Les boulangers

Autrefois, le peuple n’était guère charitable pour les gens de métiers, surtout pour ceux dont il pouvait le moins se passer et qui lui rendaient quotidiennement des services. C’est ainsi   que les meuniers, les tailleurs, et les boulangers placés au premier rang des artisans auxquels chacun avait affaire dans la pratique ordinaire de la vie étaient plus particulièrement visés par les allusions blessantes et les dictons malveillants. Un proverbe prétendait que cent meuniers, cent boulangers et cent tailleurs font trois cents voleurs. On reprochait communément aux boulangers d’acheter les grains pour les accaparer et d’employer de faux poids pour peser le pain.

            La législation était alors très sévère pour les boulangers. En 1577, Henri III publiait un édit les obligeant à tenir en leurs fenêtres des balances et poids légitimes afin que chaque acheteur puisse peser lui-même son pain. On leur prescrivait en outre d’imprimer dessus leurs marques particulières, afin de discerner les pains que feraient les uns et les autres pour en répondre. Au milieu du XVIIIe siècle encore, le « Code de police » ajoutait que les balances devaient être « suspendues à une hauteur suffisante pour que les bassins ne reçoivent point de la table des contrecoups ménagés au profit du vendeur, par une adresse frauduleuse ».

            Les peines qui frappaient les contrevenants étaient fort sévères : elles comportaient la confiscation de la marchandise, la démolition des fours ou l’ordre de les murer, l’amende, la perte du métier, et, au Moyen-Age, la flagellation publique. En 1541, un boulanger de Paris, chez lequel on avait trouvé des pains ayant six onces de moins que le poids légal, fut condamné à faire amende honorable devant le portail de l’église Notre-Dame en tenant un cierge d’une livre de cire, à demander pardon à Dieu et à la justice, à payer une amende de huit livres parisis, et à subir un emprisonnement. En 1739, le boulanger chargé de la fourniture du grand et du petit Châtelet est condamné à deux mille livres d’amende pour avoir altéré le pain des prisonniers. En 1757, à un moment de disette, on ordonna aux boulangers du Havre de cuire et d’être toujours nantis de pain à peine de trois jours de carcan, trois heures par jour, en prévision de quoi on en mit un sur la place de la mairie. Enfin à Augsbourg, en Allemagne, le boulanger pouvait, en certain cas, être mis dans un panier au bout d’une perche et plongé dans un étang d’eau boueuse.

            En France, lorsqu’on taxa les habitants pour payer la rançon de François Ier prisonnier de Charles Quint après Pavie, il se trouva un boulanger de Bordeaux, nommé Demus, qui, imposé à cinquante écus, en mit trois cents dans son tablier et vint lui-même les offrir au roi. Très riche, ce boulanger passait pour posséder une « main de gloire », à l’aide de laquelle il s’était enrichi. « On prétend, maître, lui dit alors François Ier, que vous avez une main de gloire ? - Sire, répondit Demus, une main de gloire, c’est se lever tôt et se coucher tard; »

            En Provence, on surnommait le boulanger « Brulo pano, gasto farino » (1) et à Paris « criquet » ou « cri-cri ». On les appelait aussi « mitron ». On a voulu faire dériver ce mot de la coiffure des boulangers en forme de mitre.

            Au XVIe siècle, les compagnons boulangers étaient assujettis à des règlements de police très sévères. Une ordonnance de 1569 dit qu’ils devaient être essentiellement en chemise, en caleçon, sans haut-de-chausses, et en bonnet, dans un costume tel, en un mot, qu’ils fussent toujours en état de travailler et jamais de sortir, hors les dimanches et les jours de chômage réglés par les statuts. « Et leur sont faîtes défenses de s’assembler, porter épées, dagues et autres bâtons offensibles; de ne porter aussi manteaux, chapeaux et haut-de-chausses, sinon les jours de dimanche et autres fêtes, auxquels jours seulement leur est permis porter chapeaux, manteaux de drap blanc ou gris, et non autre couleur, le tout sous peine de prison et de punition corporelle, confiscation desdits chapeaux, chausses et manteaux ».

            Au XVIIIe siècle, un compagnon boulanger exposait dans un opuscule de huit pages, intitulé « La misère des garçons boulangers de la ville et des faubourgs de Paris », les inconvénients du métier, dans un tableau quelque peu poussé au noir.

Campé devant mon four avec ma rotissoire,

J’endure autant de mal que dans un Purgatoire...

Il est vrai que le diable était parfois surnommé le « boulanger » (2) : il est aussi noir que le boulanger est blanc, et il met au four de l’enfer.

BOURREE Fabrice,
d’après un article d’Eric Dancourt paru dans la revue HISTORAMA n°9.

(1). « Le pain brun, le gâteau farineux ».
(2) On trouve encore l’expression dans Balzac.