la densité des grains. Les deux premiers paramètres sont contrôlés par trois variables chacun: taux temporel, dispersion temporelle, et quantification temporelle (pour la lecture des grains); et taux de fréquence, dispersion de fréquence et quantification de fréquence (pour la transposition des grains). Pour la densité des grains on a deux variables, l’une qui contrôle la durée des grains, et l’autre qui contrôle la superposition des grains (overlap). Finalement, on peut aussi déterminer la variation d’amplitude globale des grains par une dernière variable.

En utilisant une application granulaire comme celle de McCartney, on aurait la possibilité de contrôler en temps réel neuf variables différentes, et même davantage, si l’on ajoute des paramètres importants que McCartney n’a pas envisagés (tels que le contrôle de l’enveloppe des grains). Enfin, si l’on utilise en plus un interface MIDI de senseurs analogiques, on pourrait affecter par exemple le mouvement de personnes dans un espace (au moyen de senseurs de proximité) pour déterminer le mouvement de chaque slider (c’est-à-dire, de chaque variable). Il est dommage qu’un logiciel tel que GiST soit inaccessible (sauf pour des compositeurs et artistes engagés à l’IRCAM ) [151], car son langage de programmation (MAX ) est beaucoup plus simple que le langage C++ utilisé par SC. De plus, GiST possède un contrôle algorithmique beaucoup plus fin à tous points de vue, ainsi qu’une richesse de timbre incomparable grâce aux caractéristiques des grains FOF (voir quatrième chapitre).

 

b) Développement d’une application granulaire MIDI avec MAX Opcode et SampleCell pour la création d’installations sonores interactives.

Depuis quelques années, j’ai voulu créer une installation sonore interactive au moyen de senseurs et d’un logiciel puissant de synthèse en temps réel, qui permettrait la spatialisation des sons dans plusieurs haut-parleurs (Figure 7). J’ai déjà mentionné les difficultés que l’on rencontre pour accéder aux systèmes informatiques puissants; cependant, maintenant il suffit d’avoir accès à un Macintosh Power PC (ou de l’acheter) pour pouvoir développer une application de synthèse en temps réel. Outre des logiciels comme Super Collider, d’autres logiciels puissants ont été développés pour le Macintosh PC. David Zicarelli, par exemple, a développé une nouvelle version de MAX qui inclu le traitement du signal avec la carte DSP du Macintosh PC. Toutefois, même si l’on a accès à cet ordinateur et à un de ces logiciels, lorsqu’il faut laisser ces outils dans l’espace destiné à l’installation pendant un mois ou plus, il y aura inévitablement des ennuis avec le propriétaire. Or, le seul moyen de concevoir une installation sonore avec ce type de technologie est l’achat de l’ordinateur et du logiciel, ce qui en ce moment revient encore un peu cher[152].

 

 

 

Figure 7.- Projet d’une installation avec 8 haut-parleurs et huit senseurs de proximité, où les sons apparaissent dans les différents haut-parleurs suivant le mouvement du public. Les sons émis par les haut-parleurs sont imaginés dans leur globalité comme des voyages ou des parcours sonores. Or, il y a plusieurs voyages sonores possibles, de telle sorte que si quelqu’un prend le chemin opposé, un autre voyage pourrait être généré. Alors, à un moment déterminé, différents voyages pourraient s’entrecroiser (Rocha Iturbide, 1997).

 

Pour l’instant, j’ai dû me contenter de mes outils informatiques personnels, et j’ai commencé a développer une application de granulation d’échantillons via MIDI, semblable à celle de Ken Gregory, mais beaucoup plus sophistiquée et puissante. Cette application fonctionne aussi avec le logiciel MAX Opcode, mais en revanche, elle contrôle un échantillonneur SampleCell qui a l’avantage d’avoir huit sorties mono. Alors, j’ai ici la possibilité d’avoir huit sons granulaires différents (un sur chaque haut-parleur), ou bien je peux avoir un ou plusieurs sons différents qui se déplacent d’un haut-parleur à l’autre. Comme je l’ai déjà dit, avec cette technique rudimentaire, on ne possède pas d’enveloppes appropriés pour les grains, et on a de graves problèmes par rapport à la vitesse du système MIDI quand la densité des grains va au-delà de 10 grains par seconde. Pourtant, je peux contrôler au moyen de plusieurs fonctions stochastiques la durée des grains, le taux de synchronisme ou d’a-synchronisme dans la lecture des grains, la densité, la transposition des grains, et leur amplitude. De plus, mes contrôles stochastiques permettent la juxtaposition des états continus et des états discontinus, ainsi que la transition d’un état à l’autre.

Je n’ai pas encore utilisé ce système (qui est encore en voie de développement) pour une installation sonore interactive, car il y a encore un autre élément essentiel qui manque. Pour une installation sonore, on a besoin d’un interface MIDI, mais pas d’un interface du style clavier, comme les Midi faders, ou comme la souris, qui constituent des outils assez limités. On a plutôt besoin d’un interface sur lequel on puisse brancher des senseurs analogiques de différents types. Les senseurs sont les oreilles de l’ordinateur, et la diversité des senseurs implique que l’on ait différents types d’oreilles pour interpréter ce qui se passe dans un endroit déterminé. On a par exemple des senseurs qui réagissent au mouvement, tels que les senseurs du système The very nervous system (une caméra de vidéo sensible aux mouvements existants dans l’aire visuelle de la lentille), ou simplement des senseurs de proximité qui réagissent à notre mouvement dans un point spécifique de l’espace. Il y a également des senseurs thermiques qui enregistrent des changements de température, ou des senseurs optiques qui enregistrent les variations de la lumière, et etc, etc. Or, toutes ces actions en rapport avec leurs "oreilles" respectives constituent déjà des éléments conceptuels capables d’être utilisés par l’artiste; pourtant, il faut justifier d’un point de vue conceptuel l’utilisation d’un senseur spécifique, et puis créer une interaction et un résultat sonore compatibles. D’une autre façon, on resterait au niveau de la pure expérimentation, qui se contente des exploits de la technologie.

Ne pouvant pas disposer d’un interface de senseurs MIDI, je devrais encore attendre la création d’installations sonores interactives. Cependant, il y a une boîte qui a été développée en Canada appelé The I-Cube System qui interagit avec le logiciel MAX. Cette boîte n’est pas trop chère, et je pourrais peut-être bientôt l’acheter. J’espère alors pouvoir donner suite à mes projets dans le domaine de l’installation sonore interactive avec de la technologie informatique, et de pouvoir expérimenter ainsi avec le fonctionnement de différents senseurs, car je pense qu’ils détermineront en grande mesure le résultat conceptuel et sonore des œuvres artistiques qui s’ensuivront.

 

2.- Ping-Roll. Une sculpture sonore quantique et chaotique.

