CRUELLE IDÉE DE PETITE FILLE


Une fillette, de sept ans a attaché sa petite soeur à la queue d'une vache, qui s'élança, traînant le bébé et le broyant sous ses sabots.

Deux fillettes du village de Suré, près de Mamers, étaient aux champs, à garder les vaches. L'aînée des enfants, âgée de sept ans, eut la malencontreuse et cruelle idée d'attacher sa soeur, âgée de trois ans, à la queue d'une vache ; l'animal, effrayé, partit en courant, traînant sur le sol et heurtant de ses sabots la pauvre petite qui hurlait de terreur.
Quand les parents purent accourir, l'enfant était méconnaissable, avait le crâne fracturé et était morte.

VARIÉTÉ

Déplacements et villégiatures d'autrefois

La maladie à la mode. - Tout le monde a la « bougeotte ». - Le Parisien, jadis, était casanier. - Voyage de Paris à St. Cloud. - Les plaisirs de la chaise de poste et les incommodités de la diligence. - Excursions dans la banlieue. - Le coche d'eau. - Charmes de la lenteur et volupté de la vitesse.

Un de nos écrivains célèbres a, voici quelques années, inventé un mot nouveau pour définir une épidémie qui, régulièrement, chaque année, sévit sur les générations actuelles aux premières approches de l'été.
Il a appelé cette maladie, ou plutôt cet état pathologique, la « bougeotte ».
La bougeotte... tout le monde, aujourd'hui a la bougeotte. Qui de nous n'en ressent les atteintes dès qu'avril a fondu la neige ?... Quel citadin ne meurt d'envie de fuir à la campagne ou à la mer ?... Quel campagnard ne désire venir passer quelques jours d'été à Paris ?... Qui ne prend au moins une fois dans l'année le train de plaisir qui mène aux plages encombrées ?
Le ciel a beau demeurer incertain, la température rester froide, la bougeotte sévit tout de même. Il faut qu'on voyage en dépit de la pluie... Voyez cette année. Jamais, au cours des siècles, vit-on plus désastreux été ? Les météorologistes eux-mêmes en sont sont scandalisés, eux qui font profession de ne s'étonner de rien... Eh bien! malgré les averses et les bourrasques, malgré le froid, tout le monde quitte Paris ou songe à le quitter ; la foule des voyageurs se précipite vers les gares, les autos ronflent sur les routes.
C'est la bougeotte.

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Nos aïeux, sauf quelques exceptions, n'ont pas connu la bougeotte. Avant 1850, il y avait encore à Paris une foule de Parisiens pour qui leur ville était tout l'univers. Les bons bourgeois qu'a dépeints Balzac, les petits rentiers du Marais, les commerçants de la rue Saint-Denis n'avaient pour la plupart, jamais dépassé les moulins de Montmartre. Tout au plus avaient-ils poussé quelquefois jusqu'au bois de Romainville.
Ces Parisiens, qui sont aujourd'hui si volontiers migrateurs, étaient naguère quasiment attaches au pavé de leur capitale; ils y passaient l'été comme l'hiver et ne s'en plaignaient pas. Un journaliste qui chroniquait il y a moins d'un siècle dans une grande feuille de Paris, raillait ses contemporains de se montrer si casaniers :
« L'idée d'un voyage disait-il, est celle qui entre le plus difficilement dans leur esprit. La plus forte tête de l'Estrapade ou de la Cité permet à peine à son imagination de s'égarer à une lieue des barrières. Ces respectables citadins savent bien, par tradition, qu'il y a quelque chose au delà de Montmartre et de Pantin ; mais de quelle importance cela peut-il être à des yeux habitués aux merveilles de Paris ?... »
Aussi, quelle affaire d'état qu'un voyage pour ces êtres aux goûts sédentaires ! le moindre déplacement leur causait les pires tracas. C'étaient des précautions sans nombre ; on emportait force bagages, et l'on ne manquait jamais, avant de partir, de faire son testament.
Crébillon fils s'est fort égayé, au XVIIIe siècle, de ce ridicule des Parisiens. Il nous en montre un qui se prépare à faire un Voyage de Paris à Saint-Cloud. Voilà ce que cet audacieux explorateur emporte avec lui.
« Je n'avais plus, dit-il, que quelques jours devant moi pour me disposer à partir. Je commençai par faire blanchir tout mon linge, que j'étageai dans une malle, avec quatre paires d'habits complets de différentes saisons ; deux perruques neuves, un chapeau, des bas et des souliers aussi tout neufs ; et comme j'avais entendu dire qu'en voyage il ne fallait s'embarrasser de bagage sur soi que le moins possible, je mis dans un grand sac de nuit tout mon nécessaire ; savoir : ma robe de chambre de calmande rayée, deux chemises à languettes, deux bonnets d'été, un bonnet de velours aurore brodé en argent, des pantoufles, un sac à poudre, ma flûte à bec, ma carte géographique, mon compas, mon crayon, mon écritoire ; un sixain de piquet, trois jeux de comète, un jeu d'oie et mes heures ; je ne réservai pour porter sur moi que ma montre à réveil, mon flacon à cuvette plein d'eau sans pareille, mes gants, mes bottes, un fouet, mon manchon de renard, mon parapluie de taffetas vert, ma grande canne vernissée et mon couteau de chasse à manche d'agate... »
C'est de la satire, évidemment, mais de la satire qui frise la vérité. Les Parisiens d'alors avaient l'amour de leur « home » à tel point qu'ils ne le pouvaient quitter ; et s'ils se décidaient à se mettre en route, il leur fallait emporter en voyage tous les objets dont ils se servaient chaque jour... Et les bagages de s'empiler.
Que de Parisiens d'aujourd'hui ressemblent sur ce point-là à leurs ancêtres.

