• La fête des toros et la ville

  • La Plaza Mayor et son adaptation aux arènes

  • L’arène en tant que batiment autonome

  • La philosophie des lumières et la formation d’un genre

  • La nouvelle ville du XIX ème siècle et la « Monumental »

 

 

 


    PLAZA DE TOROS   

 Depuis ses origines, la « Fête des toros » a maintenu un lien très fort avec la ville qui a toujours été, avec d’autres spectacles publics,n le support et la scène de la fête collective.

Du toro encordé tiré à travers les rues les jours de mariage, face obscure et plébéienne de la fête, qui semble être auprès de quelques auteurs les bases de la tauromachie moderne ; du toro de feu qui perpétuait le rite magique de l’annonce du triomphe de l’aurore la nuit du solstice d’été ; du toreo chevaleresque jusqu’à la fête tumultueuse et populaire des toreros à pied ; de la fête enfin au spectacle, les toros et la ville ont maintenu une fructueuse relation dialectique, une influence réciproque d’intérêt pour la cité (rue, place et arène).

Celle-ci aura été le support d’une des fêtes espagnoles les plus traditionnelles.

Le travail de cet ouvrage prétend faire approximativement, avec les études sur les « plazas de toros », l’analyse de l’évolution et de la transformation de l’espace urbain. De la place publique jusqu’à l’édifice autonome : la plaza de toros, ce sera une réflexion où se croiseront et se superposeront l’histoire, l’architecture et la ville.

 L’évolution de la fête des toros et son incidence sur la ville, les études sur les centres urbains et leur spécification pour la fête, les édifices déjà construits au XVIIIe siècle pour le développement de la corrida, définissent le long chemin et l’itinéraire compliqué qu’il aura fallu faire pour encadrer la fête afin de mettre fin aux débordements enthousiastes créés par la participation collective et jubilatoire du peuple.

 La place principale Castillane, apparue au moyen age, a déjà été conçue en pensant à l’évolution de ces fêtes et célébrations avec ses portiques en partie basse et ses vastes balcons en haut. Elle va être le lieu naturel où seront célébrées les fêtes des toros. Les installations en bois démontables telles qu’échafaudages et barrières, tribunes et gradins ferment les rues d’accès à la place et constituent le dispositif architectural qui permet de transformer un espace ouvert en un lieu fermé pour la fête. La place publique à travers ce processus de spécialisation s’est transformée en « plaza de toros ».

 Parallèlement à cette adéquation moyennant la superposition de ces structures portables, vont se construire les torils, arènes en bois, enclos rectangulaires ou circulaires démontables et provisoires situés la plupart du temps à l’extérieur de la ville.

 Une analyse de ce qui entoure la fête (ville, place ou construction) conduira l’urbanisme vers l’architecture autonome à travers la concordance des places publiques, principales ou octogonales, et de toutes une série d’édifices qui, peu à peu, vont se dégager des éléments urbains jusqu’à trouver un nouveau concept celui des « plazas de toros ».

 Dans la représentation de ce nouvel édifice seront présents les éléments formels constitutifs des places publiques. En en formant l’intérieur, supports et arches en seront les éléments essentiels.

L’évolution de ce nouveau type de construction, depuis les modèles construits au milieu du XVIIIe siècle jusqu’à nos jours, en polygone ou circulaire, avec ou sans logement accolé, des premières arènes circulaires aux arènes monumentales, nous trouverons toute une série de transformations qui conduiront à la présence chaque fois plus marquée d’un rajout qui finira par se transformer en un élément déterminant en sa forme.

Ces gradins de bois, peu nombreux, installations provisoires formant les premières enceintes fermées, augmentent avec la croissance de la fête. Ils vont prendre lentement de l’importance jusqu’à faire disparaître les antiques arches ou les réduire en une corniche en couronnement. Nous sommes devant un édifice qui présente des liens étroits avec l’amphithéâtre dans lequel les gradins et les espaces comiques seront les éléments fondamentaux qui définiront les plus récentes « plaza de toros ». 

Mais ce retour à l’amphithéâtre va supposer à notre avis une perte qualitative comme valeur architecturale, et seul restera dans ce nom de lieu la mémoire d’un édifice né dans la ville. 

Mais au risque de se détacher de la finalité de ces pages (l’analyse des enceintes urbaines ou architecturales où se sont tenues les premières rencontres de l’homme et du toro, jusqu’aux corridas actuelles) et conscient de l’impossibilité d’offrir un discours linéaire sur les différentes étapes d’évolution de la fête des toros, nous croyons intéressant de proposer quelques images fugaces de l’origine de l’évolution. 

