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Langage et pensée, quelles interactions?

 

Véronique BOIRON

Maître de conférences en lettres à l’IUFM de Bordeaux, chercheure au DAESL, Bordeaux 2
chercheure associée au LEAPE, Paris 5, spécialiste du langage,

 

Le développement de l’enfant apprenti-interprète
Presses Universitaires du Mirail

 

Véronique BOIRON défend l’idée qu’il faut développer « la machine à penser » à l’école, car aucun autre lieu ne peut le proposer. L’école favorise notamment les interactions entre les enfants et entre l’adulte et l’enfant. Or, 7 à 10% d’enfants de petite section ont un langage déficitaire et parmi eux, 40% risqueront de présenter une déficience en lecture-écriture au CE1.
Beaucoup d’enfants sont dans une grande souffrance langagière.

Le langage c’est :

On peut différencier deux formes de langage :

 

Parler / penser ensemble, c’est :

La rupture entre maison et école est nécessaire au développement, mais elle doit être aménagée et progressive. L’enfant est souvent dans un désert affectif et cognitif, parce qu’il ne reconnaît rien dans l’école qui appartienne à son environnement familial.
A l’école, il existe deux dimensions langagières : le langage à apprendre et le langage pour apprendre, celui des disciplines. Or, le langage de l’école : faire de la peinture, sortir en récréation, passer aux toilettes, compter, observer, classer… est complètement inconnu pour certains élèves. Ainsi, « faire de la peinture » peut signifier pour certains mettre un tee-shirt trop grand ou se salir les mains ! Il faut donc prendre en compte deux pôles : le langage de l’élève et celui de l’enseignant. Celui-ci doit veiller à la précision des termes qu’il emploie : « Vous allez découper des mots et écrire une phrase. » devrait plutôt être formulé : « Vous allez découper des étiquettes avec des mots et vous les collerez dans l’ordre pour que cela fasse une phrase : le chat dort sur le lit. ». C’est le langage de l’enseignant qui donne des appuis cognitifs aux élèves et assure les apprentissages.
On sait qu’il existe de grandes différences entre les expériences vécues par les enfants. Certains ont reçu essentiellement des discours injonctifs familiaux, « Mange », « Ne fais pas ça... », alors que d’autres ont rencontré une grande quantité d’expériences langagières avec des interlocuteurs différents. Certains enfants ont acquis une forme de langage proche de la forme écrite du langage et donc plus proche de la norme scolaire. On comprend aisément que, pour certains jeunes élèves, la langue de l’école soit ressentie comme une langue étrangère dans sa forme, ses fonctions et ses enjeux. « L’école, c’est très exotique pour certains enfants. »  

Le système éducatif accentue ces inégalités en présupposant des acquisitions et des compétences antérieures à l’entrée en maternelle. Pour aider les élèves en difficulté langagière, il faut continuellement se rappeler qu’ils sont confrontés pour la première fois à cette langue inhabituelle ou avoir à l’esprit cet écart. (ex : faire un gâteau à la maison renvoie à une dimension affective, on veut qu’il soit bon, on veut faire plaisir ; à l’école, ce n’est qu’un prétexte pour en parler, pour remettre en ordre des images, des étiquettes …et on ne se préoccupe pas vraiment qu’il soit bon ou non).
Prendre son temps, n’est pas perdre son temps. L’école est un lieu de co-existence des valeurs et des pratiques culturelles. Enseigner des mots sans les concepts, ne permettra pas aux enfants d’utiliser correctement ces mots. On doit aussi laisser les enfants s’exprimer avec leurs mots, afin qu’ils pensent.


Les enseignants doivent reformuler leurs attentes, ajuster leur pratique et, ce faisant, assurer des apprentissages sur un mode explicite (l’enseignant et l’élève savent et disent ce qu’ils font, pourquoi et comment ils le font).Ils peuvent engager l’élève au dialogue, reformuler, commenter, ralentir la parole, marquer davantage l’intonation, construire des pratiques sociales, mutualiser les savoirs et les savoir-faire, construire une compréhension dialoguée, assurer la progression des échanges. Le maître est tuteur du langage. L’expertise du maître dans le choix des supports, la taille des groupes d’enfants, la formulation des consignes est déterminante. Il ralentit le débit de la parole, accentue l’intonation, scande son texte...c’est la première grammaire de l’enfant.
L’enseignant doit parler des activités proposées, tout particulièrement avec les élèves en difficulté. Aujourd’hui on sait que, pour ces élèves, il faut différer ou suspendre l’action, car le fait d’agir masque l’activité intellectuelle. Il faut aussi éviter de l’écraser de paroles. Il faut lui soumettre ce qu’on a cru comprendre de son discours, afin que l’enfant intériorise progressivement le dialogue avec l’adulte.
L’école offre donc un cadre propice à l’échange régulé, sans risque. Son expérience va être verbalisée par l’adulte et donc pensée. Une compréhension dialoguée va s’établir.
En conclusion, une pensée fondamentale est en jeu à l'école. Cette pensée concerne l'ensemble des apprentissages scolaires dans un processus long et le plus souvent collectif de scolarisation des objets, des pratiques et des outils intellectuels que la vie quotidienne sollicite peu, voire pas.

L'école est, pour la très grande majorité des enfants, un lieu unique pour assurer le développement d'un langage qui devient progressivement une activité culturelle collective et constitutive de la pensée intériorisée de l'enfant et de l'élève.

A l'école, tous les enfants ont la possibilité de développer des activités langagières qui engagent le développement de la pensée : comprendre, réfléchir, questionner, construire un point de vue, etc. permettent de se construire comme un être pensant pour soi et pour autrui. Cet être pensant fait partie d'une communauté-classe, dans laquelle la parole et la pensée sont le plus souvent collectives, mais qui offre l’opportunité de développer la pensée de soi comme semblable et fondamentalement différente de celles des autres. Penser ensemble permet de se penser soi-même dans sa singularité et dans l'altérité. C'est alors que peut émerger la mise à distance des objets, des pratiques, des relations au monde familières et familiales, des émotions non contrôlées et du point de vue unique.

 

 

 

 

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