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On a dit pis que pendre des voyages d'autrefois. Certes, le commun des mortels n'avait pas toutes ses aises. Mais les gens fortunés qui pouvaient s'offrir le luxe de la chaise de poste voyageaient dans les conditions les plus agréables.
Alfieri, dans ses Mémoires, exprime tout le plaisir qu'il éprouva lorsque, tout jeune homme, il fit son premier voyage en chaise de poste. Quelle joie d'aller grand train !... Le postillon, excité par un bon pourboire, lançait ses chevaux « comme la foudre » et le jeune poète frémissait : « Cette rapide allure, dit-il, me donnait un plaisir tel que jamais je n'en avais éprouvé de pareil ». Or, savez-vous quelle était cette folle allure qui donnait à Alfieri de si vives sensations ? .. Trois lieues à l'heure !... Les cyclistes les moins expérimentés font mieux que cela à l'heure actuelle.
Mais les charmes de la chaise de poste n'en étaient pas moins réels. D'aucuns les regrettaient lorsque l'invention des chemins de fer les eut abolis.
Mme d'Agoult (Daniel Stern) assure dans ses Souvenirs que rien n'était plus gai que la façon de voyager des gens riches avant les chemins de fer :
« On commandait chez soi, à son heure, les chevaux de poste ; on s'installait dans une bonne berline disposée pour y dormir la nuit au besoin ; on y avait de la lumière pour le soir, avec tout ce qu'il fallait pour prendre ses repas. Des guides - c'est ainsi que s'appelait le pourboire des postillons - portés de quelques sous au-dessus de la taxe réglementaire, mettaient tout l'attelage en belle humeur ; on partait au galop ; les fouets claquaient, les grelots sonnaient ; les parements écarlates, les boutons de cuivre des postillons reluisaient à merveille. »
Ce sont, en somme, les mêmes charmes que retrouvent les voyageurs fortunés d'aujourd'hui dans la pratique de l'automobile.
Mais si la chaise de poste était pleine d'agréments, on n'en pouvait pas dire autant de la diligence. Là, c'étaient l'entassement, la promiscuité, tous les ennuis des transports en commun qu'il fallait subir des journées entières.
Pour les grands voyages, la diligence partait le plus souvent de nuit : on quittait Paris à minuit. A onze heures et demie, il fallait être dans la cour des Messageries pour occuper la place qu'on avait retenue plusieurs jours auparavant. On s'empilait à l'intérieur de l'énorme voiture à moins qu'on ne préférât voyager en plein air, dans le « cabriolet » avec le conducteur, ou sur l' « impériale », parmi les colis.
Un poète du début du XIXe siècle a célébré en vers l'exactitude de la diligence.

On n'attend pas, chacun se place.
Sous le poids de l'horrible masse,
Déjà les pavés sont broyés :
Les fouets hâtifs sont déployés,
Qui, de cent diverses manières,
Donnent à l'air les étrivières...
Nos coursiers, ce bruit entendu,
Connaissant la verge ennemie,
Rappellent leur force endormie :
Ils tirent ; nous les excitons ;
Les cochers jurent : nous partons.

Et voilà le lourd véhicule qui roule sur le pavé de Paris, avec un vacarme de ferrailles à réveiller les morts. Ils sont une trentaine d'êtres vivants dans cette formidable bagnole, y compris les postillons et les animaux domestiques de la suite des voyageurs. Pendant deux, trois, quatre jours, cela dépend de la longueur du trajet, ils vont être obligés de se supporter les uns les autres, et le voyage n'ira pas sans quelques querelles. Jugez dans quel état de fatigue les malheureux voyageurs arrivaient à Bordeaux, à Lyon, à Marseille, après plusieurs jours de ce régime, après plusieurs nuits passées dans les auberges des relais où le confortable et la nourriture n'étaient pas toujours de premier ordre. Et vous comprendrez qu'on ne voyageait guère alors pour son agrément et que les bons bourgeois de Paris avaient maintes bonnes raisons pour se montrer casaniers.