Depuis les thèses qui soutiennent la provenance musulmane des corridas de toros et sa pratique postérieure par les espagnols, aux théories diffusées par les écrivains des XVIe et XVIIe siècles qui soutiennent le lien avec les jeux romains, il apparaît toute une série d’interprétations qui lie sa provenance culturelle à d’autres civilisations.

 Néanmoins, récemment et pour la majorité des historiens, on suppose une origine autochtone ibérique de la fête du toro.

 Pour certains il faudrait chercher ces ancêtres dans la famille des aurochs, les taureaux sauvages. L’homme doit alors venir à bout de trois taureaux féroces en luttant avec sa seule force dans un combat sans merci. Les peintures rupestres qui montrent les premiers combats avec les toros suggèrent déjà la mise en place de l’enjeu et du leurre en témoignant de la participation tumultueuse et anarchique d’une concurrence très forte. L’engouement joyeux se concrétise avec la célébration d’un banquet populaire, rite sacré qui commémore la survivance de la collectivité. 

L’archétype de la « capea », art de tromper le toro avec la cape en tentant d’esquiver son attaque, se trouve déjà dans les premières chasses afin de se nourrir avec les taureaux sauvages. 

La découverte de quelques monuments pré romains qui attestent de l’existence d’un culte dédié au toro (toro de Guisando, stèle de Clunia, monnaies ibériques, etc.) ainsi que les documents fournis par l’ethnologie (par exemple le toro de San-Marco, rite qui perdurera jusqu’au XVIIIe siècle et consistait à porter un toro en procession à la messe le jour de la San- Marco), les différentes versions des « corridas de feu », attachant les torches de feu aux cornes des toros et les laissant courir librement à travers champs la nuit précédente, vont établir comme le dit Cossio, les origines des corridas dans la sphère religieuse, trouvant confirmation dans quelques pratiques rurales en relation avec le toro.

N’importe quelle analyse du torero devra être faite en étudiant non seulement les forces réelles externes qui l’on produit, mais également celles non apparentes qui se sont réfugiées et dissimulées en mythes, rites et magie.

 Le rite populaire du toro nuptial se base sur la magie de l’homme et du toro afin de travailler à la transmission de la puissance, une transmutation des vertus magiques du toro. Il paraît logique de supposer qu’il y a, déjà au XIIIe siècle, une grande tradition qui pourrait être aussi à l’origine, à travers une curieuse série d’influences ancestrales, des corridas de toros.

 Ce rite populaire les jours de mariages, dans les pratiques rurales, consiste à l’origine à faire courir devant le toro, probablement attaché, les amis du marié jusqu’au domicile de la mariée. Une fois arrivé il est saigné en utilisant pour cela les armes du courage, des harpons, des couteaux, flèches et javelots. La transmutation magique doit se produire par contact avec les vêtements de la mariée et des invités, contact destiné à transmettre les vertus sacrées de l’animal : virilité et pouvoir pour le jeune homme ; fertilité pour la jeune femme.

 Les écrits les plus anciens que nous possédons se réfèrent au type de fêtes où les toros courent de manière désordonnée et où la population en est la protagoniste. Nous nous référons aux miniatures des Cantiguas de Santa Maria d’Alphonse X, le savant, au XIIIe siècle. Un de leur poème contenu dans ce manuscrit ancien fait référence à la coutume du toro nuptial en Estrémadure et apparaît illustré par une magnifique miniature où l’on peut voir le toro hérissé de dards et banderilles courageusement posés par un peuple retranché derrière les murs tout autour de l’animal.

 L’usage des banderilles dans le toreo moderne, de même que la cape, constitueront la continuité et la survivance de ces autres formes d’origine rituelle. 

Le fil conducteur de ce discours fécond sur le toreo moderne, cassé quelquefois mais toujours vivant et passionnant commence à travers les multiples et diverses célébrations des jeux avec le toro. On arrive à la corrida actuelle, en croisant les rites magiques, religieux et païens avec la mythologie chargée d’épisodes où le toro apparaît toujours comme détenteur par excellence du pouvoir génétique et de la fécondité. 

Dans les différentes étapes de la lutte entre l’homme et le toro, après la première période de la pratique de la vénération du toro sauvage, des historiens signalent la présence de quelques personnages nommés « matadors ou matatoro ». Leur existence reste à vérifier depuis la fin du XIe siècle. Leur mission consiste à tuer à pied, probablement avec une épée les toros qui sont blessés et poursuivis par les participants à la corrida. Cette profession qui est arrivée à être bien rétribuée, assumait avec la mort du toro la direction du combat. 