Au cours de ces dernières années, j’ai développé plusieurs idées fixes qui étaient restée dans mon subconscient. Elles concernent toutes les notions que j’ai développées dans cette thèse, telles que le principe de complémentarité quantique du continu et du discontinu, les processus statistiques, les différents phénomènes chaotiques, etc. Ces obsessions ont généré certaines idées musicales, mais aussi des idées plus conceptuelles en rapport avec le domaine de l’art sonore. Or, il est inévitable d’établir une connexion entre ces idées et les phénomènes physiques dans la vie quotidienne. Ainsi, des événements tels que le son du rythme stochastique du rebondissement d’une balle de basket-ball, ou d’une balle de ping-pong, me font inévitablement penser au domaine du discontinu, tandis que le son de ces balles qui tombent et qui continuent à tomber par la force de la gravité (d’une manière à chaque fois plus continue) me fait penser au continuum du discontinu vers le continu. À partir de ce type d’événements, j’ai conçu une sculpture sonore basée sur le comportement physique de balles de ping-pong. Cette sculpture a été créée pour la première Biennale de l’art tridimensionnel à Mexico en 1997. Voici une description de la sculpture, ainsi que des idées liées avec les théories quantiques et du chaos, qui sont à la base de cette création:

Ping-Roll est une sculpture qui consiste en une plaque d’aluminium (1.90 x .91 mètres) avec des petits bords, soutenue pour une structure à quatre pattes (en aluminium également). Cette sculpture semble une sorte de table de jeu. Sur la plaque, il y a soixante balles de ping-pong, et au-dessous, trois séries de haut-parleurs (Woofer, médium et tweeter * 3) dont les membranes sont très proches de la plaque (Figure 8). La première version de cette sculpture sonore utilise 2 C.D., où j’ai enregistré 3 pistes avec les sons des processus des balles de ping-pong qui rebondissent de manière stochastique, alternant avec des périodes de silence, et avec des fréquences sinusoïdales. Les fréquences ont été calculées pour sympathiser avec l’accordage naturel de la plaque, et pour la faire vibrer et résonner. L’effet de la plaque vibrante sur les balles de ping-pong produit alors le rebondissement de quelques-unes dans des points fixes, tandis que d’autres vont sortir de leurs orbites de bondissement pour glisser à travers la surface de la plaque [153].

 

Figure 8.- Ping-Roll, une sculpture sonore quantique et chaotique.

 

La fonction primordiale d’une balle de ping-pong est de bondir à différentes vitesses (un mouvement discontinu), mais la loi de la gravité pourrait affecter la balle et la faire rebondir de plus en plus vite. Si on imagine que la vitesse du rebondissement en accelerando se stabilise autour d’une certaine valeur, le son résultant produirait alors une fréquence déterminée. Cette idée m’a fait penser que le bondissement de la balle peut créer en même temps du rythme et de la fréquence; pour cette raison, outre les sons bondissants, j’ai décidé aussi d’utiliser des fréquences pures. Or, L’effet de l’amplification de ces fréquences produit le rebondissement ou le glissement des balles sur la plaque, tandis que l’effet de l’amplification des sons qui bondissent de manière discontinue produit l’inaction du système (le statisme des balles); métaphoriquement parlant, ceci représente un jeu paradoxal et confus entre les deux états opposés de la balle, le discontinu et le continu. Ce jeu agit autant sur le plan physique (rebondissement versus glissement) que sur le plan sonore (rythme versus fréquence). Cependant, ces états polaires sont en réalité complémentaires et font parti d’un même phénomène. Toutes ces idées sont en rapport avec le paradoxe quantique de la complémentarité dans la matière, où certains éléments tels que la lumière peuvent se comporter comme particules (domaine du discontinu) ou comme ondes (domaine du continu).

Pour donner une cohérence conceptuelle à la structure musicale globale de la sculpture, la durée des séquences sonores correspond au processus de rebondissements logarithmiques d’une balle de ping-pong lorsqu’on la laisse tomber sur une surface dure. La balle rebondit chaque fois plus vite, affectée par les lois de la gravité et de la friction. J’ai utilisé un ratio constant (0.666) [154] comme facteur de multiplication, pour diminuer la durée des sons bondissants, ainsi que la durée des silences et des fréquences sinusoïdales [155]; il y a aussi une progression où les sons bondissants commencent avec un taux de délai long qui diminue sans cesse, en produisant ainsi des bondissements de plus en plus rapides; cette même progression affecte aussi les fréquences sinusoïdales qui sont longues et basses au début, et dont la durée diminue graduellement à mesure qu’elles montent. À un moment donné du processus global, les sons des bondissements et des fréquences (auparavant séparés par des silences) commencent à se superposer, arrivant ainsi à une zone de climax constituée par des bondissements très rapides et par des fréquences sinusoïdales aiguës. Après ce climax, il y a un miroir (une inversion) du processus où les durées augmentent, les bondissements redeviennent discontinus, et les fréquences redescendent. Tout le processus dure 38 minutes et 15 secondes.

Mis à part le dialogue établi entre le mouvement discontinu et le mouvement continu, cette sculpture sonore est en soi une sorte de jeu chaotique. On commence le jeu en étalant les balles sur la plaque de manière homogène et équidistante l’une de l’autre. Les balles commencent alors à bouger avec les sons sinusoïdaux et elles ont tendance à aller dans certains zones de la plaque que j’appelle zones d’entropie; les balles bougeront de moins en moins dans ces zones, puis elles resteront toujours proches des ces ceintures. On a ici l’exemple d’un phénomène chaotique nommé dépendance sensible aux conditions initiales. De façon surprenante, les différentes configurations formées par le mouvement des balles varie largement, même si les balles sont placées exactement aux mêmes endroits au début du jeu. À la fin de ce processus, on doit encore étaler les balles de façon équidistante et attendre pour voir la nouvelle évolution d’entropie entre l’ordre et le désordre.

Je n’ai utilisé aucune technique granulaire dans Ping-Roll. Pourtant, cette sculpture sonore constitue ma première œuvre, où j’ai consciemment appliqué une conception quantique. Or, est-ce de l’art?. Je ne saurais que dire; peut-être les aspects techniques et scientifiques ont pris trop d’importance, car la construction de cette sculpture a été plus proche de l’art de la fabrication d’instruments. Toutefois, les processus de création et d’expérimentation, ainsi que les résultats des processus sonores et visuels, ont été extrêmement intéressants. Il faut dire que dans une pièce de ce type, il doit y avoir un équilibre et une interaction entre son et image, car ici ils constituent des éléments interdépendants. En évaluant la réussite de cet équilibre, on pourra savoir si l’œuvre s’est rapprochée de l’art ou non.

 


NOTES DE PIE DE PAGE

1 La science n’a pas toujours influencé la société de la même manière; dans le positivisme récalcitrant du dernier siècle par exemple, les artistes ont combattu la pensée logique et intellectuelle de la bourgeoisie avec l’expression emballée de leurs émotions subjectives; cette réaction a donné lieu au romantisme. Par contre, pendant la Renaissance, art et science marchaient ensemble.

2 D’autres ont crée des théories esthétiques à partir des idées sur le fonctionnement de la raison, telles que la théorie esthétique cartésienne basée sur le mécanisme de la logique rationnelle issu de la pensée du philosophe français René Descartes.

3 Pour ces théoriciens, les concepts seuls ne servent de rien, car ils sont rationnels et plus limités que l’expression (qui est ouverte, intuitive et subjective) (Croce, 1909).

4 Le vingtième siècle a constitué la période la plus complexe de l’histoire de l’art; l’individualité artistique a pu se développer au maximum; chaque artiste a crée son propre style, et il a dû alors devenir plus philosophe, pour pouvoir soutenir ses idées esthétiques.

5 Le travail de création artistique est sans doute plus intuitif que rationnel; pourtant, il y aura toujours une interaction complexe qui prendra lieu entre intuition et théorie. L’analyse postérieure de son œuvre fera découvrir au compositeur des aspects formels et esthétiques qui n’étaient pas conscients au moment de la création; le compositeur pourra en ce moment-là arriver à des conclusions, et il pourra alors consolider ses idées esthétiques personnelles.

6 Cette réticence envers l'utilisation du timbre comme élément principal dans une composition musicale est claire, même dans la pensée des compositeurs contemporains comme Boulez, qui à un moment donné a considéré le timbre et l'intensité comme des éléments secondaires incapables d'être systématisés: "La fréquence et la durée forment la base d'une dialectique de la composition, alors que l'intensité et le timbre font partie des catégories secondaires......Les systèmes qui font la notation des fréquences et du rythme paraissent cohérents et hautement développés alors qu'il est difficile de trouver des théories codifiées pour la dynamique et le timbre..." (Boulez, 1971).