***
A la veille de l'invention des chemins de fer, la plupart des Parisiens de la classe ouvrière n'avaient pour ainsi dire pas voyagé. La banlieue suffisait, leurs goûts
vagabonds. Le dimanche, on allait Courtille, dîner dans quelque guinguette, chez Desnoyers, ou à l'auberge du Grand Vainqueur, ou bien on poussait, tout en haut de Belleville, jusqu'à l'Ile d'Amour. De là, on n'avait qu'un saut à faire pour être aux Pré-Saint-Gervais et gagner le bois de Romainville.
Le bois de Romainville, c'était le bois de boulogne du peuple.

Qu'on est heureux,
Qu'on est joyeux,
Tranquille
A Romainville !
Ces bois charmants
Pour les amants
Offrent mille agréments.

Le bois de Romainville était à peine un bois, tout au plus un grand parc, mais l'ouvrier du faubourg Saint-Antoine, la grisette du faubourg Saint-Martin y étaient chez eux. C'était là qu'ils allaient se réjouir le jour de leurs noces. Et la chanson disait fort justement :

Oui, tant qu'à Romainville
Deux à deux on ira,
Le monde si fragile
Jamais ne finira

Quant à la bourgeoisie, c'est en des banlieues plus pittoresques qu'elle allait chercher ses plaisirs. Au début du XIXe siècle, on prenait le Coucou pour aller à la campagne. Mais le coucou était une voiture incommode, mal suspendue et qui ne partait jamais. Le conducteur différait toujours, promettait qu'il allait se mettre en route, et puis ne bougeait pas. L'appât du gain lui faisait sans cesse retarder l'heure du départ et empiler les voyageurs dans sa voiture jusqu'à en faire craquer les essieux. Le coucou était devenu pour les Parisiens un objet d'horreur. Et pourtant il fallait bien s'en servir puisqu'on n'avait pas d'autres moyens de transport pour la banlieue.
Vers 1830, enfin, s'organisèrent des services réguliers de voitures pour les localités des environs. Ces voitures portaient un nom étrange: on les appelait les Gondoles oh ! Venise ! - Voire même les Gondoles accélérées. Il y en avait pour Sèvres, pour Meudon, Courbevoie, pour la vallée de la Bièvre, Sceaux, Aulnay et les bois de Verrières ; pour Saint-Gratien. Montmorency, l'Ile-Saint-Denis.... Oui, l'Ile-Saint-Denis, en ce temps-là était un lieu de villégiature. C'est là qu'allaient les amateurs de natation tandis que les amateurs d'équitation fréquentaient Montmorency.
Les voyageurs qui n'étaient pas pressés avaient encore la ressource de la galiote de Saint-Cloud ou du Coche d'eau de Corbeil, lequel portait un nom qui depuis a pris un sens macabre : on l'appelait le « corbillard ».
Un provincial qui fit à la fin du XVIIIe siècle un voyage à Paris, raconte son excursion à Saint-Cloud à bord de la galiote.
« Nous sommes partis, dit-il, à huit heures du matin ; et après une heureuse navigation de deux heures, nous avons débarqué au pont de Sèvres. Cette galiote n'est autre chose qu'un grand bateau couvert qui contient sur le pont environ 4.00 personnes : on y trouve des gens de toute sorte, car il n'en coûte que sept sols pour faire deux lieues. On a souvent l'occasion de s'y divertir... nous y vîmes ce jour un passager tomber dans la rivière ; c'était un Parisien fort bien habillé qui, voulant fait l'agréable pour attirer l'attention des dames, s'avisa de sauter du pont dans un batelet amarré à la galiotte; ce batelet, très léger, perdit l'équilibre et notre homme fut à la Seine ; on le repêcha promptement, mais il faisait ensuite sotte figure dans ses vêtements ruisselants d'eau... »
Sentez-vous avec quel secret plaisir ce bon provincial raconte la mésaventure ridicule du Parisien qui , voulait faire l'agréable auprès des dames ?
Du côté de la haute Seine, il y avait un service régulier de coches d'eau pour Corbeil, Melun, Fontainebleau, Montereau, Nemours, jusqu'à Auxerre. Cette dernière ville était la plus lointaine que desservi le coche d'eau. Il en coûtait près de dix livres pour s'y rendre de Paris... Ah ! c'en était un voyage !... Quatre forts chevaux, était du vayage ! ... Quatre forts chevaux, d'un pas tranquille et lent, halaient le coche le long du rivage au moyen d'une corde attachée au grand-mât. C'était interminable. Mais, du moins, les voyageurs avaient, pour charmer leurs loisirs, le spectacle pittoresque et florissant des bord de la Seine.
On ne souffrait pas en ce temps-là de lenteur des transports. On ne vivait pas, comme, à présent, dans la fièvre du mouvement perpétuel. Les lenteurs et les difficultés du voyage armaient l'âme du voyageur de patience et de philosophie. On ignorait la volupté aveugle de la vitesse. On allait lentement, mais on ne perdait pas son temps en voyage : on savait voir, observer, réfléchir.
La moderne « bougeotte » a bouleverser tout cela. A présent on court, on dévore l'espace...
En est-on plus heureux ?
Ernest LAUT.

Le Petit Journal illustré du 25 Juillet 1909