L'enfant malvenu était enterré vivant en Perse, immolé
en offrande à Carthagène, en Grèce le père pouvait d'un simple signe devant
témoins signifier l'abandon de son nouveau-né, à Rome ce droit était dévolu au
paterfamilias jusqu'à ce que l'Etat romain en quête de soldats pour ses
conquêtes substitua l'esclavage avec possibilité de libération à l'élimination
physique (cf. le cas d'Octave adopté par César (101 - 44 av.
n.e.) et futur empereur Auguste).
Il a fallu attendre le 6ème siècle (et le
code Justinien (528 - 534) et la loi de 553 pour que l'infanticide et les
transactions sur les enfants esclaves soient sévèrement punis et
l'avènement de l'Islam au 8ème siècle pour que ces pratiques soient
interdites à tout musulman (cf le cas de Zaïed offert comme esclave au prophète qui
l'adopta après l'avoir libéré).
Les premiers hospices pour enfants abandonnés virent le
jour en Europe à partir du 14 ème s et c'est grâce à l'action sans relâche de
Saint Vincent de Paul (1581 - 1660) qu'un peu d'humanisme se fit jour dans la
société européenne.
C'est après la seconde guerre mondiale et la maîtrise
progressive de la procréation que la valeur affective de l'enfant prend un
sens. Un projet sur les Droits de l'enfant proposé en 1953,
fût mis de côté, la CIDE ne vit le jour qu'en 1989 après des années de débats
et de multiples réserves pour tenir compte de la philosophie des états (qui ne
l'ont d'ailleurs pas tous ratifiée).
L'engagement quasi général de la communauté mondiale à
défendre les Droits de l'enfant et la promulgation d'une législation pour
garantir sa protection où qu'il se trouve, témoigne de la prise de conscience
par les Etats signataires, des besoins fondamentaux incontestables de
l'Enfant.
Après des siècles de stagnation (on a pu parler de
période de glaciation) en matière de sauvegarde de l'enfant abandonné, la
société occidentale s'est progressivement dégagée de l'inhibition religieuse
rétrograde qui frappait d'opprobre toute naissance hors mariage et a pu ainsi
envisager des solutions au profit de la mère et de l'enfant.
L'action pour promouvoir un véritable humanisme au
profit des plus démunis, a grandement contribué -pour ce qui concerne
l'adoption- à la définition d'une réglementation qui tient compte des progrès
sociaux, des exigences de la modernité et du respect de la liberté des
femmes.
Le dernier demi siècle, a enregistré les plus belles
pages de l'émancipation de la femme et de l'adoption dans la société
occidentale.
Il en va tout autrement pour la société musulmane où le
Code de Statut Personnel puise ses règles dans les interprétations des
écritures sacrées des 1ers siècles de l'Islam.
Un bref rappel historique permet de saisir les raisons
des prescriptions qui ont fondé le Droit musulman pour ce qui concerne la
famille et l'adoption.
Dans la société pre-islamique jusqu'à l'époque du
prophète, coexistaient deux systèmes d'union différenciés par le statut de la femme dans
chacun d'eux et impliquant des différences fondamentales en matière d'éthique
et de droit, ce sont : le système matrilinéaire et le système patrilinéaire.
Dans le système matrilinéaire la filiation est
incontestablement établie par la mère qui demeure dans sa tribu avec son enfant
après le mariage.
Il n'en va pas de même dans le système patrilinéaire où
seule la chasteté de la mère, légitime la filiation paternelle de l'enfant et
son appartenance à la tribu de l'époux.
A l'instar de la religion chrétienne, l'islam a
privilégié le système patrilinéaire; il a pour ce faire, opté pour
l'institution du mariage.
Il a considéré la famille comme la structure de base
fondamentale de la société, il édicta des principes et des règles pour la
protéger contre toute transgression, illustration flagrante d'une possible
survenance.
Selon l'origine de la privation de parents, l'islam
classe les enfants en 3 catégories: légale (enfants nés dans le
mariage), illégale (nés hors mariage), d'origine inconnue (enfants
trouvés).