7 Dans son livre "On sonic Art" (1985), Trevor Wishart parle d'une notation musicale qui est: "Lattice oriented".

8 Ces deux éléments ont constitué la base du rythme de plusieurs siècles de notre histoire.

9 John Cage a été conscient de l’inexistence du continuum temporel dans la musique contemporaine traditionnelle: "The present methods of writing music, principally those which employ harmony and its reference to particular steps in the field of sound, will be inadequate for the composer, who will be faced with the entire field of sound. The composer (organizer of sound) will be faced not only with the entire field of sound but also with the entire field of time. The "frame" or fraction of a second, following established film technique, will be probably the basic unit in the measurement of time. No rhythm will be beyond the composer’s reach" (Cage, 1961).

10 À la fin des années vingt, des instruments sophistiqués producteurs de sons inclassables n’étaient pas encore mis au point; les compositeurs devaient alors se servir des sirènes, du tourne-disque, et d’autres appareillages construits dans d’autres buts. Seul Russolo avait déjà construit des instruments bruiteurs (les intona rumori), tandis que dans le champ de l’électronique, Leon Termen avait construit un instrument générateur d’ondes sinusoïdales, qui avait plusieurs limitations. Varèse, un compositeur visionnaire et avide de développement technologique, rêvait d’instruments puissants et universels: "Les instruments que les ingénieurs doivent mettre au point avec la collaboration des musiciens permettront l’emploi de tous les sons...ils pourront reproduire tous les sons existants et collaborer à la création de timbres nouveaux" (Varèse, 1983).

11 L’idée de Varèse pour une nouvelle utilisation du timbre est la suivante: "La couleur ou le timbre joueraient un rôle complètement nouveau de par leur caractère fortuit, anecdotique, sensuel ou pittoresque; ils auraient pour fonction de souligner les divers éléments comme les couleurs différentes qui sur une carte, délimitent les différentes zones, et ils feraient partie intégrante de la forme"; "...je me sers de la couleur pour distinguer entre plans, volumes et zones du son, non pas pour produire une série d’épisodes contrastés comme des images de kaléidoscope" (Varèse, 1983).

12 Dans, Varga (1996).

13 "Notre alphabet est pauvre et illogique. La musique qui doit vivre et vibrer a besoin de nouveaux moyens d’expression et la science seule peut lui infuser une sève adolescente" (Varèse, 1983).

14 Le magnétophone existait déjà, mais il a été amélioré par les allemands pendant la deuxième guerre mondiale.

15 Ceux qui ont travaillé dans les premières années de la création de ce studio ont été Messiaen, Boulez, Stockhausen, Barraqué et Pierre Henry.

16 Le travail théorique le plus important de Schaeffer sur la musique concrète a été son "Traité des objets musicaux" (Schaeffer, 1966).

17 Stockhausen faisait de la synthèse additive en superposant plusieurs ondes sinusoïdales au moyen de générateurs d’ondes. Ce travail était lourd et demandait une connaissance à priori de certains caractéristiques physiques du son. Avec la synthèse additive on contrôlait d’avantage le résultat sonore (par rapport à la musique concrète), mais en même temps, ce résultat était simple et moins riche que les collages sonores de la musique concrète.

18 La théorie quantique du son avait déjà été proposée et développée par Wiener et Gabor, des physiciens (voir premier chapitre); je ne suis pas certain si Stockhausen a connu ces théories. Pour plus de renseignements sur la théorie du timbre de Stockhausen, voir aussi les sections sur le micro-temps et le macro-temps et sur les fractales, dans le sixième chapitre.

19 Dans Varga (1996).

20 Raison pour laquelle leur musique a été complètement différente.

21 En réalité, il s’est seulement rendu compte que sa théorie de synthèse était quantique quand il l’a formalisée dans son livre "Musiques formelles, nouveaux principes formels de composition musicale" (1963). "I’d developed my theory purely by intuition and realized only later that it had already been proposed in physics" (Xenakis, dans Varga, 1996).

22 Avec les intervalles de fréquence et avec les intervalles de temps, les distances peuvent être mesurés objectivement ( l’intervalle le plus court dans la gamme tempéré est le demi-ton).

23 Ce terme n’existait pas à cette époque, mais il serait le plus approprié pour décrire la quantité minimale de sensation (ou J.N.D ) de Fechner.

24 Dans certaines œuvres de Xenakis, il n’y a pas de liens clairs entre les éléments, mais il y a tout de même un rapport entre eux: "...in Buddhism and Hinduism you have adjoining sentences that differ sharply in content. There is no need to provide connecting lines...Of course there is a link between them, a relationship - otherwise the structure would collapse - but it is not directly obvious. It’s like the abstract painting of Kandinsky, Malewitch or Mondrian where the simple patterns owe their effects to the way they are set off against one another -there’s no smooth transition (Xenakis, dans Varga, 1996).

25 La sensation de fréquence commence à disparaître autour de 27 Hz.

26 La théorie de Stockhausen a été formulée dans son article ....How time passes....(Stockhausen, 1957) qui commence de cette manière: "Music consists of order-relationships in time".

27 On pourrait aussi faire un mélange de ces trois différentes approches.

28 La polarité principale est celle de temps-fréquence, mais on a aussi d’autres polarités fondamentales telles que: régulier-irrégulier, relaxation-tension, immobilité-mobilité, etc. Toutefois, toutes ces notions peuvent souvent être réduites à l’archétype de base: continuité versus discontinuité (par exemple, le régulier est continu et l’irrégulier est discontinu).

29 Toutefois, cette notion peut aussi être liée à la théorie de la relativité d’Einstein, formulée elle aussi dans le premier quart de ce siècle.

30 La théorie taoïste avait déjà découvert ce principe depuis plus de deux mille ans. Dans le Tao, la conjugaison du Yin et du Yang (les deux principes archétypiques masculin et féminin) est complémentaire.

31 Les œuvres qu’il composait avec cette méthode sont les Sonatas and interludes pour piano (1948).

32 J’ai déjà introduit la notion d’indéterminisme en opposition avec la notion de déterminisme (dans le sixième chapitre), mais en soulignant l’aspect du timbre et de la synthèse sonore.

33 Music of changes, pour piano seul, a été composé en 1951 et constitue selon Griffiths (1981) l’art de la fugue des opérations de hasard.

34 Avec l’usage du livre de divination chinoise sur les mutations: L’I Ching.

35 L’apothéose de l’évolution de Cage vers le hasard total constitue sa composition 4’33 (1952), où l’interprète ne fait que chronométrer quatre minutes et trente-trois secondes. Cette pièce à caractère Dadaïste crée une attente où il n’y a que du silence, mais ce silence est en réalité composé des bruits de la salle de concert que Cage veut faire entendre au public.

36 Selon la théorie de Bohr, si on a un système de deux électrons séparés dans l’espace, même par des milliers de kilomètres, ils sont liés par des connections non-locales instantanées (Capra, 1984). Cette théorie fait partie du principe d’interconnexion quantique: "Quantum theory thus reveals a basic oneness of the universe...As we penetrate into matter, nature does not show us any isolated ‘basic building blocks’, but rather appears as a complicated web of relations between the various parts of the whole. These relations always include the observer in an essential way. The human observer constitutes the final link in the chain of observational process, and the properties of any atomic object can be understood only in terms of the object’s interaction with the observer" (Capra, 1984 pg 57) (voir aussi pied de page 49). Cette analogie me permet de conclure que c’est seulement par l’action de l’auditeur que la musique de hasard total de Cage peut avoir un certain sens.