Mais c’est à partir du milieu du XIIIe siècle, avec la promulgation du « code des 7 parties » par Alphonse X le savant, que se produit une révolution sur la forme et les caractères des corridas.

 Ces lots considèrent comme infâmes, ces hommes qui tuent ces toros braves pour de l’argent. En revanche elles considèrent comme licites, chevaleresques et courageuses les démonstrations sans appât de gain.

 En d’autres mots, la course de toros sauvages est réservée à la noblesse dès l’instant où le cavalier le fait gratuitement, posant ainsi les bases juridiques qui ont permis la construction de ce que deviendrait le toreo chevaleresque. La fête du toro organisée à l’occasion des mariages aristocratiques se transforme rapidement en exercices de cavalier influençant d’autres jeux que la noblesse pratique dans les grandes occasions (jeu de rubans et de cannes, joutes, tournoi, etc.). Cette phase du toreo chevaleresque qui depuis le XIIIe jusqu’au XVIIIe siècle va dominer les festivités grâce aux dispositions légales prises par Alphonse X va priver la fête de ses racines populaires en la plaçant au service exclusif de la magnificence de la noblesse. 

L’appropriation de la fête taurine par les gentilshommes, pendant cette longue période, apporte la réduction des espaces urbains, dans lesquels traditionnellement se sont développés les jeux taurins aux limites de la place publique. 

La création d’un espace spécifique dans la ville (la plaza major) pour le déroulement de la fête constitue l’ébauche de ce que devront être les arènes de toros. Un parcours sur l’architecture de ces espaces urbains nous permettra de réfléchir sur les liens maintenus entre la fête du toro et la ville et dans quelle mesure le cours du temps et l’évolution de la fête, tout au long des siècles, a caractérisé les centres urbains et architecturaux où a pris place cette vibrante et tragique commotion d’une fête tumultueuse et classique, festive et surprenante : rite, fête et spectacle. 

Guillermo Vasquez Consuegra. 

 

 

 


  OPINION  

La tauromachie est un fait culturel recouvrant une grande diversité de manifestations et de pratiques.

Emergeant d’un tissu d’anciennes croyances, elle a peu à peu conquis son espace dans les villes et inspiré des formes architecturales spécifiques. 

Elle ne peut être détachée d’une histoire et d’un environnement sociologique et culturel, d’une attitude par rapport à la vie, à la mort, à la renaissance, dont elle est pétrie et dont elle renvoie, les portant à une densité extrême, une image ritualisée. 

Temps et lieu où une communauté se rassemble et se reconnaît, la tauromachie, créatrice d’une identité, est portée par une tradition vivante, celle d’un terroir dont les racines plongent loin dans nos mémoires méditerranéennes. 

Elle demeure aujourd’hui un moment privilégié de rencontre, de convivialité, de fête, comme en témoigne la Féria d’Arles dont le succès grandissant tient notamment à ce qu’elle est profondément inscrite dans la réalité locale et régionale. 

Parce que la corrida touche au sacré, à l’identité et aux valeurs d’une société, quelle est constitutive de la cohésion de ses membres, tout travail sur son histoire et sa mémoire en éclaire la fonction, le sens, et la replace dans son contexte. De ce point de vue, l’exposition « Plazas de Toros » est le fruit d’une recherche bienvenue sur la relation séculaire entre la cité et la fête taurine, menée dans la région d’Andalousie à laquelle tant de liens nous unissent.

L’exposition nous montre l’évolution des fêtes et des jeux taurins et, progressivement, leur place dans la structuration de l’espace urbain ainsi que les réalisations architecturales auxquelles ils donnent lieu.

Une telle exposition, qui a voyagé dans le monde entier, ne pouvait qu’être accueillie dans notre Région, à Arles, dans ce delta où le taureau, animal emblématique, est l’objet d’une véritable passion populaire.

Je remercie l’association Arte y Toro qui nous présente cette exposition, à l’occasion de la féria pascale, avec le concours de la Ville d’Arles, de la Direction des Arènes, et le soutien de la Région Provence Alpes Côte d’Azur. 

Ainsi, emplie des échos des fêtes d’hier, la fête d’aujourd’hui n’en sera que plus éclatante. 

Michel Vauzelle

Président de la Région Provence Alpes Côte d’Azur.


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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