Il pose le principe que
l'origine d'un acte qualifie ses conséquences, un acte illégal ne peut
engendrer que des conséquences illégales, l'enfant né hors mariage est par
conséquent illégitime et ne peut prétendre à une filiation.
Cependant toute latitude est laissée aux docteurs de la
Loi pour imaginer les solutions les plus appropriées, propres à garantir la
paix sociale.
Ainsi fût fait durant des siècles, dans un esprit de
générosité envers la mère et l'enfant, quelquefois au mépris du bon sens pour
tempérer les conséquences de la fameuse maxime latine dura lex, sed lex (la
loi est dure mais c'est la loi).
Afin d'éviter les éventuelles controverses relatives à
la filiation d'un enfant, le législateur musulman a décidé que tout enfant né
d'une mère mariée appartient réellement ou putativement au lit du mari, et doit
donc être systématiquement inscrit dans sa filiation.
Afin d'écarter autant que faire se peut le doute sur la
paternité de l'enfant à naître, il est exigé de la femme veuve ou divorcée de
respecter un délai de viduité couvrant plusieurs cycles menstruels avant de
pouvoir se remarier;
Afin d'éviter les naissances hors mariage (illégitimes),
la polygamie est reconduite et il est recommandé aux parents de marier leurs
filles dés la puberté, dès qu'elles sont en âge de procréer.
Les maternités hors mariage sont prohibées, les
précautions juridiques sont prévues pour qu'il n'y en ait point et s'il
advenait qu'une femme mariée soit enceinte alors que le mari est absent depuis
plus de neuf mois, la tradition confortée par certains imams (hommes de loi)
permettait le recours à un subterfuge qui consistait à admettre que la
grossesse pouvait durer très au-delà de la gestation normale, jusqu'à 3 ou même
5 ans selon l'imam Malek.
Chaque société engendre des mécanismes régulateurs de
tension sociale en fonction de ses valeurs.
On peut considérer l'adoption comme l'un de ces
mécanismes qui consiste à pallier les conséquences d'une privation parentale et
secondairement l'absence d'enfant.
C'est l'enveloppe d'une sauvegarde éthique, dont la
forme juridique dépend de la culture et du degré de prégnance des traditions
dans le pays considéré à une période donnée.
Elle participe de l'éthique d'une société, elle change
avec elle et présente de ce fait une dimension historique qui relativise sa
conception dans le temps.
Hormis en Tunisie,
l'adoption en tant que sauvegarde avec filiation, est prohibée dans tous les
pays où l'islam est religion d'État.
Dans ces pays, la sauvegarde de l'enfant privé de
famille est conçue différemment selon le degré d'engagement des militants de
l'enfance et de l'esprit d'ouverture des décideurs.
Les articles 20 et 21 de la CIDE traitent des
obligations de l'État en matière de protection de l'enfant privé de famille,
L'article 20 évoque l'adoption comme une des
sauvegardes possibles à côté de la kafala de droit islamique sans
aucun jugement de valeur sur l'une ou l'autre;
L'article 21 rappelle les principes et la réglementation
en vigueur en matière d'adoption.
Aucune ouvre de placement n'existe dans les Etats
musulmans, lesquels sont juridiquement tuteurs des enfants privés de famille
jusqu'à ce qu'ils soient confiés en kafala ou tutelle légale.
La kafala peut être prononcée simplement par
devant notaire ou judiciaire objet d'un jugement.
En Algérie la seule autorité compétente pour ce faire
est le Directeur de l'Action Sociale par délégation du wali (préfet).
L'enfant est confié en kafala après enquête
sociale de la famille postulante qui doit le considérer comme son propre enfant
et peut, s'il est d'ascendance inconnue, lui donner son nom patronymique par
décision du ministre de la justice; pour autant, l'enfant mekfoul
(adopté) n'en a ni la filiation ni ses attributs (héritage notamment).
En Algérie la kafala judiciaire est recevable
pour la concordance de nom à condition que l'enfant soit d'ascendance inconnue
ou que la mère biologique ait préalablement donné son consentement par écrit à
ce changement de nom ce qui n'est pas le cas dans les autres pays musulmans où
la concordance de nom entre " kafil " et " mekfoul " est
absolument prohibée.