37 Dans la physique quantique il y a des particules nommées fermions (électrons, protons et neutrons) qui composent la matière et qui sont individualistes et antisociales, c’est-à-dire, qui n’ont pas de rapport entre elles. D’autre part, il y a des particules nommées bosons (photons, photons virtuels, gluons, etc), des particules qui ‘mettent en rapport’, et qui portent les forces qui lient et unifient l’univers. Ces deux groupes de particules tiennent toujours un dialogue constant; sans bosons, les fermions auraient de rares occasions de se mettre ensemble et de construire quelque chose, et sans fermions , il n’y aurait pas de particules à mettre en rapport. (Zohar, 1990). Dans l’idée du hasard total de Cage, les fermions pourraient constituer des sons isolés dans le temps et dans l’espace, sans aucun rapport entre eux, tandis que les bosons seraient les auditeurs qui vont dialoguer avec ces sons pour les mettre en rapport, et pouvoir ainsi atteindre "l’unification de l’univers".

38 Ces durées pouvaient être transposées en changeant le tempo, un doublage du tempo étant alors équivalent à une transposition d’octave.

39 Stockhausen a lui aussi essayé d’établir une équivalence entre les intervalles de fréquence et le rythme, et pour sa composition Gruppen (1955-57 ) pour trois orchestres, il a créé une échelle logarithmique de douze tempos en opposition avec l’échelle chromatique. On peut dire que comme l’échelle de fréquences est logarithmique, Stockhausen était alors plus prés d’une équivalence véritable, mais en réalité, ceci a aussi constitué une idée un peu rigide et subjective.

40 "Dans Le marteau sans maître, Boulez a une portée qui va des fortes pulsations à un contrepoint plastique impulsé par des rythmes irréguliers, et même à un mouvement complètement a-metrique (Griffiths, 1981).

41 L’idée d’un sérialisme total a empêché Boulez d’avoir plus de liberté dans le domaine temporel; toutefois, il va commencer à introduire un certain degré de hasard très limité (qu’il appelle ‘degré de flexibilité’) dans sa musique (dans sa composition Sonate pour piano no. 3, 1956), mais au fond, il s’est toujours beaucoup méfié de l’effet du hasard dans la musique.

42 Griffiths établit l’opposition entre Boulez et Cage de cette manière: "Boulez obliterated all traces of the past in order that he might be himself. Cage did so in order that sounds might become themselves" (Griffiths, 1981).

43 Comme les durées des notes dans la composition De Kooning par exemple.

44 Un des exemples musicaux les plus intéressants sur le rapport entre le micro-son et la macro-structure constitue la composition Studie I (1953) pour bande magnétique, où Stockhausen a déduit le timbre et les durées avec une table de proportions issues des intervalles mélodiques qu’il a utilisé dans la pièce. En conséquence, timbre, rythme, et mélodie ont été tous liés par un même principe mathématique unificateur des proportions. Ceci constitue un bon exemple d’une composition fractale, à une époque où ce concept n’existait pas encore.

45 Dans sa composition Piano Piece XI pour piano seul, Stockhausen utilise la notion d’indéterminisme en laissant l’interprète changer librement l’ordre de 19 groupes d’éléments dans la pièce, sans altérer son esthétique. La raison est qu’il a simplement imité le comportement des partiels du bruit blanc qui sont distribués statistiquement (le bruit blanc en synthèse se fait avec une fonction Random). De cette manière, il met encore en rapport la structure du timbre avec la structure de l’œuvre, mais cette fois de façon métaphorique.

46 Real Academia Española. "Diccionario de la lengua española". Madrid, 1970.

47 Le taux de rotation de la terre par exemple ne peut pas être parfaitement constant à cause des phénomènes de gravité, de friction, et autres.

48 Dans le domaine sonore, la création d’une onde se fait par une variation de pression atmosphérique discontinue (0, +1, 0, -1, 0, +1, 0, -1, 0, etc) générée par une vibration physique. Les ondes sonores ont besoin d’un milieu matériel pour se déplacer; or, les ondes électromagnétiques peuvent se déplacer dans le néant car elles sont générées par des forces électromagnétiques.

49 D’après la définition de continu, cet adjectif s’applique à tout élément qui est uni à un autre. L’union entre deux éléments constitue le continuum. Selon le physicien David Bohm: "..inseparable quantum interconnectedness of the whole universe is the fundamental reality, and relatively independently behaving parts are merely particular and contingent forms within this whole" (Bohm & Hiley, 1975).

50 Selon le docteur en physique théorique Fritjof Capra: "pour comprendre le monde nucléaire de l’atome, la physique quantique actuelle a besoin d’incorporer la physique de la relativité et donner lieu à une nouvelle théorie" (Capra, 1984).

51 Cependant, le véritable extrême du continu constituerait en réalité la répétition exacte et constante d’un même élément. Ce pôle a été développé par la très postérieure musique minimaliste de la fin des années soixante, où la répétition constante d’un son constitue la continuité la plus régulière et stable; un état qui donne comme résultat une immobilité perpétuelle.

52 L’idée de processus existait déjà avec la musique ‘pointilliste’ de Messiaen, mais pas avec le hasard total de Cage, car il ne voulait donner aucune direction à ses événements sonores; la variation d’un son à un autre chez lui a été complètement aléatoire. Ceci pourrait ressembler au minimalisme le plus orthodoxe, où une quantité très limitée d’éléments se répètent de manière aléatoire (comme in C de Terry Riley).

53 Dans Metastasis, Xenakis développe la notion de continuum avec la réalisation des glissandi avec des instruments à chordes, mais on trouve aussi dans cette pièce la notion de discontinuité dans la permutation d’intervalles et dans une organisation discrète dans le temps. Toutefois, selon Xenakis, Metastasis est avant tout "une étude sur les évolutions sonores continues et un travail théorique sur les probabilités" (Xenakis dans Varga, 1996).

54 L’opposition entre Xenakis et les sérialistes a existé, car il pensait tout d’abord aux sons, et ensuite à la façon de structurer ces sons, alors que les sérialistes étaient trop préoccupés par la structure métaphysique de l’œuvre en perdant la perspective de la nature physique du son: "One of the basic questions of composition for me is how to produce interesting sounds and what I can do with them (Xenakis dans Varga).

55 Dans Pithoprakta, le point de départ est la confrontation des états sonores (ou nuages) ponctuels - des pizzicati entre autres - avec les sons glissés de Metastasis. Pithoprakta confronte donc les notions de continuité et de discontinuité, et tous les passages de l’une à l’autre (de l’ordre au désordre, de la densité à la fluidité).

57 Chaque mouvement de l’œuvre est basé sur une note différente (Fa, Si, Sol#, et La).

Cette idée a été développée aussi, auparavant, par Stockhausen, mais d’une tout autre manière.

58 Toutefois, même avec des processus continus et graduels, à la fin on trouve aussi le discontinu, car l’état initial d’un processus n’a rien à avoir avec son état final. Xenakis a opiné à ce sujet: "Le rapport entre un élément musical et sa transformation est complètement causal et déterministe, mais si nous continuons à transformer cet élément dans un continuum de causalités, à un moment donné, sur le résultat final comparé à l’élément originel, il y aura un rapport de discontinuité et de hasard ou d’indéterminisme" (Xenakis dans Varga, 1996). Ceci est très semblable au phénomène dans le pôle de la discontinuité: les sons n’ont aucun rapport entre eux, c’est-à-dire qu’apparemment il n’y a pas de continuum; cependant, nous pouvons établir un rapport entre ces sons et créer ce continuum.

59 Ligeti a défendu le statisme de sa musique issue de la continuité comme une réaction contre la musique sérielle et le hasard total de Cage, des musiques qui ne contemplent que des successions d’événements et de pauses: "The reason why 'static' sound was in the air was that musicians were reacting to serialism and to Cage's aleatory ideas. More exactly, reacting to their basic formal structure, which is: event-pause-event-pause. Continuos sound is at the opposite pole" (Ligeti, 1983).

60 Il y a eu peut-être d’autres compositeurs avant Edgar Varèse qui ont travaillé avec des masses sonores, comme par exemple Charles Ives; pourtant, avec ces compositeurs il n’y a pas eu une conceptualisation sur la fonction de la masse sonore dans la musique.

