LES CHANGEMENTS D’HUMEUR

MANIFESTATIONS PSYCHO-COMPORTEMENTALES

GENERALITES

Alors que les déficits cognitifs liés à la maladie ont suscité d’innombrables travaux, les manifestations psycho-comportementales ont été beaucoup moins étudiées jusqu’à ces dernières années. Elles sont pourtant les premières manifestations de la maladie ainsi que la principale cause de retentissement sur les personnes en charge et, à ce titre, une cause essentielle d’institutionnalisation.

La littérature scientifique décrit la maladie d’Alzheimer en terme de déficits cognitifs et de troubles comportementaux. Cette description paraît témoigner d’une conception réductionniste de la maladie et de la vie mentale. Le comportement que nous observons est la manifestation non seulement des troubles liés à la maladie, mais également des efforts du patient pour y faire face. La démence est une nouvelle façon de vivre pour le sujet.

Les modifications de l’humeur sont habituellement décrites sous le seul chapitre de la dépression. Les réactions dépressives sont fréquentes, mais les vraies dépressions sont rares.

L’HUMEUR

L’humeur des patients oscille entre deux pôles qui d’ailleurs, ne sont pas exclusifs l’un de l’autre, d’une part, un pôle d’émoussement affectif caractérisé par une monotonie de l’affect, une réduction des expressions émotionnelles, une perte de la recherche du plaisir et, d’autre part, un pôle d’hyper-expressivité comportant des manifestations d’anxiété et d’irritabilité.

Il faut aussi noter que, lorsque la démence est sévère, les manifestations dépressives ne sont pas toujours faciles à déceler et qu’elles peuvent prendre la forme de comportements indirects d’autodestruction ou d’une accentuation transitoire des troubles du comportement et même d’un épisode confusionnel.

Chez certains patients, les modifications de l’humeur, à l’inverse, se font dans un sens d’une gaieté anormale, avec une humeur enjouée, facétieuse qui s’accompagne le plus souvent d’une négation des difficultés et du fait d’être malade (anosognosie).

LES IDEES DELIRANTES

Les premières ne sont habituellement pas décrites comme des idées délirantes car elles sont en rapport avec une mauvaise représentation des événements, directement liée aux troubles cognitifs, par exemple les fabulations, les fausses reconnaissances ainsi que certaines erreurs concernant les données personnelles qui relèvent de la condensation événements séparés, confusion d’éléments passés et présents, le patient ne reconnaît pas sa maison comme sa maison, son conjoint n’est pas le conjoint ou il est dédoublé.

Le patient peut également se comporter comme si des personnes décédées vivaient toujours, leur parlant, mettant leur couvert ou voulant leur rendre visite. Parfois il ne se reconnaît pas dans la glace et se parle comme à une personne étrangère. Le plus souvent, le patient est convaincu de la réalité de ce qu’il voit ou fait.

Les secondes sont plus habituellement réservées au nom d’idées délirantes, aux convictions erronées qui se rapportent à la signification des événements ou à la nature des motivations d’autrui. Elles sont le plus souvent fugitives, non systématisées, stéréotypées et sans conséquence sur la vie quotidienne. Les plus fréquentes sont les idées de vol ou de jalousie vis-à-vis de la famille et de l’entourage.

LES HALLUCINATIONS

Les hallucinations n’ont aucun caractère particulier. Le plus souvent il s’agit d’hallucinations visuelles, colorées ou non, représentant des personnes, des animaux ou sans formes. Des hallucinations auditives peuvent être également observées, plus rarement des hallucinations gustatives. Elles seraient plus fréquentes chez les sujets présentant des idées délirantes et une pathologie des organes des sens. Elles peuvent être observées à tous les stades de la maladie, parfois même comme signe révélateur.

Dans l’ensemble, bien que certaines apparaissent très liées aux déficits cognitifs, les manifestations psychotiques ne sont pas liées à la sévérité de la démence et peuvent être observées à un stade précoce de la maladie. Dans certaines études, elles apparaissent néanmoins témoigner d’une évolution plus sévère de la maladie.

 Il n’est pas toujours aisé de séparer manifestations cognitives et psychoaffectives, plus ou moins étroitement imbriquées.

LA PRISE EN CHARGE

La prise en charge des difficultés psycho-comportementales doit tenir compte que beaucoup d’entre elles sont sous-tendues par les troubles cognitifs et par les réactions du sujet pour s’adapter à ces troubles. La réponse aux manifestations comportementales est trop souvent uniquement médicamenteuse.

Il est illusoire d’espérer supprimer les réactions dépressives et anxieuses, dues aux difficultés cognitives, par la simple prescription d’antidépresseurs ou d’anxiolytiques. De plus, l’action de ces médicaments ne peut être la même chez des sujets dont le cerveau ne présente qu’un simple dysfonctionnement et chez les sujets présentant des altérations structurales du cerveau qui modifient la cible biochimique de ces médicaments.

Il est donc nécessaire d’évaluer systématiquement ce qui peut être amélioré par les médicaments et ce qui relève d’une action psychothérapique.

Il est prudent de s’abstenir d’antidépresseurs ayant une réaction anticholinergique car ils risquent d’accroître le déficit cognitif et de provoquer un état confusionnel. Il est préférable de les prescrire à doses efficaces, mais de limiter dans le temps leur utilisation. Les neuroleptiques sont efficaces en cas de phénomènes psychotiques, beaucoup moins en cas d’agitation.

Professeur Christian DEROUESNE
Chef de Service à l’Hôpital de la Salpêtrière.