Ce progrès dans le droit algérien date de février 1992,
il est le résultat de deux années d'efforts de l'AEFAB pour convaincre le
Conseil Supérieur Islamique de la nécessité d'une fetwa dans ce sens, fetwa
signée en aoüt 1991 et préalable comme pour tout amendement apporté par le
gouvernement au Droit des personnes.
Tout en respectant certains principes fondateurs le
droit se doit d'être constamment aménagé pour refléter la réalité sociale et
culturelle du pays où il s'applique.
Dans la mesure où le développement de certaines
activités met en relation deux ou plusieurs pays, des conventions
internationales sont négociées, elles définissent les responsabilités des
parties et préviennent autant que faire se peut, les empiétements de
souveraineté qui pourraient survenir et les voies de leur traitement en cas de
survenance.
Ces conventions sont évidemment nécessaires, elles
représentent avant tout une obligation morale, obligation plus ou moins
contraignante selon la volonté des signataires.
Pour l'enfant abandonné, l'adoption nationale ou
internationale à défaut, est ce qui peut lui être offert de plus précieux
puisqu'elle lui permet de grandir et de s'épanouir dans une famille de
substitution désireuse de le considérer comme sien et de l'investir en tant que
projet singulier.
Certaines dispositions de la Convention internationale
des droits de l'enfant (CIDE), signée et paraphée à la quasi unanimité des
membres de l'ONU traite justement de ce sujet.
La recherche par ses rédacteurs du consensus le plus
large sur l'ensemble du texte, a aboutit à certains compromis en matière
d'intérêt supérieur de l'enfant autorisant les pays signataires à appliquer à
l'enfant accueilli chez eux la loi de son pays d'origine en matière
d'adoption.
Ceci est illustré par le fait qu'un français ne peut pas
adopter un enfant abandonné algérien, du fait qu'en Algérie l'adoption n'existe
pas stricto sensu , qu'elle a pour équivalent la kafala.
Non seulement il ne peut pas l'adopter mais il ne peut
même pas obtenir pour lui un visa de séjour en France, alors que les règles de
conduite en matière de protection de l'enfant sont clairement définies par les
dispositions de l'article 21 de la CIDE, en effet ;
l'alinéa 2, assujettit la protection de remplacement, à la
conformité à la législation nationale ;
l'alinéa 3, admet la kafala de droit islamique au même
titre que l'adoption; en conséquence la kafala devrait être reconnue au
même titre que l'adoption dans les pays où cette dernière est admise lorsque
sont respectées les dispositions visées par l'article 21 qui traite de
l'adoption et qui imposent deux conditions préalables à toute
adoption :
1/ l'intérêt supérieur de l'enfant ,
2/ les autorisations des autorités compétentes pour
l'accueil de l'enfant.
La kafala de droit algérien répond précisément à ces deux
conditions,
L'intérêt supérieur de l'enfant privé de famille est assuré par
la famille kafila à qui il est confié et qui le prend pour sien de façon
continue et permanente;
L'autorisation des autorités compétentesest donnée par acte doublement
authentifié:
- une première fois par le tribunal qui délivre la
kafala judiciaire à la famille kafila (adoptive),
- une seconde fois par le ministre de la justice qui
autorise le kafil (adoptant) à donner son nom patronymique à l'enfant
mekfoul (adopté).
Si adoption et kafala participent toutes deux du
même désir de permettre la vie,
si kafala et adoption répondent au même titre à
l'intérêt supérieur de l'enfant,
si les sentiments kafil/mekfoul sont de même
intensité que ceux adoptant/adopté,
si les peines et les joies dans l'un et l'autre cas sont
éprouvées avec la même force,
si l'intérêt supérieur de l'enfant et l'autorisation des
autorités compétentes sont assurés par la kafala pour quelle raison
l'adoption simple, ne s'appliquerait-elle pas à l'enfant mekfoul ?
Heureusement qu'en matière
de droit rien n'est jamais définitif, il se trouvera des législateurs français
pour trouver - le plus tôt serait le mieux - une solution à ce problème dans
l'esprit du génie français.
Juillet 2004
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