61 L’individualité des éléments commence à disparaître quand la densité de la masse augmente. A ce moment-là, tous les éléments deviennent un seul organisme: la masse. Elias Canetti énumère dans son livre "Masse et puissance" les quatre propriétés fondamentales qui définissent la masse humaine: 1.- La masse tend toujours à s’accroître. 2.- Au sein de la masse règne l’égalité. 3.- La masse aime la densité. 4.- La masse a besoin d’une direction. (Canetti, 1966). Dans cette œuvre, on peut établir beaucoup de parallélismes entre le comportement des masses humaines et le comportement des masses sonores. En fait, certains compositeurs s’en sont servi d’elle pour s’inspirer.

62 Selon Durney (1972), Xenakis a décidé d’utiliser des opérations statistiques et de travailler avec la notion de densité pour rompre avec des conceptions traditionnelles de la musique, mais surtout avec celles qui se sont éloignées le plus du vrai caractère des phénomènes sonores (la musique sérielle): "...il fallait rompre avec le caractère fondamentalement linéaire de la polyphonie...Or, le meilleur moyen de dépasser la contradiction entre horizontalité et verticalité est de considérer les sons comme indépendants (statistiquement) les uns des autres et d’appliquer à leurs combinaisons la notion de densité, qui n’implique aucun caractère linéaire ni déterministe (Durney, 1972).

63 "I had to control so many events at the same time that I realized only probabilities could help" (Xenakis dans Varga, 1996).

64 "I listened to the sound of the masses marching towards the center of Athens, the shouting of slogans and then, when they came upon Nazi tanks, the intermittent shooting of the machine guns, the chaos. I shall never forget the transformation of the regular, rhythmic noise of a hundred thousand people into some fantastic disorder.....I would never have thought that one day all that would surface again and become music: Metastasis. I compose it in 1953-54 and call it starting point because that was when I introduced into music the notion of mass.....Almost everybody in the orchestra is a soloist, I used complete divisi in the strings which play masses of pizzicato and glissando" (Xenakis dans Varga, 1996).

65 Sauf pour sa composition Volumina pour orgue (1961), où il a utilisé un certain degré d’indéterminisme.

66 Ligeti n’utilise pas l’élément d’indéterminisme; pourtant, dans son écriture musicale il n’y a pas la volonté de la perfection d’exécution, et les petites erreurs issues d’une écriture de répétition compliquée contribuent à la création de textures élastiques.

67 Surtout quand on essaie de produire des multiphoniques. On sait que la production de multiphoniques avec la clarinette ne peut pas être contrôlée à un 100%, et pour cette raison, les traités de multiphoniques ne constituent que des approximations, car de petits détails dans la constitution de chaque instrument peuvent changer énormément le résultat.

68 Ligeti a écrit à ce propos: "My idea was that instead of tension-resolution, dissonance-consonance, dominant-tonic, pairs of opposition in traditional tonal music, I would contrast 'mistiness' with passages of 'clearing up'. 'Mistiness' usually means a contrapuntal texture, a micro polyphonic cobweb technique" (Ligeti, 1983). Le musicologue Griffiths nous parle aussi de cette nouvelle technique: "Contemporary works depend more on matters of texture than of harmony, counterpoint or thematic working....composition with textures requires attention to be paid to degrees of permeability (Griffiths, 1981).

69 Avec cette technique, Ligeti a essayé de créer un espèce de voile, des régions floues à travers lesquelles on perçoit les transitions musicales harmoniques: "The incessant repetition of small fragments brings about a blurring within which Ligeti’s processes of gradual harmonic change may be carried away with ease" (Griffiths, 1981).

70 L’indication de Ligeti du tempo de cette pièce est la suivante:

"Prestissimo = extremely fast, so that the individual tones can hardly be perceived, but rather merge into a continuum".

71 On a commencé à développer les techniques de synthèse de manière parallèle au travail du timbre instrumental (depuis les années cinquante), mais le développement de ces techniques a été lent à cause du retard technologique. On a déjà parlé de la première formulation musicale de la synthèse granulaire par Xenakis (à la fin des années cinquante), mais la théorie a devancé la technologie, puisque à ce moment-là il y avait très peu de moyens pour développer cette technique. Dans ce cas en particulier, il a fallu attendre plus d’une dizaine d’années pour que de grandes ordinateurs plus développés furent accessibles pour les universités de musique aux États-Unis, où Curtis Roads a réalisé la première application de synthèse granulaire automatisée pour ordinateur (Roads, 1978).

72 Ma proposition personnelle du point de vue pratique a constitué le développement du logiciel de synthèse granulaire formantique GiST (Eckel et Rocha Iturbide, 1995) (voir quatrième chapitre).

73 Comme compositeur, je voudrais parler surtout des œuvres électroacoustiques issues de mon travail de recherche avec certaines techniques de synthèse granulaire. Je crois que seulement dans mon travail personnel je peux parler le mieux des esthétiques issues, non seulement de la synthèse granulaire en général, mais aussi de la conception esthétique de base de cette technique constituée par les théories quantiques.

74 Si l’on tient compte des techniques granulaires d’analyse-synthèse et formantiques, qui sont en rapport avec les techniques de synthèse spectrales, la synthèse granulaire peut être considérée (à mon avis) comme la technique la plus riche en possibilités sonores.

75 Cette œuvre a été réalisée pour le film Orient-Occident de Enrico Fulchignoni.

76 Diamorphoses part d’une préoccupation formelle précise: l’étude, en quelque sorte, du bruit blanc et de ses graduations par des processus de densification (Matossian, 1981).

77 Ma définition de macro-granulaire est la suivante: un ensemble de notes avec haute densité et chacune avec une durée légèrement supérieure au quantum sonore le plus grand (Selon Truax, à 50 msecs on commence a entendre le grain comme une note), c’est-à-dire, plus au moins entre 50 et 300 millièmes de seconde.

78 Xenakis a lui-même conçu (avec l’architecte Le Corbusier) la construction du Pavillon Philips, désigné à partir des "paraboloïdes hyperboliques", et agrémenté de 400 haut-parleurs pour la représentation des œuvres électroacoustiques de Varèse et de Xenakis.

79 Concret PH aurait pu être réalisé avec une technique de synthèse granulaire; alors, on pourrait peut-être considérer cette pièce comme la première composition électroacoustique avec une esthétique granulaire asynchrone.

80 "Eimert, Stockhausen and later perhaps Kagel, who were the first to go in for electronic music, were serialists and endeavored to produce serial music with sine waves as well. Soon, however, they also used different kinds of sound because of the poverty of strict electronic sounds" (Xenakis dans Varga, 1996).

81 Pour une information plus approfondie des techniques algorithmiques utilisées par Xenakis dans cette pièce, voir les sections sur Xenakis dans le premier chapitre et la section sur le contrôle stochastique des grains dans le sixième chapitre. Il est dommage que je n’aie pu obtenir un enregistrement d’Analogique B pour effectuer une analyse. Je ne sais donc pas si le déclenchement des grains est asynchrone, presque synchrone, ou même complètement synchrone. D’après le commentaire de Durney, il paraît que l’organisation des grains est statistique: "..la formalisation du compositeur s’opère ici d’une façon plus englobant que jamais, puisqu’elle apporte une union étroite entre la nature du matériau (corpusculaire) et son organisation (statistique)" (Durney, 1972).

82 Un bonne exemple d’une pièce électroacoustique très texturel, qu’un ensemble instrumental ne pourrait pas jouer, est Bohor (1962), œuvre apparemment réalisée à partir de sons de percussion du type cloche évoluant dans un continuum sonore intermittent. Dans cette pièce il n’y a pas une conception granulaire; pourtant, les textures sonores de cette pièce pourraient curieusement être recrées actuellement au moyen de la convolution entre des processus granulaires conformés par des particules sonores synthétiques et des sons du type cloche.

