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Vie et oeuvre de l’une des plus grandes voix du 20e siècle par Pirouz Djoharian

Ghamar Moluk Vaziri (II)

La carrière musicale : concerts, enregistrements et collaboration avec la Radio

samedi 10 janvier 2009, par sarang

Suite de la 1re partie

2.1 Le concert de "Grand Hôtel"

En 1926, lorsque Qamar arrivait à sa vingtième année, elle donna son premier concert public à Grand Hôtel, salle située dans l’avenue Laleh-zar de Téhéran. Dans ce concert, son maître Morteza Khan NeyDavoud, l’accompagnait au târ. Ce concert fut déterminant tant pour la carrière de Qamar que pour la situation des artistes iraniennes.

C’était en effet la première fois qu’une femme chantait en public, devant une assemblée masculine. Jusqu’alors, les femmes ne pouvaient chanter que dans les assemblées exclusivement féminines ou des les harems des rois ou des princes.

En outre, Qamar était la première femme qui chantait sans le voile (negab). Comme elle le dit elle-même : "à cette époque toute femme qui sortait sans le tchador était arrêtée par la police". Mais Qamar accepta la proposition de chanter en public. Il faut savoir qu’à cette époque, même la réputation de "chanteuse" était une insulte. Les hommes et les femmes ne se déplaçaient pas côté à côté dans les rues et les femmes n’avaient même pas le droit d’assister aux concerts.

Un autre aspect important du concert de Grand Hôtel est que c’était un détonateur pour inciter les poètes et compositeurs engagés de l’époque à s’appuyer sur les performances vocales de Qamar pour composer de nouveaux tasnif-s pour propager et faire connaître leurs idées. Les auteurs et les compositeurs rêvaient d’être choisis par Qamar .

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Grand Hotel
Salle de concert, célèbre en particulier pour les concerts mémorables d’Aref et de Qamar

2.2 Autres concerts

En 1928, Qamar donna un concert au bénéfice de Shokrollah Ghahremani, connu également sous le nom "Shokri". C’était un joueur de târ connu surtout pour sa collaboration avec Aref Ghazvini. Il avait interrompu sa carrière pour raison de santé.

En 1930, lors d’un voyage au Khorasan, un général de l’armée, Amanollah Djahanbani, demanda à Qamar de donner un concert pour récolter des fonds destinés à l’édifice de la mausolée de Ferdowsi. Qamar accepta cette proposition et chanta de façon bénévole dans ce concert. Qamar racontait elle-même : "Djahanbani me remercia d’avoir chanté bénévolement à ce concert. Même s’il se donna beaucoup de peine, il y eut de nombreux détournements et escroquerie. Tout ce qu’il m’a resté de ce voyage était un petit tapis qu’un commerçant m’avait offert et puis un habit traditionnel Afghan que Sowlat-ol-Saltaneh m’a offert en guise de souvenir.

En 1931, en compagnie de Neydavoud, Qamar donna un concert à Hamedan (voir Ghamar 3e partie). Les revenus de ce concert ont servi à construire un cinéma dans cette ville.

En 1934, Qamar donna un concert à Kermanshah, grande ville située dans l’ouest de l’Iran. Il était accompagné encore une fois par Neydavoud. De même elle donna un concert à Racht (dans le nord) en compagnie de Moussa Ma’roufi. Ce dernier raconte que : "Même si les billets se sont vendus à 52 Toumans, au retour, on n’avait plus rien dans les poches. Qamar avait fait don de la recette du concert aux femmes qui travaillaient dans les rizières.

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Qamar, Amirjahed et Mortez Khan NeydAvoud

2.3 Style et particularités du chant

Comme nous l’a rapporté de Morteza Neydavoud, la voix de Qamar était à la fois chaleureuse est puissante. Morteza Khan disait que ces deux qualificatifs se réunissaient très rarement chez une même personne : "par exemple, Habib Shater Hadji (chanteur d’Ispahan) avait une voix très puissante sans avoir la chaleur et l’attrait de la voix de Qamar". La voix de Qamar était encore plus puissante que la sienne, tout en restant belle et chaleureuse aussi.

L’étendue de la voix de Qamar était dans la limite d’une mezzo-soprano. Elle était capable d’exécuter les vocalises [1] aussi bien dans le registre bas (ou bam) qu’en dans le registre haut (ou owj). Elle pouvait alors chanter facilement le owj de Dashti ou de Esfahan dans le registre haut, alors que beaucoup de chanteurs sont obligés de passer à l’octave inférieur. De ce fait, parmi les chanteuses de l’époque, c’est uniquement Rouh Anguiz qui peut être comparée à Qamar.