83 L’UPIC (Unité Polyagogique Informatique de CEMAMu), s’est appuyée sur l’idée d’un interface constituée par une table où l’on désigne le son. Or, cette interface est idéale pour créer des sons continus; dessiner des grains sonores serait un peu absurde, et loin des possibilités humaines. Pourtant, il semble que dans les années quatre-vingt-dix, on a développé une fonction automatique pour produire des grains sonores.

84 On peut obtenir davantage d’information sur cette technique dans la dernière édition de Formalized Music (1992, Pendragon Press).

85 Une onde sonore peut changer dans le temps de manière continue ou discontinue, mais une onde est essentiellement un phénomène appartenant au continuum sonore.

86 Un état sonore spectral est celui qui est constitué par un ou plusieurs sons périodiques, c’est-à-dire, par des fréquences. Dans Riverrun, Truax fait apparaître de temps en temps une ou deux fréquences qui sont en rapport d’octave ou de quinte. Donc, l’utilisation des fréquences est très limitée; toutefois, le contraste entre les sons périodiques et les différents états sonores bruiteux établissent une gamme sonore complète. Or, l’harmonie et le rythme resteront comme des éléments très simples et non développés, tandis que la mélodie est complètement inexistante.

87 Selon Roads, il y a trois méthodes de granulation temporelle (j’ai ajouté une quatrième). Le système de Truax correspondrait aux deux premières méthodes: Effets changeants de temps/taux, et Granulation temporelle en temps réel d’un son alimenté à l’entrée. (Voir deuxième chapitre).

88 Pour une explication plus détaillée, voir le deuxième chapitre.

89 "With stretched sounds, one has time to refocus one’s attention on the inner spectral character of a sound, which with natural sounds is amazingly complex and musically interesting" (Truax, 1994).

90 "..the biggest obstacle that environmental sound erects to its musical usage is the fact that its meaning is inescapably contextual...that environmental sound acquires its meaning both in terms of its own properties and in terms of its relation to context. Therefore, it cannot be arbitrary as is the semiotic sign, because its own aural properties become inextricably associated with its meaning" (Truax, 1996).

91 Squizo-phonique est un terme inventé par Murray Schafer pour décrire l’effet psychologique "nerveux" causé (par exemple) par un son qui est mis hors de contexte (Truax, 1996).

92 Il est très curieux que cette même année (1990) j’aie composé ma pièce électroacoustique ATL pour bande seule, faite à partir d’un son d’un petit ruisseau (Rocha Iturbide, 1996). À la fin de cette composition, il y a des voix humaines qui émergent de l’eau, très semblables au bruit du grouillement du ruisseau. Les caractéristiques du timbre du son avec lequel j’ai travaillé (le son du ruisseau), plus un acte intuitif de mon inconscient qui m’a ordonné d’ajouter ma propre voix multipliée sur plusieurs pistes, me fait penser qu’il y a en vérité un symbolisme archétypique de l’eau qui se manifeste dans notre inconscient, comme l’image sonore d’une voix. D’ailleurs, un ami parapsychologue (élève de Carl Jung) a perçu des images dans mon inconscient reliés a ce symbolisme archétypique: "A man can see his real reflection in the water, and he sees an idealized image of himself that is a sort of angel. He reacts with resentment and reproaches his image of being a unuseful idealization.

- You have not helped me (the man says). The reflecting image sings and responds. - You reproach me, but I am your inspiration.

The singing of the man’s image is made out of water. There are streams that come out from the water that are sounds. - You sing through me, and I am not an image but something subtler. The image dissolves and becomes the singing. The man begins then to transcribe the singing of the water" (Jean Doudain).

93 Je pense à Pierre Schaeffer et à certains compositeurs acousmatiques fanatisés, qui ont rejeté l’utilisation du côté narratif des sons issus de l’environnement.

94 J’utilise le terme méta-musical pour parler des significations qui vont au delà de l’abstraction musicale, au delà du coté acoustique du son. On pourrait aussi dire extra-musicale.

95 Je me réfère ici à la technique de granulation temporelle en temps réel d’un son alimenté à l’entrée développé par Truax.

96 Idem.

97 Et aussi entre la manipulation abstraite et éloignée de l’essence du son, et la manipulation qui cherche à découvrir les caractéristiques intrinsèques du son (Rocha Iturbide, 1996).

98 Je me réfère aux techniques de synthèse granulaire qui ne contemplent pas une analyse.

99 Les techniques granulaires d’analyse-synthèse sont idéales pour la création des états sonores spectraux, mais elles ont le défaut de ne pas contempler le contrôle asynchrone des grains. Ces techniques se limitent donc à la création de sons isolés (que l’on combine ensuite au moyen d’autres techniques informatiques), ou bien, à la création des états sonores spectraux, mais où le traitement des grains se réalise toujours dans le continuum. Dans le cinquième chapitre, j’ai proposé la possible union des techniques granulaires d’analyse-synthèse avec les techniques granulaires traditionnelles, au moyen, par exemple, de grains complexes et flexibles tels que les ondelettes de Malvar (voir cinquième chapitre). Cette union - réalisée avec une même méthode de synthèse - permettrait le travail avec la masse et la texture sonore, mais aussi avec des états sonores spectraux, harmoniques, et même avec la mélodie et le rythme.

100 Dans le sixième chapitre j’ai proposé l’établissement de ponts entre le contrôle stochastique des grains et le contrôle symbolique des grains, ce qui permettrait un travail avec tous les aspects sonores au même temps. Or, ces idées n’ont pas encore trouvé une application.

101 Je décrirais plus loin, dans ce même chapitre, ma composition Transiciones de Fase pour quatuor à cuivres et ordinateur. Dans ce morceau, j’ai essayé d’utiliser les différents états sonores possibles en partant du timbre de sons cuivrés. J’ai utilisé différentes techniques de synthèse granulaire, mais aussi d’autres techniques de synthèse.

102 Il s’agit ici de compositions effectuées exclusivement au moyen des techniques granulaires traditionnelles.

103 Logiciel qui a été développé à l’IRCAM avec l’aide précieuse du chercheur Gerhard Eckel (Eckel et Rocha Iturbide, 1995).

104 Dans mon mémoire de maîtrise "Contemplation and Action" (1991), j’ai réalisé un étude de ces notions dans la musique instrumental et dans les compositions électroacoustiques que j’ai réalisées pendant cette période.

105 Le même échantillon a été filtré de différentes façons, et les différents sons résultants ont été mis en boucle avec un taux d’échantillonnage différent. Donc, j'ai eu les mêmes éléments micro-rythmiques déployés sur différentes échelles temporelles.

106 En réalité, en 1990 une connaissance (Robin Goldstein) avait commencé à faire des expériences de synthèse granulaire avec des grains synthétiques dans le studio de Mills College (elle n’avait fait que de petits exemples sonores). Pourtant, cela ne m’a guère intéressé. D’autre part, en 1990 j’ai assisté au festival de synthèse de Bourges en France où j’ai entendu Riverrun de Barry Truax. J’ai été très impressionné par cette composition sans savoir qu’elle avait été faite avec des techniques granulaires.

107 Le processus a été réalisé au moyen des "playlists" du logiciel Sound Designer . À cette époque je n’osais pas dire que ces "petits sons" étaient des grains sonores.

108 J’ai travaillé ici avec le continuum entre le son abstrait (manipulé à l’ordinateur) et le son dans son contexte d’origine. Dans ce chapitre j’ai décrit comment Barry Truax a travaillé avec des idées semblables pour ses compositions électroacoustiques granulaires (depuis 1987). Or, je ne connaissais ni les articles de Truax, ni ses compositions, et pourtant, j’étais en train de développer une esthétique voisine de la sienne.

109 "At the beginning one can distinguish clearly one station from the other, but at one point they become unclear and one only perceives small fragments of each one of them. From this moment on, a sound mass of great density and its dB level increment until it arrives at a thick white noise which is the union of all frequencies. At the climax of the piece the dB level goes down slowly until it dies" (Rocha Iturbide, 1991).

110 Carl Jung a conçu un système de quatre coordonnées (ou quatre dimensions), où le hasard et la synchronie se trouvent sur un axe polaire y, tandis que l’espace et le temps se trouvent sur un axe polaire x. Ce système est peut-être basé sur la conception de la relativité d’Einstein, mais je crois qu’il est proche aussi du principe d’interconnexion quantique (voir pied de page no. 36).

111 Pour une information plus poussée sur le programme que j’ai développé avec Csound et Patchwork, voir le deuxième chapitre.

112 Cette technique est une des modalités de la granulation temporelle décrites par Roads dans le deuxième chapitre (Granulation d’un ou de plusieurs fichiers sonores gardés dans la mémoire et exécution de leurs grains de façon asynchrone), mais il y a une grande confusion. Le terme granulation temporelle nous fait penser à la dilatation granulaire d’un son; or, quand on utilise plusieurs échantillons courts pour effectuer un nuage asynchrone, on peut voir que cette méthode se rapproche davantage, conceptuellement, de la synthèse granulaire asynchrone avec des grains synthétiques, où chaque grain a une complexité de timbre différent, et où l’on peut effectuer des évolutions de timbre très précises. Alors, peut-être que cette modalité devrait être nommée: Synthèse granulaire asynchrone à partir d’échantillons.

113 Les transitions de phase peuvent aussi avoir lieu dans le changement d’un état non magnétique à un état magnétique, ou dans le changement d’un état conducteur à un état supraconducteur (Gleick, 1987).

114 Mais ces slaps sont des sons à caractère chaotique, car l’instrumentiste n’a pas un contrôle sur le résultat sonore. Alors, deux slaps produits par le même instrumentiste avec exactement la même intensité et la même note vont donner une information spectrale différente.

115 Les résultats des analyses spectrales des slaps ont servi pour déduire la mélodie et l’harmonie de la pièce. C’est-à-dire, les rapports en fréquence entre les différentes partielles de chaque analyse ont été prises, et puis il y a eu une sélection d’intervalles avec laquelle j’ai travaillé. Or, même les sons de synthèse de certains parties de la pièce ont été créés à partir de l’analyse du timbre des slaps. Dans la deuxième section par exemple, j’ai développé une évolution spectrale de sons de synthèse au moyen de l‘analyse et de la resynthèse de plusieurs slaps (avec le programme Modèles de Résonance); puis, j’ai déduit les notes des instruments qui jouent au longue de cette section en partant de la partie électronique résultante. (Les analyses initiales des slaps ont été édités pour souligner les rapports en fréquence qui m’intéressaient le plus).

116 L’application du ratio 3:2 dans le niveau micro commence avec le rapport entre la durée de deux notes, puis on applique ce ratio aux motifs rythmiques, aux phrases musicales, et finalement aux cinq sections de la pièce qui constituent le niveau macro le plus global (où 3 sections sont linéaires, et deux sections sont non linéaires).

117 En réalité, ce qui change est la fréquence des partiels de ces grains. Voir l’explication qui suit.

118 Par macro-processus granulaire je veux parler de tout l’ensemble des nuages granulaires qui ont été mixés.

119 Quand la convolution a été effectuée entre un nuage granulaire synthétique et un son du souffle dans l’instrument, le résultat est une espèce de bruit blanc coloré. Voir "La synthèse granulaire et la convolution" dans le cinquième chapitre.

120 Pour un explication détaillée de la transposition spectrale des grains, voir "L’amplitude modulée, la modulation en anneau et la modulation single-sideband" dans le cinquième chapitre.

121 Dans le deuxième chapitre, j’ai expliqué comment on peut effectuer une granulation temporelle asynchrone à partir de plusieurs échantillons qui ont été transposés par pitch shifting. Voir "Synthèse granulaire avec Csound et PatchWork".

122 Ces attaques constituent la même note du début du processus (F#). On pourrait dire que Fa# constitue la note fondamentale du macro-processus granulaire. À partir de cette note, on construit une masse sonore qui monte à cause de la transposition de partiels vers l’aigu, puis elle descend à travers cette même transposition jusqu’à arriver de nouveau à Fa#. Or, dans la deuxième section, où j’ai réalisé la synthèse spectrale à partir de l’analyse des slaps et des attaques, il faut dire que ces sons avaient la fréquence Fa#. Donc, ici il y a eu aussi un processus à partir de cette note, mais un processus fréquentiel de caractère continu.

123 Je dit intuitif, car les éléments quantiques avec lesquels j’ai travaillé n’étaient pas conscientisés.

124 À l’IRCAM j’avais déjà développé un programme de synthèse granulaire asynchrone avec des grains synthétiques, et un autre de synthèse granulaire à partir de plusieurs échantillons (Curtis Roads l’appelle: "Granulation d’un ou de plusieurs fichiers sonores gardés dans la mémoire et exécution de leurs grains de façon asynchrone").

125 Cette conférence (qui a été nommée "The tuning of the world" ) a été organisée autour de Murray Schafer, un des précurseurs de la théorie de l’écologie acoustique.

126 Seulement au début de la pièce on perçoit un changement net sur la structure formelle. Sl-9 commence avec un bruit de statique de radio, puis la granulation temporelle de plusieurs crépitements des braises conforme un nuage granulaire bruiteux qui monte vers l’aigu et puis redescend. Ceci se doit à un changement drastique de fréquence dans la micro-structure des crépitements. Alors, la micro-structure de ces petits sons explosifs m’a permis d’évoquer l’explosion à grande échelle d’une comète avec Jupiter!.

127 Le fait que cette technique soit en temps réel augmente le risque du compositeur d’être hypnotisé par le processus micro-granulaire, et d’oublier ce qu’il voulait vraiment faire avec le son.

128 Les sons de différents animaux contiennent des éléments de fréquence plus clairs que les gouttes d’eau et les crépitements des braises. D’autre part, avec certains sons comme le chant des oiseaux, des cigales, des grenouilles, etc, j’aurais pu réaliser des nuages stochastiques plus colorés, et évoquer ainsi des évolutions entre un membre et un groupe des membres. Aussi, j’aurais pu établir un jeu rythmique et stochastique sur le niveau macro-granulaire, contrastant avec les processus micro-granulaires.

129 J’ai voyagé en Irlande seulement pour enregistrer des sons destinés à être utilisés dans cette pièce. La plupart des sons ont été pris dans les bars (Pubs), des endroits très vivants où l’on joue de la musique traditionnelle.

130 Ce poème gaélique a été écrit par un Moin Irlandais. Les poèmes du VIII siècle ont la caractéristique d’être courts, et de parler de la nature. Ils sont un peu semblables aux petites koans japonais. Voici le poème complet de Móin Mór , et sa traduction en français: "dar ind adaig I Móin Mór, feraid dertain ní deróil, dorddán frishtip in gahigon, géssid ós chaille clithar". "La nuit à Móin Mór est froide, la pluie déborde en torrents, un profond rugissement contre le vent qui rit haut, le sons de la forêt protectrice".

131 Voici les notes de la pièce qui concernent les techniques utilisées: "The principal synthesis technique used in the piece is granular synthesis in three different modes. Some sounds were transformed on Barry Truax system in SFU Vancouver Canada, other sounds were transformed on the ISPW station at IRCAM using FOF's as fundamental grains with a program designed by me in Max (using the FOG module designed by Gherard Eckel). The other granular sounds were made with Csound using Patchwork for generating the score files. Besides granular synthesis there is also some Convolution and reverberating filters used to transform sounds. The piece was digitally mixed at IRCAM. Móin Mór was awarded a nomination at the Borges electroacustic music contest in 1996, and the second prize at the Russolo contest in 1997" (Rocha Iturbide, 1996a).