Un autre attribut remarquable de la voix de Qamar c’est sa grande justesse qui, même dans les vocalises et glissandi compliqués, ne perdait jamais le ton. Les vocalises de Qamar étaient très variés. Ostad Khaleqi [2] raconte que Taher Zadeh [3] lui avait confiait que "quand j’ai entendu l’enregistrement de la voix de Qamar, j’ai pensé que c’était moi-même qui chantait". Selon Khaleqi, rien que cette citation suffit à elle toute seule à montrer le niveau et la qualité du chant de Qamar. La maîtrise de Qamar dans le chant apparaissait aussi bien dans les tasnifs que dans les awaz.

2.4 Enregistrements

La renommée grandissante de Qamar attira les compagnies de disque étrangères. Elles envoyèrent alors des représentants en Iran pour enregistre Qamar . Morteza Neydavoud raconte que la compagnie His Master Voice (HMV) avait envoyé un système destiné uniquement à l’enregistrement exclusif de Qamar . De même que la Compagnie Polyphon importa en Iran un système destiné à enregistrer la voix de Qamar . La Compagnie demandait à Qamar d’enregistrer un tasnif et un awaz. Ainsi durant six mois, Mohammad Ali Amir Jahed composa deux tasnif-s par semaine. Qamar apprenait chaque tasnif en une soirée et elle l’enregistrait le lendemain. Les disques en question ont été enregistrés en 1926 à Tehéran, reproduits ensuite en Allemagne. Ainsi qu’il a été dit précédemment, ces enregistrements constituaient la deuxième série d’enregistrements de Qamar pour Polyphon (voir Ghamar 1ere partie).

Dans la majorité de ces enregistrements, Qamar est accompagnée par le târ de Morteza Neydavud ou Arsalan Dargahi, tous deux des anciens disciples de Darviche Khan. Dans d’autres enregistrements, Qamar est accompagnée au violon par Moussa Neydavoud (le frère de Mortéza) et Morteza Mahjoubi au piano. Dans les premiers enregistrements c’est Mirza Hossein E’tezadi, joueur de tar aveugle, qui accompagne Qamar .

En 1951, Qamar participa dans un film intitulé "madar" (la mère) produit par "Pars Film". Elle appairait dans ce film dans plusieurs scènes d’une durée totale de 20 minutes. Elle chante quelques morceaux dans le dastgah Afshari. La chanteuse Delkash apparaît également dans quelques scènes. Qamar fit don de la quasi-totalité de ses recettes à l’hôpital de tuberculeuse (sanatorium ).

Dans la figure ci-dessous on peut voir les étiquettes de quelques disques de Qamar : "Asheghi mehnat besyAr keshid" (Un amoureux supporta un grand peine) avec le târ de Arsalan Dargahi (1927). "Awaz Nava" en 1932 et "Atash-e del" (1937) tous deux accompagnés par Moussa Neydavoud au violon et Mortéza Mahjoubi au piano.

Durant les 54 années que Qamar vécut, elle enregistra 426 disques, parmi lesquels de nombreuses interprétation d’awaz et près de 200 tasnifs (environ une vingtaine de disques restent introuvables). Les premiers enregistrements datent de 1305 H.S.. Malheureusement, les compagnies qui enregistraient la voix de Qamar ont péries pendant la seconde guerre. C’est pourquoi on ne peut plus trouver des disques de Qamar qui soient neufs ou de bonne qualité. Il est intéressant de noter également que Qamar a fait don des recettes de son premier enregistrement à la mairie, pour l’achat de 70 lits pour être utilisés dans les orphelinats.

2.5 Collaboration avec la Radio

Depuis la création de la radio en 1940, Qamar a collaboré avec cette institution. Elle était accompagnée par Habib Samaï au santour, Abolhassan Saba ou Hossein Yahaghi au violon ou encore par les frères Ma’arefi au violon et au tar. Ainsi Qamar était la première femme dont la voix a été diffusée par la radio.

Dans les dernières années de la collaboration de Qamar avec la radio, les studios de la radio étaient équipés de magnétophones et un grand nombre de bandes magnétiques furent enregistrées à partir des émissions diffusées. Mais, par maladresse ou bien par malveillance et la jalousie de certains chanteurs(es) nouvellement parvenus, ces bandes furent effacées pour être utilisées pour d’autres enregistrement.

Le seul enregistrement resté à la radio est une émission enregistrée en compagnie d’Ismaïl Kamali, un des élèves de Neydavoud. Cette émission, qui est une interprétation du mode Afshari, a été enregistrée après la l’accident cérébral de Qamar. Elle ne représente donc pas réellement la qualité de la voix de Qamar.

Une autre émission fut enregistrée après le second accident cérébral de Qamar. Dans cette émission, où participaient plusieurs jeunes chanteuses (Elaheh, etc.), Qamar avait complètement perdu sa voix. Pendant toute la durée de l’émission, elle n’a fait que pleurer et n’a pu prononcer que quelques mots.

A suivre

Notes

[1] tahrir

[2] Grand compositeur, musicologue et musicien, mort en 1965, voir http://fr.wikipedia.org/wiki/Ruholl...

[3] Hossein Taher Zadeh un des plus grands chanteurs de la musique persane, mort en 1955


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