132 Les sons issus de la granulation de la parole sont semblables aux sons de la nature tels que le bruit de la pluie et celui du vent décrits dans le poème Móin Mór (voir note 130). Pourtant, le rapprochement entre langue et nature se réalise davantage avec des consonnes granulées, car elles ont un caractère bruité. En revanche, avec la granulation des voyelles on reconnaît inévitablement la présence humaine grâce aux caractéristiques de leur spectre formantique.

133 Cette technique est une des quatre modalités de la granulation temporelle décrites au deuxième chapitre. Ceci peut prêter à confusions, car je n’ai effectué ni dilatations ni contractions des petits échantillons des consonnes, mais un mélange stochastique qui évolue dans le temps (voir note 112 ).

134 Programme réalisé en 1993 avec Csound et PatchWork en partant des orchestres créés par Roads( Rocha Iturbide, 1993). (Voir deuxième chapitre).

135 Chaque fois que l’on appuyait deux fois sur le space bar du clavier, la lecture recommençait et s’arrêtait à nouveau sur un nouveau point de lecture. Ceci permettait de chercher avec plus de facilité les sons granulaires synchrones plus riches et intéressants.

136 Le type d’enveloppe de lecture des grains (ou macro-grains) plus sa durée, produisent les effets d’amplitude modulée (voir deuxième chapitre).

137 Pour créer un état continu, il faut répéter un élément discret; ceci représente un acte de discontinuité. D’autre part, le bruit blanc est construit par une discontinuité totale des fréquences, mais la sensation auditive de ce bruit est celle d’un continuum stable.

138 Une tâche assez difficile, car un musicien n’a pas une base conceptuelle artistique, et un artiste plastique ne possède pas une connaissance approfondie du domaine sonore.

139 Par facteur temporel de relativité, j’entends une conception non linéaire du temps, où il n’y a ni un début ni une fin spécifiques. L’artiste sonore Max Neuhaus parle du rapport entre son et espace. "Je ne travaille pas avec le continuum temporel dans les réalisations qui se rapportent à des endroits précis. Il n’y a ni début ni fin; ces réalisations sont des textures de sons continus produites, non pas au moyen de la diffusion d’une bande magnétique mais par la mise en place d’un processus qui génère le son. Ce processus ne se développe pas dans le temps comme pour la musique. Ce peut être parfois une texture dynamique; des événements vont se produire, mais on n’a pas le sentiment d’aller d’un début vers une fin" (Neuhaus dans Bosseur, 1992).

140 Il y a cependant des œuvres ouvertes ou le public ne participe pas, comme c’est le cas des processus auto-génératifs par ordinateur dont je parlerai plus loin.

141 Voir note précédente et sixième chapitre.

142 Dans ces processus de rétro-alimentation on peut trouver le plus haut degré d’interaction.

143 Il y a des œuvres d’art où le processus est l’objectif, et d’autres où le résultat est plus important que le processus. "In some cases, the process of interaction is the art. In others, there is a clear product of interaction such as a music performance or an image. The ambiguity of ‘where is the art is, for us, one of the attractions of this approach" (Dannenberg & Bates, 1995).

144 Car si l’on veut créer quelque chose de fixe qui se répète, à ce moment-là on n’a pas besoin d’un ordinateur.

145 Les musées ou les galeries n’ont pas les moyens d’acheter un ordinateur avec des programmes spécifiques, et avec une carte de son DSP. Alors, l’artiste est obligé de fournir la sienne, mais il ne peut pas le laisser très longtemps puisque c’est son outil de travail

146 Dans ces deux cas, l’œuvre devient ouverte car elle change continuellement; cependant, il n’y a pas d’interaction avec le public.

147 Mon installation sonore récent, Mecanismos de absolución de deshechos (Mécanismes d’absolution de déchets) comprend trois haut-parleurs intégrés dans une salle de bain; l’un dans le W-C, l’autre à la place d’une ampoule, et le troisième comme une extension de la sortie d’eau du lavabo. Chaque haut-parleur a son propre interrupteur pour être activé, et donc, on peut avoir sept différentes combinaisons de ces mécanismes sonores (numéro 1 seule, numéro 2 seule, 3 seule, 1 et 2, 1 et 3, 2 et 3, ou 1, 2 et 3). De plus, le fait de activer chaque mécanisme à des moments différentes donne comme résultat une déphasage toujours différent des séquences sonores en boucle.

148 L’exemple parfait de l’œuvre d’art ouverte est le mobile, une sculpture dont les éléments changent continuellement dans l’espace, mais qui gardent une connexion précise entre eux; celle-ci établit certaines limites du mouvement, ce qui lui donnera une cohérence structurelle.

149 Le problème de la synthèse granulaire en temps réel est que l’on a besoin d’ordinateurs puissants avec des cartes DSP. Or, à cette époque (1994) ces machines étaient trop chères. Aujourd’hui, il y a des applications de synthèse granulaire en temps réel (tels que Super Collider) pour des ordinateurs qui sont à la portée du grand public.

150 James McCartney a crée aussi synth-O-matic (voir deuxième chapitre), logiciel qui constitue un précèdent important pour la conception de Super Collider.

151 En réalité, le logiciel GiST pourrait marcher dans d’autres centres de recherche qui ont acheté la carte DSP de l’IRCAM. Pourtant, on peut compter ces centres sur les doigts de la main. Gerhard Eckel a réalisé un séjour au Centre des Arts à Banff, Canada pour réaliser une installation sonore. Or, puisque ce centre possède un ordinateur NEXT avec une carte ISPW de l’IRCAM, il a profité pour utiliser le logiciel GiST. Malheureusement, je ne sais pas quels ont été les résultats de son travail.

152 J’espère quand même me procurer bientôt un Macintosh Power PC et un de ces logiciels pour développer ma propre application de synthèse granulaire en temps réel, et créer ainsi une installation sonore interactive. Cependant, même avec un Macintosh PC et avec un logiciel approprié, j’aurait toujours besoin de construire ou d’acheter un interface MIDI de senseurs analogiques.

153 Ce phénomène dans une micro-échelle me rappelle un phénomène semblable dans une macro-échelle. Dans l’orbite d’une planète, il semble qu’il existe la possibilité de l’inférence d’un phénomène chaotique qui pourrait faire sortir la planète de son orbite et la lancer hors du système solaire.

154 En réalité, le facteur de la durée décroissante n’est pas constant dans le processus de rebondissement réel. J’ai mesuré le rythme décroissant d’une balle de ping-pong qui rebondit par l’effet de la gravité pour le vérifier et j’ai trouvé que le ratio logarithmique commencé en 0.8 mais qu’il augmente graduellement jusqu’à 0.94 (peut-être a cause de l’augmentation de la friction de la balle contre le sol). Or, j’ai décidé de fixer un ratio pour donner une structure fractale à la structure temporelle totale, et j’ai utilisé un ratio inférieur (0.666) pour des raisons musicales, car le processus logarithmique de durées qui diminuent se produit plus rapidement, et il est ainsi plus facilement perçu. D’autre parte, le ratio 0.666 correspond à la proportion d’or.

155 Chaque valeur de durée nouvelle est toujours multipliée par 0.666. Par exemple, si l’on commence avec une durée de 180 secondes, dans le pas suivant, cette durée sera réduite par la multiplication: 180 * 0.666 = 119 secondes; puis cette nouvelle durée (119 secondes) sera encore multipliée par le ratio 0.666, donnant la valeur de 79 secondes, et ainsi de suite.


 

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